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3. GESTION EN TEMPS RÉEL DES TRAITEMENTS GRAPHOMOTEURS ET

3.2 Déterminants de la réussite et de la vitesse en production écrite de mots

3.2.1 Effet de la régularité ou de la consistance des mots

Dans une étude menée auprès d’adultes, Delattre et al. (2006) ont montré que la période de latence et la durée de production étaient plus longues pour les mots irréguliers36

36 La régularité et la consistance sont souvent confondues dans les travaux portant sur la production

que pour les mots réguliers dans une tâche de dictée. Selon ces chercheurs, ces résultats confirment, conformément au modèle de Van Galen (1991) et à celui de Rapp et al. (2002), que la gestion orthographique peut se dérouler parallèlement à l’exécution graphomotrice, le traitement du conflit au niveau central entre les voies lexicale et phonologique, qui se manifeste en présence de mots irréguliers, n’étant pas encore achevé au moment de leur production. Des tels résultats ont aussi été observés par Bloemsaat, Van Galen et Meulenbroek (2003) en dactylographie.

Dans une tâche de copie, Roux et al. (2013) ont montré, chez des adultes, que la durée moyenne de traçage des traits composant chaque lettre était prolongée par la présence d’une irrégularité dans le mot, en fonction de sa position : lorsque cette irrégularité était placée en début de mot (e.g. « monsieur »), seule la durée de production des premières lettres était affectée; en revanche, lorsque l’irrégularité était placée en fin de mot (e.g. « instinct »), la durée de production de l’ensemble des lettres était prolongée : « Orthographic irregularity in word initial is processed on-line during the production of the first letters, whereas the processing of final irregularity is distributed over the entire word37 » (Ibid., p. 240). Ces

résultats ont été répliqués récemment par Planton et al. (2017) et Palmis et al. (2019) dans une tâche de dictée, en montrant qu’une irrégularité placée en début de mot rallongeait la latence chez des adultes, alors qu’une irrégularité placée en fin de mot affectait plutôt le décours temporel de l’écriture, en diminuant la vitesse de tracé.

Pour évaluer la gestion des processus orthographiques et graphomoteurs dans une situation plus écologique, Lambert et al. (2011) ont utilisé une tâche de copie de mots successifs. Ils ont montré, chez des adultes, que la production des mots irréguliers entraînait plus de levers de regard que celle des mots réguliers. Selon ces chercheurs, les processus centraux et périphériques activés lors de la copie d’une série d’items peuvent se chevaucher lorsque les contraintes orthographiques sont relativement faibles. Ainsi, en présence de mots réguliers, un phénomène d’anticipation se produit : ces items sont copiés de manière assez

section, de manière interchangeable. Ils font tous les deux référence au caractère polygraphique de l’orthographe (i.e. le degré de transparence plus ou moins élevé des correspondances phonème-graphème).

37 L’irrégularité placée en début de mot est traitée pendant la production des premières lettres, alors que le

fluide pendant que les scripteurs consultent le modèle pour identifier le prochain mot à écrire. Toutefois, en présence de mots complexes, plus difficiles à traiter, l’analyse visuo- orthographique ne peut, avec la même ampleur, prendre place en parallèle avec l’exécution graphomotrice; ces deux processus sont donc interrompus, provoquant un arrêt ou une pause en cours d’écriture pour permettre à la représentation orthographique d’être réitérée en mémoire : « For [those] words, it is impossible to manage the spelling and graphomotor processes in parallel. The activity therefore has to be segmented and the graphomotor program suspended, so that the word’s spelling representation can be reactivated by looking back at the model38 » (Ibid., p. 147).

Dans une tâche de copie, Afonso et al. (2015) ont montré tout récemment auprès d’adultes que la durée de production des lettres dans un mot dépendait, outre de sa régularité, de la consistance moyenne des associations graphème-phonème (basée sur le nombre d’occurrences dans la langue, pour un graphème donné, de chacune des différentes formes phonologiques correspondantes). Ces chercheurs ont montré, indépendamment de la frontière syllabique, que la durée de production du graphème-cible « e » était plus élevée, tout comme la durée de production de la lettre qui le précédait ou le suivait, dans des mots complexes à prononcer (e.g. « bedaine ») que dans des mots simples (e.g. « berceau »). Dans une autre étude menée auprès d’adultes, ces chercheurs ont montré que la période de latence, la durée de l’intervalle entre chaque lettre et la durée de production globale des mots étaient plus longues pour les items irréguliers que pour les items réguliers, plus encore dans une tâche de dictée que dans une tâche de copie. Ils ont aussi montré que le pourcentage de mots bien orthographiés était plus faible dans ces deux conditions. Ces résultats montrent, comme ceux des études précédentes, que la réussite et le décours temporel des traitements orthographiques chez des adultes sont influencés par la voie sous-lexicale. Ils montrent également, à l’instar de Bonin et al. (2015), que le déroulement du mouvement est dépendant

38 Pour ces mots, il est impossible de gérer les processus orthographiques et graphomoteurs en parallèle. La

production écrite doit donc être segmentée et l’exécution graphomotrice suspendue, afin de réactiver la représentation orthographique du mot en consultant à nouveau le modèle à copier [traduction libre].

de la nature de la tâche, la production des lettres semblant plus difficile quand le mot est dicté à l’oral que lorsqu’il est présenté visuellement.

