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1 Les modèles kaldoriens de croissance

Dans le document Changement technique et espaces (Page 79-87)

Dans son ouvrage de 1966 où il propose une explication de la croissance relativement faible du Royaume-Uni, N. Kaldor édicte trois ‘lois’ sur la croissance économique dont la deuxième, essentielle dans les modèles kaldoriens de croissance, stipule que la crois- sance de la productivité du travail dépend de la croissance de la production58 :

57 Young affirme ainsi que « progrès industriel et progrès scientifique entretiennent des liens de causalité

réciproque, mais nul ne peut dire de quel côté se trouve l’influence prépondérante » (A. Young [1990 (1928)], p. 98).

58 La première loi postule que la croissance de l’industrie détermine la croissance globale, la troisième

que les disponibilités de main d’œuvre en provenance des secteurs à rendements décroissants peuvent limiter l’expansion industrielle. Cette troisième loi est au cœur de son explication initiale du relatif déclin britannique. Il reviendra ensuite sur cette proposition, considérant que c’est la demande émanant de l’agriculture qui limite la croissance industrielle dans les premières étapes du développement, et la de- mande d’exportation dans les étapes avancées du développement (Cf. A. Thirwall [1983]). La disponibili- té de la main d’œuvre des secteurs à rendements décroissants est jugée non contraignante car la mobilité

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$ $ $

yt =zt + λYt [II.14]

avec $zt le taux de croissance autonome de la productivité du travail et λ>0 le coeffi- cient de Verdoorn.

Se faisant, il s’inscrit clairement dans la continuité de A. Young, la loi –qualifiée de Kaldor-Verdoorn– résumant les rendements croissants statiques et dynamiques consécu- tifs à l’accroissement de la taille du marché et à l’approfondissement de la division du travail qui en résulte.

Cependant, Kaldor rejette le bouclage du processus cumulatif envisagé par Young qui repose sur la loi de Say selon laquelle l’offre crée sa propre demande, impliquant poten- tiellement une croissance sans fin, pour s’inscrire dans un schéma keynésien où la de- mande effective est le facteur clé dont va dépendre le caractère cumulatif du processus. La demande effective fournit ainsi un « degré d’ouverture » au processus, une crois- sance ininterrompue n’étant plus assurée. Il focalise notamment son attention sur l’investissement induit par les changements dans l’organisation de la production (N. Kaldor [1972]) et montre que c’est à la condition que les producteurs de l’industrie (sec- teur à rendements croissants) répondent à un accroissement des ventes par un accrois- sement des capacités de production –conformément au mécanisme de l’accélérateur– que le processus cumulatif pourra être enclenché. Ceci suppose notamment que l’ajustement se fait par les quantités plutôt que par les prix, et que le système monétaire est « passif », dans le sens où les demandes de crédit nécessaires à l’investissement doi- vent être satisfaites59.

Il s’appuie ensuite sur la proposition de J. Hicks [1950] selon laquelle, sous certaines conditions, l’évolution de l’investissement induit et de la consommation sont guidées par l’évolution de la demande exogène. Sachant qu’en économie ouverte, la composante essentielle de la demande exogène est la demande d’exportation, c’est cette dernière qui

internationale du travail fait que l’offre de main d’œuvre est potentiellement illimitée (N. Kaldor [1987 (1983)], p. 154).

59 Plus généralement, si les configurations de la demande finale et les modes de répartition des revenus

diffèrent selon les pays, on peut aboutir à des régimes de croissance différents même si les systèmes tech- niques sont supposés identiques, comme le montrent certaines des analyses de l’école de la régulation (réf.).

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va contraindre la croissance de long terme de l’ensemble de l’économie.

R. Dixon & A. Thirwall [1975] proposent un modèle de croissance basé sur cette ana- lyse qui comprend quatre relations structurelles dont la combinaison rend compte de la double interaction entre croissance de la demande et croissance de l’offre typique des modèles de causalité cumulative. La logique de base est la suivante : l’accroissement des exportations conduit à un accroissement de la production qui, par le biais de la loi de Kaldor-Verdoorn, implique des gains de productivité. Ceux-ci rétroagissent sur la demande d’exportation par l’intermédiaire des mécanismes de prix, amorçant une nou- velle étape du processus. Leur modèle permet d’une part de repérer les paramètres es- sentiels influant sur la croissance de long terme et d’autre part d’analyser les conditions d’une convergence des espaces.

