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3. GESTION EN TEMPS RÉEL DES TRAITEMENTS GRAPHOMOTEURS ET

3.2 Déterminants de la réussite et de la vitesse en production écrite de mots

3.2.4 Effet de la longueur des mots

Comme le mettent en lumière les dernières sections, la production écrite de mots isolés se fait sous l’influence des procédures phonologique et lexicale, le geste graphomoteur étant dépendant en partie de la régularité, du statut lexical ou de la fréquence des mots. D’autres études, moins nombreuses, montrent que le buffer graphémique, une mémoire de travail par définition temporaire et sensible aux interférences, influence également les performances orthographiques (Rapp et Dufor, 2011). Comme nous le verrons dans cette section, la longueur d’un mot, exprimée en nombre de lettres, peut affecter considérablement les capacités de stockage et de traitement.

Une augmentation du nombre de lettres à écrire, qui peut influencer chez les experts le degré de planification motrice, devrait se manifester par une augmentation linéaire du

temps de traitement (Hulstijn et Van Galen, 1983; Planton, 2014; Van der Plaats et Van Galen, 1990) – du moins d’un point de vue strictement sériel (Planton et al., 2017). Une étude menée par Bonin et al. (2015) auprès d’adultes montre, dans cette perspective, une corrélation positive entre le nombre de lettres contenues dans un mot et le laps de temps qui s’écoule avant sa production dans une tâche de rappel immédiat. La latence serait donc consacrée aux étapes centrales du traitement, mais aussi à la sélection et à l’activation des programmes moteurs, quand ils sont disponibles en mémoire à long terme, d’une série de lettres ou du mot entier. Cette capacité d’anticipation se montrerait dépendante du niveau de compétences motrices des scripteurs, émergeant vers l’âge de 9 ou 11 ans pour les mouvements d’écriture (Kandel et Perret, 2014; Louis-Dam et al., 2000; Orliaguet, Kandel et Boe, 1997). Comme nous l’avons déjà souligné, aucune étude, à notre connaissance, ne précise quel est l’empan de la programmation graphomotrice ni sous quelles contraintes cet empan est susceptible de se modifier. Même si les lettres peuvent être groupées en chunks chez les experts pour faciliter la programmation graphomotrice (Fayol et Lété, 2012; Kandel et al., 2019) et en réduire le coût cognitif (Anderson, 1983), nous ne savons pas, à l’heure actuelle, combien de lettres peuvent être véritablement programmées, en fonction de l’expertise des scripteurs, avant l’initiation du geste41.

L’effet de la longueur des mots, qui a été analysé à maintes reprises en neuropsychologie (Buchwald et Rapp, 2009; Caramazza et al., 1987; Costa et al., 2011; Goodman et Caramazza, 1986), a rarement été étudié auprès de scripteurs à développement typique, et encore moins auprès d’enfants (Bonin, 2003).

Une étude menée par Hulstijn et Van Galen (1983) auprès d’adultes montre que la longueur d’une séquence de chiffres affecte uniquement la période de latence lorsqu’aucune contrainte n’est imposée aux scripteurs; or, quand ces derniers ont pour consigne de produire

41 Certaines études montrent que la programmation motrice des mots est dépendante de leur structure syllabique,

quelle que soit la nature ou la longueur de ces mots. La durée de production des lettres serait systématiquement plus longue à la frontière syllabique (e.g. entre les lettres « r » et « b » dans « charbon »), indépendamment du niveau d’expertise (Kandel, Alvarez et Vallée, 2006). Ces données suggèrent que le geste pour produire la première syllabe est programmé pendant la période de latence, alors que la programmation motrice de la syllabe suivante se fait en cours de production, en même temps que la paramétrisation des traits locaux (cf. Sausset et al., 2016).

les chiffres dans un sens non conventionnel, la longueur de la séquence rallonge également le temps de production et la durée de l’intervalle entre deux chiffres. Même si cette étude a été conduite auprès d’experts, elle suggère que la programmation graphomotrice d’unités qui ne sont pas familières, ou suffisamment maîtrisées, peut empêcher le traitement en parallèle des informations.

