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1 Le modèle de croissance néoclassique

Dans le document Changement technique et espaces (Page 69-75)

Le modèle de croissance néoclassique, dont les formulations de base ont été exposées par R. Solow [1956] et T. Swan [1956], est suffisamment connu pour ne lui accorder qu’un développement condensé. Nous insisterons par contre un peu plus longuement sur la notion de convergence conditionnelle, abondamment reprise dans les travaux empi- riques récents, afin d’en évaluer le pouvoir explicatif.

Le modèle de croissance de base s’appuie sur la formalisation néoclassique de l’activité de production : une fonction de production agrégée à rendements constants (technologie Cobb-Douglas) relie le produit (Y) aux inputs substituables de travail (L) et de capital (K), rémunérés à leurs productivités marginales positives et décroissantes. Le produit par tête est égal au revenu par tête, qui est épargné dans une proportion cons- tante s47, l’épargne étant totalement investie. L’offre de travail croît au taux constant n et le progrès technique48 au taux g.

Le taux de croissance du produit par unité effective de travail à chaque moment du temps s’écrit :

$ ( ) ( ) ( )

y s k t= α − −1 α − n g+ +δ α [II.8]

Avec y et k respectivement le produit et le capital par unité effective de travail49 et δ le taux de dépréciation du capital.

Sous ces hypothèses, on montre qu’il existe une valeur du capital par tête (notée k*)

47 L’endogénéisation du taux d’épargne (modèle de Ramsey-Cass-Koopmans) ne modifie pas fondamen-

talement les conclusions.

48 Nous retenons un progrès technique neutre au sens de Harrod, (le progrès technique augmente

l’efficacité du travail).

49 C’est-à-dire y=Y/AL et k=K/AL avec A le niveau de la technologie. On en déduit, compte-tenu des

hypothèses du modèle, que $y = Y L A$ − $− $ . Si le taux de croissance du produit par unité effective de travail est nul, le taux de croissance du produit par tête est égal au taux de progrès technique.

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unique, globale et stable qui assure une croissance régulière50. En k*, le taux de crois- sance du produit par tête est nul dans le modèle sans progrès technique, et égal à g dans le modèle avec progrès technique. En d’autres termes, le modèle implique l’exogénéité du taux de croissance de long terme et ne fournit aucune explication de ses détermi- nants. La valeur de k* et, par suite de y*, est déduite de la relation [II.8] :

y s n g * = + +       − δ α α 1 [II.9]

La valeur d’état régulier de y dépend donc positivement du taux d’épargne et négati- vement du taux de croissance de la population et du taux de progrès technique.

Si l’économie ne se trouve pas à son état régulier de croissance (ou si un choc exogène l’en détourne), l’hypothèse centrale de décroissance des rendements du capital assure le retour à l’équilibre : lorsque le capital par tête est bas, la productivité moyenne du capi- tal (et donc le rendement du capital) est élevée. L’épargne étant ici une fraction cons- tante du produit, une faible valeur du capital par tête implique une forte valeur de l’investissement et, par suite, du taux de croissance du capital et du produit par tête. De manière générale, plus le capital par tête est faible, plus le taux de croissance est élevé51. Le même argument s’applique à l’analyse de la convergence : dans un monde à plu- sieurs économies, si l’on suppose que la seule différence tient au niveau initial du capi- tal par tête, le modèle implique qu’à l’équilibre les espaces ont des niveaux et des taux de croissance du produit par tête identiques. C’est seulement pendant la phase de transi- tion vers l’équilibre que des écarts –imputables aux différences dans les situations ini- tiales– peuvent être constatés. Cependant, étant donné que le taux de croissance d’une économie durant cette phase est d’autant plus élevé que l’économie est éloignée de son état régulier, une économie pauvre va croître plus rapidement qu’une économie riche, jusqu’au retour à l’équilibre, synonyme de la disparition des disparités. Rien n’empêche bien sûr de supposer qu’un choc exogène vienne de nouveau perturber la croissance régulière, amorçant une nouvelle phase de transition.

50 L’état régulier de croissance est la situation où les diverses quantités croissent à taux constants. 51 Symétriquement, une valeur de k supérieur à k* implique un taux de croissance du produit par tête

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Formellement, en effectuant un développement limité de Taylor de $y au voisinage de son état régulier (noté y*), on obtient une approximation log-linéaire de l’équation dy- namique du produit par unité effective de travail :

[

]

$ ln * ln ( )

y b≅ y − y t [II.10]

avec b=(1-α)(g+n+δ) la vitesse de convergence, qui ne dépend que de paramètres exo- gènes. Le taux de croissance du produit par unité effective de travail est proportionnel à l’écart séparant l’économie de son état régulier.

