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Décalage entre les orientations ministérielles et les savoirs issus de la recherche au

2. ORIENTATIONS MINISTÉRIELLES AU QUÉBEC ET EN FRANCE AU REGARD

2.3 Décalage entre les orientations ministérielles et les savoirs issus de la recherche au

au sujet de la graphomotricité

Comme le mentionne Leblanc (2010), un écart considérable, qui dépasse la simple terminologie, subsiste pour la compétence à écrire entre les savoirs issus de la recherche et les orientations officielles au sein de plusieurs pays. La graphomotricité, malgré son rôle essentiel dans l’apprentissage de la production écrite, reste en effet un parent pauvre dans la majorité des systèmes scolaires en Occident – les critères d’évaluation de la graphomotricité demeurant insuffisants et insuffisamment détaillés (Asher et Estes, 2016; Graham, Gillepsie

7 L’allographe réfère au code spatial ou à la forme particulière des lettres : majuscule, minuscule, scripte,

cursive (e.g. B, b, B, b).

8 L’éducation primaire en France est composée de cinq années réparties en deux cycles : le cycle 2

(apprentissages fondamentaux) couvre la période du CP au CE2 (6-8 ans), soit l’équivalent des première, deuxième et troisième années au Québec; le cycle 3 (consolidation) comprend le CM1 et le CM2 (9-10 ans), soit l’équivalent des quatrième et cinquième années au Québec.

et McKeown, 2013; Labrecque, Morin et Montésinos-Gelet, 2013; Leblanc, 2010; Medwell et Wray, 2007, 2008; Vander Hart, Fitzpatrick et Cortesa, 2010).

Bien que l’augmentation de la vitesse d’écriture en cours de scolarité soit considérée, plus que la qualité du tracé, comme un indicateur de la mise place progressive des mécanismes d’automatisation (Anderson, 1983), qui permettent un rappel en mémoire rapide de la forme des lettres et une exécution requérant peu de ressources cognitives, seuls la lisibilité et le style semblent être pris en compte dans les orientations ministérielles en vigueur au Québec. Même si on parle « d’aisance » dans le Programme de formation de l’école

québécoise (Gouvernement du Québec, 2001, p. 95), cette notion n’y fait l’objet d’aucune

définition précise9. Par ailleurs, la calligraphie n’est plus au programme au-delà de la

quatrième année, ce qui pourrait laisser croire à tort aux enseignants que cette habileté est nécessairement acquise vers l’âge de 10 ans. Or, de nombreuses études montrent que la graphomotricité continue de se développer jusqu’à l’adolescence, et même à l’âge adulte (Connelly, Dockrell et Barnett, 2005; Morin et Alamargot, 2015; Palmis, Danna, Velay et Longcamp, 2017; Pontart et al., 2013; Rueckriegel et al., 2008).

En France, les critères de rapidité et de fluidité sont bel et bien présents dans les instructions officielles, mais ils le sont uniquement dans le cadre d’une évaluation à la fin du cycle 2, dans laquelle on demande aux élèves âgés de 8-9 ans de copier un texte d’une dizaine de lignes dans un laps de temps compris entre 10 et 15 minutes – l’objectif étant ici de développer des « modalités efficaces de copie » ou encore des « stratégies de copie performantes » (Ministère de l’éducation nationale, 2015, p. 22). C’est donc une fréquence d’inscription, correspondant au nombre de mots produits par minute, qui est évaluée plus que la vitesse de déplacement du crayon, une variable, considérée hors pause, qui témoigne davantage de l’efficience graphomotrice (Alamargot, Morin, Pontart, Maffre, Flouret et Simard-Dupuis, 2014). Le geste graphomoteur est alors ciblé ou valorisé dans un contexte de

9 Le Gouvernement du Québec (2013, 2018) a publié récemment deux bulletins spéciaux au sujet de la

graphomotricité (qui proposent des pistes de réflexion et d’action pour le milieu scolaire tout en nuançant les instructions ministérielles), mais les orientations officielles du Programme de formation de l’école québécoise (Ibid., 2001) n’ont pas encore été modifiées.

copie particulier, mais ne semble pas être une préoccupation dans les diverses tâches de production d’écrits. On sait pourtant que la vitesse d’écriture peut varier en fonction du type d’exercice proposé ou même des consignes. Comme au Québec, seuls la qualité et plus largement le respect des normes d’écriture font partie des critères d’évaluation dans la démarche de production de textes. On s’attend tout simplement à ce que l’écriture soit lisible, quel que soit le cycle d’apprentissage, et ne subisse pas de déformations au cours des pratiques. Plus spécifiquement, le programme français mentionne que les gestes graphiques doivent être exécutés avec une « sûreté » grandissante (Ministère de l’éducation nationale, 2015, p. 21), mais encore une fois, une confusion persiste. Qu’entend-on par sûreté? Quels critères permettent d’en vérifier l’atteinte?