Ces résultats peuvent être rapprochés d’une étude espagnole d’Afonso et al. (2015) menée auprès d’adultes normaux et en trouble du langage écrit. Ces chercheurs ont montré que la copie et l’écriture sous dictée de mots longs augmentaient la latence, la durée de l’intervalle entre deux lettres et la durée de production totale davantage que celles de mots courts, l’effet de la longueur des mots étant plus particulièrement prononcé pour les dyslexiques42. Ainsi, le nombre de lettres peut affecter la préparation des mots, mais aussi

leur production. Cet effet est vraisemblablement provoqué par les coûts de maintien et de traitement supplémentaires en mémoire de travail. Les résultats de cette étude doivent toutefois être interprétés prudemment. Les participants devaient en effet écrire les mots en lettres majuscules, avec un crayon sans encre, ce qui pourrait avoir induit un coût cognitif additionnel sur le plan graphomoteur.

Ces deux études menées auprès d’adultes suggèrent que la longueur d’une séquence de lettres ou de chiffres peut perturber la mise en œuvre de traitements parallèles à la réalisation du tracé dans des conditions inhabituelles de production qui inhibent sans doute, en raison de leur complexité, les automatismes graphomoteurs acquis au fil des années de pratique.

Nous savons que les élèves produisent les mots trait par trait en début d’acquisition, avant de passer avec l’âge à une unité ou à des unités plus larges (Bara et Gentaz, 2010; Humblot et al., 1994; Lambert et Espéret, 2002; Thibon et al., 2018a). Les novices activent

42 La dyslexie s’accompagne souvent de difficultés graphomotrices (Alamargot et al., 2014; Alamargot, Morin

et Simard-Dupuis, sous presse; Brun-Henin, Velay, Beecham et Cariou, 2012; Jover, Ducrot, Huau, Bellocchi, Brun-Henin et Mancini, 2013; Pagliarini et al., 2015), ce qui pourrait avoir accentué l’effet de la longueur des mots chez ces participants. Le coût cognitif imposé par la composante graphomotrice pourrait en effet s’ajouter, chez ceux qui présentent un déficit dans la programmation et/ou dans l’exécution graphomotrice(s), au coût déjà élevé suscité par la médiation phonologique, venant surcharger la mémoire de travail.

donc, une fois les procédures lexicale et sous-lexicale achevées, les schèmes moteurs les uns après les autres, contrairement à ce que font les experts : « The child will activate the motor program to produce the following letter once he has finished writing the previous one. This happens because the cognitive, motor and attentional load to write each letter is extremely high. With practice, he will be able to build more complex letter sequences43 » (Kandel et

Perret, 2014, p. 6). Ainsi, le nombre de lettres à écrire devrait également affecter, pour les novices, la durée de production des mots. La sélection, la planification et le contrôle des lettres doivent en effet être accomplis, pour les jeunes scripteurs, au pas-à-pas, ne pouvant être anticipés entièrement en amont. Dans cette perspective, Sovik et al. (1994, 1996) ont comparé, chez des élèves de 9 ans, l’écriture sous dictée de mots courts, comportant de 3 à 5 lettres, à celle de mots longs, en contenant entre 6 et 9. Ces chercheurs ont montré que la longueur, qui n’avait aucun impact sur le temps de latence, influençait négativement la durée de production des mots et le nombre d’erreurs orthographiques.

Une augmentation du nombre de lettres à maintenir dans le buffer graphémique peut donc avoir un impact sur le délai de déclenchement de l’écriture et/ou sur la durée de production des mots, mais aussi sur leur taux de réussite orthographique (Bonin et al., 2015; Cossu et al., 1995; Gonzalez-Martin et al., 2017; Lété et al., 2008; Sovik et al., 1994, 1996). En effet, le coût cognitif requis par le maintien des représentations graphémiques, qui est plus important pour un mot long que pour un mot court, pourrait entraîner chez certains scripteurs une (sur)charge cognitive, se manifestant par une augmentation du nombre d’erreurs orthographiques en présence de mots longs. Dans le cadre de la théorie capacitaire (Just et Carpenter, 1992; McCutchen, 1996), cet effet devrait être d’autant plus important que le coût cognitif des traitements graphomoteurs est lui-même élevé.

43 L’enfant activera le programme moteur pour produire la lettre suivante une fois qu’il aura finir d’écrire la

précédente. Cela se produit parce que la charge cognitive, motrice et attentionnelle nécessaire pour écrire chaque lettre est extrêmement élevée. Avec la pratique, il sera capable de construire des séquences de lettres plus complexes [traduction libre].

3.3 Une intégration des représentations graphomotrices et orthographiques au sein