La relation [II.10] est une équation différentielle linéaire du premier ordre, dont la so- lution s’écrit :

ln ( ) ln ( )y t y ( e bt) ln * (y e bt) ln ( )y

0 = 1− − − −10 [II.11]

Si, comme c’est le cas ici, on suppose que la valeur d’état régulier de croissance est la même pour toutes les économies, le premier terme du membre de droite peut être omis et l’on procède, comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, au test de β- convergence absolue. La définition de b implique en outre que la croissance d’une éco- nomie est reliée négativement au niveau initial de son produit par unité effective de tra- vail.

Si l’on introduit la possibilité d’un commerce international et/ou d’une mobilité des facteurs de production, on aboutit à la même conclusion d’une nécessaire convergence des économies. L’élément nouveau est que la vitesse de convergence est accrue, les mécanismes invoqués accélérant l’égalisation des prix des facteurs. Prenons l’exemple de l’hypothèse de mobilité (imparfaite)52 des facteurs, qui intéresse particulièrement l’économie régionale : D. Smith [1975], par exemple, introduit dans le modèle de crois-

52 Si la mobilité est parfaite, la vitesse de convergence est infinie. Pour pallier cet inconvénient, D.

Smith [1975] suppose qu’il existe des coûts de transaction qui freinent la mobilité des facteurs. Il retient par exemple pour les mouvements de capitaux une relation de la forme ∆K=v(r-rA)K avec r et rA les taux

d’intérêts de la région et du pays et v le coefficient de mobilité. Dans le même sens, R. Barro & X. Sala i Martin [1996, chapitre 3], dans un modèle avec mobilité du capital, distinguent deux types de capital (capital physique et capital humain), ce dernier ne pouvant servir d’hypothèque aux prêts étrangers. Ils montrent alors que l’économie ouverte sous contrainte de crédit à un taux de convergence plus élevé que l’économie fermée (p. 118). Ils obtiennent un résultat analogue dans un modèle avec migration (Ibid., chapitre 9).

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sance néoclassique le mécanisme selon lequel les mouvements des facteurs entre les économies sont liés aux différentiels de prix des facteurs. Sachant que le produit par tête est une fonction positive du capital par tête, le taux de croissance du produit par tête sera d’autant plus fort que le taux de croissance du capital est élevé et que le taux de croissance du travail est faible. Or, un produit par tête faible correspond à une rémuné- ration forte du capital et faible du travail. Les facteurs s’orientant en fonction des diffé- rentiels de rémunération, une économie caractérisée par un produit par tête faible va connaître une entrée du facteur capital et une sortie du facteur travail, s’assurant ainsi un taux de croissance du produit par tête plus élevé. C’est donc encore la propriété de dé- croissance des rendements du capital qui détermine les mouvements des facteurs et as- sure la convergence de long terme des économies.

Comme nous l’avons déjà dit, le modèle de Solow n’implique une convergence des économies que si celles-ci ne diffèrent que par leurs niveaux initiaux de capital par tête. Dans l’hypothèse inverse où les économies diffèrent dans leurs structures, les états régu- liers de croissance vont être distincts et la convergence du produit par tête n’est plus assurée. Le modèle de Solow implique alors que chaque économie converge vers son propre état régulier de croissance d’autant plus rapidement qu’elle en est éloignée, im- plication que l’on qualifie de convergence conditionnelle.

Soulignons que cette argumentation, qui permet d’affirmer que l’absence de conver- gence n’invalide pas le modèle de Solow, n’est pas nouvelle : G. Borts & J. Stein [1964] dans leur ouvrage de référence expliquent ainsi que la thèse de G. Myrdal, fondatrice de l’école de la divergence (Cf. infra), peut être interprétée dans le cadre du modèle néo- classique si l’on suppose, par exemple, qu’il existe des différences permanentes dans les taux de progrès technique.

Formellement, l’existence de différences structurelles interdit de négliger le terme y* de la relation [II.11] dans les travaux empiriques. Si l’on considère que les positions d’état régulier sont correctement résumées par les vecteurs Xi des variables structu-

relles, on dérive de la relation [II.11] le test de β-convergence conditionnelle définie au premier chapitre (relation [I.5]) :

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ln ( ) ln ( )y ti − yi 0 = α β+ ln ( )yi 0 +ψXi( )0 +ε [II.12] La notion de convergence conditionnelle est de peu d’utilité si l’objectif premier est d’analyser la convergence des économies, car elle ne nous renseigne pas, tout au moins pas directement, sur l’évolution des positions relatives des économies, mais sur l’évolution de chaque économie par rapport à son propre état régulier. Le choix du terme de convergence est en ce sens plutôt malheureux, et doit se comprendre dans le sens mathématique d’une séquence de nombre convergeant vers une certaine valeur. Il conviendrait plutôt de parler d’analyse des dynamiques de transition (C. Jones [1997], p. 28).