La graphomotricité n’est pas envisagée, ni en théorie ni en pratique, comme une fin en soi, mais comme une étape dont la raison d’être est le réinvestissement dans des situations de production écrite. Même si de nombreuses recherches menées dans le champ de la psychologie cognitive, de la neuroscience ou de l’ergothérapie suggèrent que cette composante est déterminante dans le processus de rédaction, pouvant détourner, lorsqu’elle n’est pas maîtrisée, l’attention des élèves de l’orthographe ou de la syntaxe, son rôle est souvent négligé dans le curriculum (Medwell et Wray, 2007). Aucun programme d’études au Canada ne souligne, en ce sens, la contribution des habiletés graphomotrices dans le déroulement efficient de la production de textes ni dans celui de l’orthographe (Leblanc, 2010). En France, le programme mentionne bien la nécessité de développer des connaissances procédurales et d’automatiser certains savoir-faire, dont le geste graphomoteur, afin de « libérer des ressources cognitives pour que les élèves puissent accéder à des opérations plus élaborées » (Ministère de l’éducation nationale, 2015, p. 4), mais il reste muet quant à la nature de ces opérations. Seul le dossier L’apprentissage de l’écriture au

cycle 2, qui constitue une ressource d’accompagnement supplémentaire pour les enseignants,

souligne le rôle de la graphomotricité dans la rédaction : « Pour que l’élève accède au sens, il est indispensable que son esprit ne soit pas focalisé sur le tracé des lettres » (Ibid., 2017, p. 1).

Nous pouvons constater que les données issues de la recherche et leur implication pour l’enseignement demeurent partiellement inexplorées, et donc partiellement inexploitées, en contexte scolaire (Medwell et Wray, 2008; Morin et al., 2017). Les programmes d’études laissent un flou sur la calligraphie ou la graphomotricité, alors qu’elle représente une habileté de base importante dans le développement de la compétence à écrire. Cette lacune dans nos instructions officielles, qui orientent le travail des pédagogues et la formation des maîtres, est susceptible d’influencer l’enseignement et l’apprentissage de la production écrite à l’école. En effet, les programmes sous leur forme actuelle ne permettent pas aux enseignants de guider de manière optimale l’automatisation du geste graphomoteur, qui ne se met en place que très lentement à l’école primaire (Lavoie, Morin et Labrecque, 2015).

Dans cette perspective, différentes enquêtes s’intéressant aux pratiques enseignantes ont montré que les modalités d’encadrement dans le domaine de la graphomotricité variaient d’un enseignant à l’autre et semblaient se fonder plus fortement sur des habitudes ou des intuitions que sur les données probantes en éducation – une situation qui n’est pas étonnante devant le manque de clarté des directives ministérielles (Asher, 2006; Bara, Morin, Montésinos-Gelet et Lavoie, 2011; Bonneton-Botté et al., 2019; Graham, Harris, Mason, Fink-Chorzempa, Moran et Saddler, 2008; Labrecque et al., 2013; Lavoie et al., 2015; Vander Hart et al., 2010). Comme le mentionnent Lavoie et al. (2015), les activités en classe se concentrent pour la plupart sur l’esthétisme des lettres au détriment de la vitesse et de la fluidité, deux aspects pourtant incontournables du développement des habiletés graphomotrices et plus encore de la production écrite. Les études montrent également que l’enseignement explicite de la graphomotricité se restreint souvent aux deux premières années de formation, étant délaissé au fur et à mesure que les années avancent, alors que la période sur laquelle s’échelonne son enseignement devrait se poursuivre tout au long du primaire, parallèlement au développement des compétences en orthographe et en production de textes (Chartrel et Vinter, 2004, 2006).

3. COÛT COGNITIF DE LA GRAPHOMOTRICITÉ ET DE L’ORTHOGRAPHE DANS