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Les traitements orthographiques et graphomoteurs ont un coût cognitif non négligeable, tant chez l’enfant que chez l’adulte, en production écrite. Chez les apprentis- scripteurs, le geste graphomoteur peut accaparer à lui seul, en exigeant un contrôle conscient, jusqu’aux deux tiers des ressources cognitives disponibles dans le réservoir attentionnel (Foulin et Fayol, 1988). Comme l’exécution graphomotrice, le calcul et/ou la récupération des formes orthographiques monopolisent l’attention des élèves, ces derniers peuvent avoir de la difficulté à considérer et à traiter de manière simultanée les autres dimensions impliquées dans l’activité de production écrite. En raison de la limitation des ressources cognitives en mémoire de travail, une augmentation du coût cognitif des traitements graphomoteurs et/ou des traitements orthographiques est susceptible d’entraîner une perte des informations en mémoire en cours d’écriture. Cet effet perturbateur (i.e. les traitements mobilisent des ressources cognitives au détriment du stockage) pourrait provoquer une augmentation du nombre d’erreurs d’orthographe à l’échelle du mot ou encore un manque de cohérence à l’échelle du texte.

3.1 Coût cognitif des traitements orthographiques en production écrite

Les traitements orthographiques nécessitent un lent processus d’appropriation des conventions de la langue écrite (Morin, Alamargot, Diallo et Fayol, 2018). Selon la théorie capacitaire, que nous décrirons davantage dans le cadre de référence, les processus orthographiques contribuent aux coûts en ressource de la rédaction tant et aussi longtemps que les scripteurs sont « engagés dans une construction en temps réel de l’orthographe plutôt que dans une récupération automatique des formes orthographiques » (McCutchen, 1998, p. 198). Pour l’illustrer, une étude réalisée auprès d’élèves d’âge primaire et secondaire a montré l’existence d’un lien entre les exigences en ressources cognitives et les performances en orthographe et en rédaction (Alamargot, Flouret, Pontart, Morisset, Larocque et Caporossi, 2012). Les résultats de cette recherche indiquent que les scripteurs passent, avec l’âge et l’expertise, d’un mode de contrôle externe, exigeant et sensible aux ressources cognitives, à un mode de contrôle interne, automatisé donc peu coûteux, lorsqu’ils appliquent

la procédure d’accord sujet-verbe. À l’aide d’un dispositif permettant d’enregistrer et d’analyser en temps réel la dynamique de l’écriture et les mouvements oculaires, ces chercheurs ont montré que les fixations régressives sur le nom pendant la production de la flexion étaient fortement réduites chez les élèves de 17 ans, alors qu’elles demeuraient nombreuses chez les élèves de 8 et 11 ans. Les élèves plus âgés, pour lesquels la règle d’accord serait automatisée, pourraient ainsi maintenir en mémoire le nombre du sujet (singulier ou pluriel) plus longtemps. Une autre étude réalisée auprès d’adultes a montré que des erreurs d’accord sujet-verbe pouvaient être provoquées en augmentant le coût cognitif en mémoire de travail, par le biais d’une tâche secondaire, bien que les règles de conjugaison soient maîtrisées relativement tôt dans le cursus scolaire (Fayol, Largy et Lemaire, 1994). Ainsi, même les scripteurs qui ont automatisé le geste d’écriture et qui maîtrisent en principe les règles relatives à l’orthographe grammaticale, à la morphologie ou à la syntaxe peuvent produire, quand le coût cognitif des traitements excède les ressources limitées de la mémoire de travail, un texte dont les propos sont moins étoffés qu’à l’accoutumée ou entaché de fautes (Bourdin et al., 2010).