Formellement, la première relation s’écrit :

$ $ ,

Yt =γXt γ >0 [II.15]

Avec $Yt le taux de croissance de la production et $Xtle taux de croissance des exporta- tions. On suppose que la demande d’exportation est une fonction du rapport des prix de la région ( pt) et du prix national ( p*t), et du revenu national ( Y

t

*). On en déduit l’expression de la croissance de la demande d’exportation :

(

)

X p p Y X p p Y t t t t t t t t =      ⇒ = + < * * $ * * $ $ $ , φ ε φ ε φ 0 et > 0ε [II.16]

Avec -φ la valeur absolue des élasticités prix directe et croisée de la demande d’exportation et ε son élasticité revenu60. L’élasticité-prix est un indicateur de la force de la pression concurrentielle sur le marché où la région s’est spécialisée alors que l’élasticité-revenu rend compte de la compétitivité hors-prix de la région

Le taux de croissance du prix régional est dérivé d’une règle de mark-up :

60 Les termes d’interaction sont négligés. On suppose ici, pour simplifier l’écriture, que l’élasticité prix

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p w y p w y t t t t t t = τ⇒$ = $ −$ [II.17]

wt est le niveau des salaires. On pose τ= +1 θ, θ étant le taux de marge des prix sur

les coûts moyens du travail, que l’on suppose ici constant. Enfin, la dernière relation est la loi de Kaldor-Verdoorn :

$ $ $ ,

yt =zt +λYt1 > 0 λ [II.18]

$zt est le taux de croissance autonome de la productivité du travail. Le retard introduit permettra d’analyser la dynamique de convergence des régions.

En substituant les relations [II.16], [II.17], [II.18] dans la relation [II.15], on obtient :

$ $ ( $ $* $ ) $*

Yt = −γφλYt1 +γφ wt −pt −zt +γεYt [II.19] Si l’on suppose (M. Setterfield [1997]) que les relations [II.17] et [II.18] s’appliquent pour la nation, on obtient :

$ $ $ $ $ $ $ $ * * * * * * * * * * y z Y p w y p w z Y t t t t t t t t t t = + = −     ⇒ = − − λ λ 1 1 [II.20]

Si l’on suppose enfin à la suite de Kaldor que la croissance des salaires est égale dans la région et dans la nation, soit $wt = w$*t (en raison notamment des procédures institu- tionnelles et des mouvements de main d’œuvre), et que la croissance de la demande nationale est constante ( $Y* Y$* Y$*

t = t−1 = ), la relation [II.19] s’écrit :

$ $ ( * ) $*

Yt = −γφλYt1+γ φλ +ε Y [II.21]

On en déduit la valeur du taux de croissance à l’équilibre (noté Y ) :

Y= + Y + γ φλ ε γφλ ( * ) $* 1 [II.22]

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cient de Verdoorn de la région (négativement de celui de la nation) et de l’élasticité re- venu de la demande d’exportation, c’est-à-dire à la fois de la compétitivité-prix et de la compétitivité hors-prix de la région. Le signe du taux de croissance est ambigu, puisque φ apparaît au numérateur et au dénominateur. Il dépend donc des valeurs de l’ensemble des paramètres.

On remarque qu’une explication de la croissance de long terme n’équivaut pas à une explication de la divergence des régions : à moins de supposer que l’un au moins des paramètres diffère selon les régions, les différences de taux de croissance ne sont pas expliquées. Nous retrouverons une conclusion similaire avec certains modèles de crois- sance endogène.