Les études présentées jusqu’à présent montrent que les performances des adultes en production orthographique, évaluées en termes de vitesse et/ou de précision, sont moins bonnes pour les mots inconsistants/irréguliers que pour les mots consistants/réguliers, tant dans une tâche de dictée de mots, de copie de mots ou de dénomination écrite à partir d’images. D’autres études, conduites auprès d’enfants, arrivent aux mêmes conclusions.

Kandel et Valdois (2005) ont montré, auprès de 44 élèves français âgés de 6 à 8 ans, que la durée moyenne de traçage des traits composant un mot dans une tâche de copie était plus élevée pour les mots irréguliers que pour les mots réguliers. Le traitement des mots se montre dépendant de leur régularité, mais aussi de leur âge d’acquisition. Selon ces chercheurs, les mots irréguliers qui sont acquis tôt dans le cursus scolaire sont déjà stockés dans le lexique mental des élèves, leurs représentations orthographiques étant donc facilement accessibles. Les représentations orthographiques sont toutefois susceptibles d’être indisponibles ou sous-spécifiées en présence de mots non familiers. Kandel et Perret (2015) ont à leur tour étudié, dans une tâche de copie de mots, la coordination des processus orthographiques et graphomoteurs chez 64 élèves français de 8 à 10 ans. Leur étude révèle que la période de latence des mots irréguliers ainsi que leur durée de production globale sont plus grandes que celles des mots réguliers. En outre, les résultats obtenus montrent que la fluidité du geste graphomoteur est meilleure lors de la production des mots réguliers que lors de celle des mots irréguliers. Ces chercheurs ont aussi montré, avec une analyse par lettre complémentaire, que la durée de production et la dysfluence étaient plus élevées en début qu’en fin de mot, indépendamment de leurs caractéristiques sous-lexicales et de l’âge des élèves :

This is likely due to the gradual decrease of the cognitive resources that are required to keep the orthographic representation active while producing other letters. Nevertheless, the fluctuation was more important for the 8-year-olds than the older children. The younger children also had

to deal with the cognitive load imposed by graphomotor control because their writing was still not completely automatic39. (Ibid., p. 333)

Plus récemment encore, Suarez-Coalla et al. (2018) ont montré, auprès de 75 élèves espagnols âgés de 7 à 9 ans, que l’écriture de mots irréguliers rallongeait la période de latence contrairement à celle de mots réguliers, mais uniquement dans une tâche de dictée comparativement à une tâche de copie. Ces chercheurs ont également montré que la durée de production de la première lettre des mots était plus importante en présence d’une irrégularité, mais uniquement pour les élèves de 7 ans dans la tâche de dictée. Ces résultats laissent penser, pour une langue transparente à tout le moins, que l’effet de cascade est susceptible d’être modulé par l’âge des élèves – ou éventuellement par leur niveau d’habiletés graphomotrices – et par les tâches qui leur sont proposées.

Au niveau développemental, l’ensemble des résultats témoigne d’une évolution des paramètres spatio-temporels de l’écriture avec l’âge : la latence et la durée de production diminuent au cours de la scolarité, particulièrement entre 8 et 9 ans, alors que la fluence de production augmente pendant la même période. Les représentations orthographiques deviennent donc plus stables avec la pratique, et les mouvements plus automatisés en raison de la maturation motrice. D’autres chercheurs ont montré, en étudiant la production de mots des jeunes scripteurs d’un point de vue qualitatif, et non quantitatif, que la régularité était aussi l’un des facteurs prédictifs de la réussite en orthographe pour les élèves d’âge primaire (Lété, Peereman et Fayol, 2008; Sovik, Arntzen, Samuelstuen et Heggberget, 1994; Sovik, Samuelstuen, Svarva et Lie, 1996).

Tous les résultats de recherche que nous avons présentés dans cette section, aussi bien pour les adultes que pour les enfants, s’accordent avec l’hypothèse selon laquelle l’effet de consistance ou de régularité observé sur la réussite et/ou le décours temporel des traitements orthographiques est imputable à l’intervention de la voie sous-lexicale pour recomposer l’information. D’autres recherches, ayant étudié l’impact du statut lexical ou de la fréquence

39 Cela est probablement dû à la diminution progressive des ressources cognitives nécessaires pour maintenir la

représentation orthographique active tout en produisant les lettres. Néanmoins, la fluctuation était plus importante pour les élèves de 8 ans que pour les élèves plus âgés, en raison du coût cognitif requis par les traitements graphomoteurs qui ne sont pas encore automatisés à cet âge [traduction libre].

d’usage, comme nous l’aborderons dans les prochaines sections, montrent que la voie lexicale a elle aussi une influence sur le temps de préparation et d’exécution des mots.