3.2 Coût cognitif des traitements graphomoteurs en production écrite

Le coût cognitif des traitements graphomoteurs peut contribuer à expliquer pourquoi les textes que les enfants produisent sont meilleurs, en début de scolarité, lorsqu’ils sont dictés à un adulte que lorsqu’ils sont produits à l’écrit de manière autonome (Ibid.). En ce sens, Bourdin et Fayol (1994, 2002) ont montré, via une série d’études expérimentales, que la modalité de production avait une influence déterminante sur les performances des enfants dans une tâche de rappel sériel de mots. Les résultats obtenus par ces chercheurs montrent que des élèves âgés de 8 et 10 ans peuvent rappeler plus de mots à l’oral qu’à l’écrit, contrairement à des adultes pour lesquels les performances sont équivalentes dans les deux modalités de production. Ainsi, plus de ressources cognitives sont allouées aux processus graphomoteurs chez les novices, en raison de leur manque de familiarité avec le langage écrit, ce qui leur laisse moins de ressources disponibles pour le maintien des mots en mémoire10.

10 La production de mots implique autant les traitements graphomoteurs que les traitements orthographiques,

Ces chercheurs ont aussi montré que des adultes obtenaient des performances comparables à celles des enfants lorsqu’ils devaient écrire en lettres cursives majuscules, connues mais peu utilisées. Une étude menée plus récemment par Grabowski (2010) a répliqué ces résultats tant pour l’écriture manuscrite que pour l’écriture dactylographique. Ce chercheur a montré qu’il était possible, en contraignant intentionnellement le geste des adultes – en interchangeant par exemple des touches sur un clavier d’ordinateur – d’altérer leurs performances.

Pour tester plus encore l’implication des processus graphomoteurs dans l’activité de production écrite, Olive et Kellogg (2002) ont demandé à des élèves de 9 ans et à des adultes de copier ou de rédiger un texte, simultanément à une tâche secondaire qui exigeait de répondre le plus rapidement possible à des signaux sonores chaque fois qu’ils étaient émis. Chez les enfants, les résultats indiquent, aussi bien en copie qu’en rédaction, une augmentation des temps de réaction associés à l’exécution graphomotrice. Chez les adultes toutefois, les temps de réaction sont inférieurs en copie, ce qui suggère qu’ils ont automatisé la graphomotricité et qu’ils peuvent réaliser, parallèlement à l’écriture, d’autres processus : « In children, such concurrent activation was not observed, because the demands of motor transcription alone consumed too much attention. Put simply, only the adult writers were able to think and write at the same time11 » (Ibid., p. 598). Or, lorsque ces adultes avaient pour

consigne d’écrire en lettres majuscules, comme dans les expériences décrites précédemment, les temps de réaction étaient plus importants et les productions de moins bonne qualité « When the demands of transcription were heavy, adults began to neglect high-level processes and to focus on motor execution12 » (Ibid.).

Le coût cognitif des traitements graphomoteurs peut également compromettre la dynamique, notamment temporelle, des différents processus engagés au cours de la production écrite. Dans cette perspective, l’utilisation de lettres majuscules chez des adultes,

11 Chez les enfants, une telle activation simultanée n’a pas été observée, car l’exécution graphomotrice

consommait trop de ressources cognitives. En termes simples, seuls les adultes étaient capables de penser et d’écrire en même temps [traduction libre].

12 Les processus de haut niveau ont été négligés chez les adultes lorsque les contraintes graphomotrices étaient

qui pourrait « consommer toutes les ressources disponibles » (Olive, Alves et Castro, 2007, p. 71) en mémoire de travail, engendre des effets négatifs sur la rédaction de textes. En plus de limiter le nombre de mots qu’ils produisent par minute, la longueur des phrases et la qualité globale de leurs textes, l’augmentation des ressources cognitives associées à l’allographe majuscule, mesurée par une tâche de temps de réaction, les oblige à modifier leur stratégie d’écriture : les scripteurs adoptent un mode de traitement séquentiel du flux de l’information plutôt qu’une coordination simultanée des processus graphomoteurs, orthographiques et rédactionnels (Ibid., 2009). Ces processus s’engagent ainsi dans le temps de façon successive, un traitement attendant le produit de l’autre pour s’enclencher; ce n’est que lorsque la vitesse de production devient suffisamment grande, et si la capacité cognitive le permet, que les processus de haut niveau peuvent s’engager parallèlement aux processus de bas niveau.