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1. DÉVELOPPEMENT DE LA GRAPHOMOTRICITÉ

1.2 Évolution des habiletés graphomotrices : qualité et dynamique du tracé

1.2.3 Amélioration des caractéristiques spatio-temporelles du geste

En comptant le nombre de lettres produites dans un intervalle de temps donné, de nombreux chercheurs ont montré que le profil développemental de la fluence d’écriture était continu et linéaire au cours du primaire (Feder et Majnemer, 2007; Graham et al., 1998; Karlsdottir et Stefansson, 2002; Meulenbroek et Van Galen, 1988; Weintraub et al., 2007).

Or, comme le soulignent avec justesse Bara et Gentaz (2010), évaluer le tracé des lettres à partir du produit fini ou du résultat de l’activité graphique ne fournit pas d’informations précises quant aux processus sous-jacents qui ont donné lieu à cette production. L’utilisation d’indices dynamiques, via le recours à une tablette graphique notamment, permet d’analyser avec une plus grande fiabilité et précision la production et le contrôle des mouvements d’écriture, raffinant notre compréhension du fonctionnement et du développement de la composante graphomotrice (Wicki et Hurschler Lichtsteiner, 2018).

À l’aide d’une analyse en temps réel de l’écriture, Meulenbroek et Van Galen (1986) ont observé, dans une étude menée auprès de 30 élèves néerlandais âgés de 6 à 9 ans, un développement non monotone du geste graphique. Ils ont montré, à partir d’une tâche de copie de patterns répétitifs (e.g. cycloïdes, vagues, zigzags), une période d’instabilité vers 8 ans, les mouvements, bien que rapides, présentant à cet âge une grande variabilité spatiale et de nombreux pics de vitesse. Ces chercheurs ont également observé, dans une tâche de copie de lettres proposée à 75 élèves néerlandais de 7 à 12 ans, une diminution du temps de mouvement ainsi qu’une augmentation de la fluidité et de la vitesse d’écriture en fonction de l’âge (Ibid., 1988). Il faut néanmoins signaler dans cette étude, comme dans la précédente, un déclin temporaire des performances graphomotrices entre 8 et 9 ans. Cette discontinuité dans le développement serait liée à la substitution d’une stratégie de contrôle proactive à une stratégie de contrôle rétroactive, qui s’avère plus efficace à long terme, mais qui entraîne une perturbation passagère.

Plus récemment, Rueckriegel et al. (2008) ont étudié, d’un point de vue dynamique, l’influence de l’âge, du sexe, de la latéralité et du degré d’expérience en motricité fine sur le

développement du dessin (tracé d’un cercle) et de la graphomotricité (copie de la lettre « a » et d’une phrase). À partir d’un échantillon composé de 187 élèves allemands âgés de 6 à 18 ans, ces chercheurs ont montré que seul l’âge, parmi l’ensemble de ces variables, avait un impact significatif sur les performances. La vitesse du tracé, la fluidité et la pression exercée par le stylo sur la surface de la tablette corrélaient toutes avec l’âge, quelle que soit la tâche. Ces résultats reflètent bien, comme le soutenaient aussi De Ajuriaguerra et al. (1971), l’influence du développement psychomoteur, cognitif et linguistique dans l’apprentissage du graphisme et de la graphomotricité. L’automatisation du geste graphique, qui s’effectue sur une longue période, est dépendante de l’âge et/ou du niveau d’expertise des scripteurs, mais aussi du contexte de production ou de la complexité des tâches. Des analyses de régression complémentaires menées par Rueckriegel et al. (2008) indiquent que cette automatisation serait atteinte vers 13 ans pour le tracé d’un cercle et vers 16 ans pour la copie d’une phrase, l’écriture étant, dès lors, dirigée par des programmes moteurs spécifiques. Il faut cependant noter que les participants écrivaient, dans cette étude, avec un crayon sans encre, empêchant le recours aux informations visuelles, ce qui pourrait avoir complexifié la nature ou le déroulement des processus en jeu.

Dans une étude italienne menée auprès de 218 élèves âgés de 8 à 14 ans, Accardo, Genna et Borean (2013) ont étudié l’évolution de différentes variables spatiotemporelles de l’écriture en fonction du développement psychomoteur, à partir de quatre tâches variant en complexité : a) l’écriture d’une séquence répétitive (i.e. la syllabe uno), b) le rappel écrit de chiffres en ordre ascendant, c) la copie d’une phrase le plus lisiblement possible, et d) la copie d’une phrase le plus rapidement possible. Les résultats de cette étude montrent que le nombre de caractères produits augmente tout au long de la scolarité pour les deux premières tâches, alors que la durée de production totale diminue jusqu’à 12 ans pour les deux suivantes. Ils montrent également une augmentation, avec l’âge, de la vitesse, du nombre de traits par seconde et du nombre de lettres par centimètre, ainsi qu’une diminution du nombre de traits par lettre; ces résultats témoignent, selon Soppelsa et Albaret (2014), d’une évolution monotone de la fréquence d’inscription, du temps de planification motrice, de l’arrangement spatial et de l’automatisation graphomotrice.