Elle semble d’une plus grande utilité, par contre, si l’objectif est ‘d’expliquer’ les dif- férences de taux de croissance entre économies. Supposons par exemple que les diffé- rences structurelles se résument à des différences de taux d’épargne (le vecteur X se ramène alors à cette variable). Si le test de β-convergence conditionnelle est validé et si cette variable est significative on peut en déduire que les différences dans les taux de croissance s’expliquent par des différences de taux d’épargne et par des différences de situation initiale. A terme, seuls les pays dont les taux d’épargne sont suffisamment proches convergent. On peut en déduire qu’une action appropriée des pays pour lesquels le taux d’épargne est plus faible permettrait une convergence qualitative (structurelle) —c’est-à-dire rapprocherait les positions d’état régulier des pays— préalable nécessaire à une convergence absolue des économies. L’enjeu essentiel est dès lors celui du choix des variables structurelles supposées rendre compte des différences d’état régulier.

La démarche la plus rigoureuse, nous semble-t-il, a été proposée par G. Mankiw, D. Romer & D. Weil [1992] : elle consiste à dériver du modèle de croissance néoclassique les variables structurelles à introduire dans la régression, en combinant les relations [II.9] et [II.11], soit :

ln ( ) ln ( ) ( ) ln ( ) ln( ) ( ) ln ( ) y t y e s e n g e y bt bt bt − = − − − − − + + − − − − − 0 1 1 1 1 1 0 α α α α δ [II.13]

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teurs concluent que les différences de taux d’épargne, d’éducation et de croissance de la population53 expliquent l’essentiel des écarts internationaux de croissance constatés. Ces tests semblent donc démontrer le pouvoir explicatif du modèle (augmenté) de So- low, R. Barro [1997] déclarant que « c’est sûrement une ironie qu’un des derniers effets de la croissance endogène a été de stimuler des travaux empiriques qui démontrent le pouvoir explicatif du modèle de croissance néo-classique » (p. x). Nous opposons deux objections fortes à leurs conclusions :

i) à moins d’assimiler pouvoir explicatif et significativité statistique, à proprement parler, le modèle n’explique rien, puisque les variables structurelles retenues sont exogènes. Tout au plus peut-on dire que les résultats invitent à une réflexion sur les causes des différences dans les valeurs des variables exogènes et sur les conditions d’une convergence qualitative des économies,

ii) une hypothèse forte du travail de G. Mankiw, D. Romer & D. Weil [1992] est celle d’une constance du progrès technique à travers les pays. Il semble pour le moins surprenant que le changement technique –source essentielle de la croissance– ne joue aucun rôle dans les différences internationales constatées. En suivant P. Romer [1996], on peut dire que si l’objectif est de tester des modèles, l’exercice est réussi, mais s’il s’agit de comprendre le monde, le résultat est loin d’être convaincant54. Les travaux empiriques se sont ensuite multipliés, conduisant à l’introduction, au total, de plus de quatre-vingt variables55, la justification de leur introduction reposant sur une interprétation large de la technologie (X. Sala i Martin [1996], p. 1028), qui n’est pas sans rappeler les travaux de décomposition de la PTF évoqués plus haut. Soulignons d’abord qu’à la différence du travail de Mankiw, Romer et Weil, la plupart de ces tra-

53 Les auteurs retiennent en fait une version augmentée du modèle de Solow, en introduisant un deu-

xième facteur accumulable (le capital humain) mais en préservant l’hypothèse de rendements globaux constants. La logique n’est en rien modifiée par cette omission, destinée à clarifier l’exposé.

54 Rappelons également que la convergence conditionnelle peut masquer une convergence locale (S.

Durlauf & P. Johnson [1995]).

55 S. Durlauf & D. Quah [1998] recensent très précisément 87 variables, dont un grand nombre sont si-

gnificatives, classées en 36 catégories différentes. Ils rappellent que l’échantillon (extrait le plus souvent de la base de données de R. Summers & A. Heston [1991]) est constitué d’une centaine d’observations ... X. Sala i Martin [1997] teste, dans un article au titre évocateur I Just Ran Two Million Regressions, 59 variables, dont 22 sont significatives. Il s’agit d’indicateurs régionaux, politiques, religieux, sur les distor- sions de marché, les types d’investissement, l’importance du secteur primaire, le degré d’ouverture, la forme d’organisation économique, etc. Que l’auteur y voit une explication robuste de la croissance nous

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vaux ne dérivent pas les variables structurelles d’un modèle de croissance, mais les ajoutent de manière ad hoc, certaines variables étant parfois en contradiction avec les hypothèses de base du schéma d’interprétation néoclassique. Le fait qu’un grand nombre de ces variables soient statistiquement significatives trahit certainement des interdépendances fortes et/ou la présence de circularités : certaines des variables qui influent sur la croissance de la productivité voient en retour leur valeur augmenter à mesure que la productivité croît (W. Baumol [1994], R. Hall & C. Jones [1997]), ce qui nous renvoie à la notion de convergence locale. Ensuite, en plus de l’interdépendance des variables introduites, le fait qu’elles ne sont pas mutuellement exclusives, et que l’on ne puisse les hiérarchiser rend peu crédible l’affirmation selon laquelle un sous- ensemble de ces variables rend effectivement compte des différences structurelles entre les économies (S. Durlauf & D. Quah [1998]).

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