Pour analyser la dynamique de transition des économies vers leur taux de croissance d’équilibre, il convient de résoudre l’équation de récurrence [II.21] :

$ $ ( * ) $* Yt A Yt B Ai Y i t = + = − = + = −

0 0 1 avec A γφλ et B γ φλ ε [II.23]

Si l’économie ne se trouve pas à l’équilibre (ou si un choc l’éloigne de son équilibre), la dynamique du modèle va dépendre de A : si A<1, At 0 et

Ai 1 1/ ( A) quand t → ∞ , ce qui implique que $Yt →B/ (1−A)=Y. L’économie converge donc vers son taux de croissance d’équilibre. Si A>1, l’équilibre est instable ; en cas de choc, l’économie diverge de son équilibre de manière exponentielle. Enfin, si A=1, on obtient

$ $

Yt → Y0+tB quand t → ∞ . Dans ce cas, l’équilibre est encore instable, l’économie s’en éloignant linéairement. On remarque que dans ces deux derniers cas, le terme en Y0

apparaît dans l’équation du taux de croissance de long terme, c’est-à-dire que les condi- tions initiales influent sur lui, que « l’histoire compte ». Cependant, ces situations (sur- tout le cas d’une divergence explosive) sont économiquement peu plausibles, d’autant plus que des valeurs raisonnables des paramètres (Dixon & Thirwall supposent que γ=1, λ=1/2, |φ|<2) penchent plutôt pour une valeur de A inférieure à l’unité.

Si l’on suppose que A<1, l’explication des différences de taux de croissance d’équilibre passe donc par une explication des différences dans les valeurs et surtout dans l’évolution des paramètres. R. Dixon & A. Thirwall [1975] proposent deux axes de

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recherche : d’une part, les élasticités prix et l’élasticité revenu de la demande d’exportation, qui dépendent de la nature des biens produits dans la région, sont suscep- tibles de se modifier avec le temps, à mesure que la structure productive des espaces se modifie. D’autre part, il convient de s’interroger sur l’influence de la structure produc- tive sur les paramètres de la loi de Kaldor-Verdoorn61 : R. Dixon & A. Thirwall relient les déterminants de cette loi aux déterminants de la fonction de progrès technique de N. Kaldor [1957]62, dont une spécification (linéaire) possible est :

$ $ $

yt =At + ϕ kt [II.24]

$ $

At et kt sont respectivement le taux de croissance du progrès technique non incorporé et du capital par tête. Ils supposent ensuite que $A $

t et kt sont fonction du taux de crois- sance du produit :

$ $ $ $

At =α1+β1Yt et kt =α2 +β2Yt [II.25]

D’où l’on dérive :

$ $ $ $ yt =zt + Yt zt = + = +    λ α ϕα λ β ϕβ avec 1 2 1 2 [II.26]

α1 est le taux de croissance du progrès technique non incorporé, α2 le taux de crois-

sance autonome de l’intensité capitalistique, β1 et β2 sont respectivement le taux de pro-

grès technique et le taux de croissance de l’intensité capitalistique induits par la crois- sance du produit et ϕ une mesure de l’importance du progrès technique induit par l’accumulation du capital. Si l’on s’accorde sur le fait que ces déterminants varient se-

61 Comme nous avons supposés que $z z$*

t = t, ces termes ont disparu de l’expression du taux de crois-

sance d’équilibre. Il suffit bien sûr de poser l’hypothèse inverse pour qu’ils réapparaissent, justifiant leur endogénéisation.

62 Dans ses premiers travaux, N. Kaldor rejette la formalisation néo-classique de l’activité de production,

qui considère les effets du progrès technique et de l’accumulation du capital comme additifs et indépen- dants. Il lui substitue une fonction de progrès technique qui relie la croissance de la productivité du travail (mesure du progrès technique) à la croissance de l’intensité capitalistique. Il existe alors autant de taux de progrès technique que de taux d’accumulation du capital. L’accumulation du capital est essentielle pour Kaldor, puisqu’elle correspond à la fois à un accroissement de la demande et à un accroissement des ca- pacités de production ; elle constitue l’incitation et le moyen d’une expansion additionnelle (Cf. infra pour une mise en perspective de cette conception).