Dans la même lignée, Kandel et Perret (2014) ont montré que le renforcement des programmes moteurs, qui se traduit notamment par un phénomène d’anticipation graphomotrice, émerge vers l’âge de 9 ans. Cette étude menée auprès de 66 élèves français montre une diminution de la longueur du tracé et du nombre de pics de vitesse entre 8 et 9 ans lors de la copie des digraphes « ll », « le » et « ln ». Ces mêmes chercheurs ont confirmé, dans une deuxième étude menée auprès de 64 élèves français (Ibid., 2015), une diminution du temps de latence, de la durée de production par lettre et du nombre de pics de vitesse entre 8 et 9 ans dans une tâche de copie de mots : « The decrease is mainly due to motor maturation and practice. Sensory-motor maps are stable and can be accessed easily. Writing movements are fast and smooth. They require less sensory control, which result in a decrease in cognitive load19 » (p. 333).

Plus récemment encore, Thibon et al. (2018a) ont montré, au cours d’une tâche de copie de lettres isolées ou de séquences de lettres variant en complexité, une diminution entre l’âge de 6 et 8 ans de la durée de production, de la longueur du tracé et de la dysfluence, ainsi qu’une augmentation de la vitesse. Les résultats de cette étude menée auprès de 98 élèves français de 7 à 9 ans montrent une période de stabilité des paramètres spatio-temporels des mouvements d’écriture entre 8 et 9 ans. Cette transition témoigne d’une automatisation progressive du geste associée à une amélioration du contrôle moteur et à une augmentation de la taille de l’unité impliquée dans la programmation graphomotrice. Ces différences sur le plan développemental ont été confirmées dans une autre étude menée par ces chercheurs, portant cette fois sur les mouvements de pointage et de rotation (Thibon, Barbier, Vilain, Sawallis, Gerber et Kandel, 2018b).

De l’ensemble de ces recherches, plusieurs consensus peuvent être dégagés quant à l’évolution, au cours du développement, des caractéristiques spatiales, temporelles, cinématiques et/ou dynamiques du geste graphomoteur. Bien qu’il soit impossible, dans la

19 Cette diminution est principalement due à la maturation motrice et à la pratique. Les représentations visuelle

et motrice des lettres sont stables et facilement accessibles. Les mouvements d’écriture sont rapides et fluides. Ils nécessitent moins de contrôle visuel et kinesthésique, ce qui entraîne une diminution de la charge cognitive en mémoire de travail [traduction libre].

pratique, de se livrer à une « chronométrie des processus mentaux » (Zesiger, 1995, p. 24), les résultats mis de l’avant montrent que l’amélioration des habiletés graphomotrices se traduit par une diminution de la taille des lettres et de leur variabilité, de la durée de production, de la pression, du nombre et de la durée des pauses, et par une augmentation de la qualité du tracé, de la fluidité et de la vitesse (Accardo et al., 2013; Afonso, Suarez-Coalla, Gonzalez-Martin et Cuetos, 2017; Alamargot et Morin, 2015; Barrientos, 2016; Bosga-Stork et al., 2015; Chartrel et Vinter, 2008; Gonzalez-Martin, Suarez-Coalla, Afonso et Cuetos, 2017; Guilbert et al., 2018a; Kandel et Perret, 2014, 2015; Meulenbroek et Van Galen, 1986, 1988; Palmis et al., 2017; Rueckriegel et al., 2008; Thibon et al., 2018a, 2018b; Wagner et al., 2011; Wicki et al., 2014; Wicki et Hurschler Lichtsteiner, 2018; Zesiger, 1992).

La graphomotricité se développe donc graduellement à l’école primaire, entre 6 et 12 ans, s’accélérant, s’assouplissant et se stabilisant, en tenant compte des diverses contraintes, grâce au maintien du tonus et de la posture, au contrôle de la force et de la pression et à la mise en place des synergies musculaires. Chez certains, cependant, la production écrite reste lente et peu lisible : entre 10 % et 30 % des élèves présentent des difficultés graphomotrices, selon leur âge et les critères choisis pour définir le trouble, se manifestant par une surutilisation des informations sensorielles, une grande variabilité spatiale, temporelle et cinématique, un manque de fluidité, une pression exagérée, une fatigue musculaire accrue, ainsi qu’une durée ou une fréquence de pauses plus élevée (Feder et Majnemer, 2007; Graham, Struck, Santoro et Berninger, 2006; Hamstra-Bletz et Blöte, 1993; Karlsdottir et Stefansson, 2002; Overvelde et Hulstijn, 2011; Pagliarini et al., 2015; Paz-Villagran, Danna et Velay, 2014; Prunty, Barnett, Wilmut et Plumb, 2013, 2014; Rosenblum et al., 2003; Rosenblum, Chevion et Weiss, 2006; Rosenblum, Weiss et Parush, 2004; Soppelsa et Albaret, 2014). Certains élèves demeurent donc incapables, en dépit d’un niveau d’instruction et d’exercice suffisant, de répondre aux exigences de qualité et de vitesse imposées par l’école. Pour ces scripteurs, et d’ailleurs pour tous les élèves qui commencent l’apprentissage de la langue écrite et qui n’ont pas encore ou très peu automatisé le tracé des différents allographes, et encore bien moins l’orthographe des mots, comme nous

l’aborderons plus loin dans ce chapitre, la production écrite représente une tâche complexe, un défi multiple consommant une grande part des ressources cognitives.