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lon les secteurs, alors les paramètres de la loi de Kaldor-Verdoorn vont varier selon les régions en fonction de la structure productive des espaces, ce qui conduit à une hétéro- généité des taux de croissance de long terme. La problématique est de ce fait déplacée, une explication de la variabilité sectorielle et temporelle des déterminants étant requise.

Une des limites essentielles du modèle de R. Dixon & A. Thirwall [1975] est de n’imposer aucune limite à la croissance des importations relativement à la croissance des exportations. Cette hypothèse, éventuellement acceptable dans un cadre interrégio- nale, devient insoutenable dans un cadre international. A. Thirwall [1979] remédie à ce problème en introduisant une contrainte de balance des paiements : le commerce exté- rieur est considéré comme la composante essentielle de la demande agrégée, la condi- tion d’équilibre de la balance des paiements contraignant le taux de croissance de long terme.

La condition d’équilibre de la balance des paiements s’écrit :

p Xt t =p Mt* t ⇒p$t+X$t =p$t*+M$ t [II.27] p et p* sont exprimés en monnaie nationale, leur rapport correspond aux termes réels de l’échange63. On ajoute au modèle une fonction de demande d’importation :

M p p Y M p p Y t t t t t t t t =      ⇒ = + * * $ ( $ $ ) $ ψ µ ψ µ [II.28]

Ces deux relations, combinées à l’expression de la croissance de la demande d’exportation (relation [II.16]), nous donnent :

$ ( )( $ $ ) $ * * Yt pt pt Y = 1 φ ψ+ − − +ε µ [II.29]

On pourrait bien sûr procéder de la même manière que dans le modèle précédent, pour obtenir finalement :

63 Dans un cadre interrégional, on peut relâcher la contrainte de balance des paiements en autorisant un

taux de dépassement des importations (noté D) et en partant de la relation pX Dt t =p Mt *

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[

]

Y A Y B A Y i i i t = + + − +        = = −

' $ ' ' ( ) * $* 0 0 1 1 avec A'= -(1+ - ) B'= φ ψ λ µ φ ψ λ ε µ [II.30]

La stabilité de l’équilibre dépend de la valeur de A’.

Cependant, si l’on suppose que la condition de Marshall-Lerner est juste vérifiée, ou si les termes de l’échange ne changent pas sur la longue période, alors le taux de crois- sance d’équilibre de long terme s’écrit :

Y Y Xt

= ε = µ µ

$* $ [II.31]

On qualifie cette relation de loi de Thirwall. Elle indique que les différences de taux de croissance des économies s’expliquent essentiellement par des différences dans les élas- ticités revenus de la demande d’exportation et de la demande d’importation. En d’autres termes, le taux de croissance dépend de l’aptitude du pays (ou de la région) à accroître ses exportations quand la demande mondiale augmente, et du volume d’importation nécessaire à sa propre croissance, ce qui dépend dans une large mesure, comme le sou- ligne N. Kaldor [1981], de la capacité d’innovation et d’adaptation des producteurs (p. 603). Les travaux empiriques menés montrent que cette loi est plutôt bien vérifiée (Cf. A. Thirwall [1979], N. Kaldor [1981], ainsi que le numéro spécial du Journal of Post-

Keynesian Economics [1997] sur la loi de Thirwall)64.

Premiers modèles de croissance endogène, les modèles kaldoriens mettent en évidence les enchaînements essentiels du processus de croissance. Toutefois, les différences de taux de croissance ne sont pas véritablement expliquées, sauf à supposer des dyna- miques instables peu plausibles, auquel cas les conditions initiales sont déterminantes. L’explication des différences de taux de croissance relèvent de différences dans les spé- cialisations sectorielles des espaces et dans les comportements des acteurs, mais ces différences là ne sont pas analysées. Le problème est en quelque sorte simplement dé-

64 B. Amable [1992] fait remarquer que les processus cumulatifs liés à la loi de Kaldor-Verdoorn ont

disparu du modèle. En s’appuyant sur la formalisation de l’accroissement des connaissances de K. Arrow [1962], il propose un modèle permettant de les réintroduire.

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