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1 Introduction et état de l’art

1.4 La modélisation numérique des glaciers

1.4.1 Les modèles glaciaires

Depuis ses débuts dans les années 70s, la modélisation numérique des glaciers et des calottes glaciaires, permet d’une part de prédire l’évolution future ou passée des glaciers en simulant leur dynamique par rapport à des scénarii climatiques et l’évolution temporelle est donc considérée (nommé alors modèles « prédictifs » ou « prognostiques ») ; et d’autre part d’explorer les processus fondamentaux qui contrôlent et influencent leur dynamique et alors les modèles sont statiques (ce sont alors des modèles dit « diagnostiques » ou « prospectifs »). La complexité de ces modèles dépend évidemment de la question de recherche posée, mais a aussi évoluée au cours du temps à mesure que les capacités de calcul des ordinateurs ont augmenté. Les modèles numériques sont des outils capables de faire émerger des comportements, des rétroactions entre processus non-intuitifs de prime abord et difficile à appréhender pour l’esprit humain par la seule connaissance des équations physiques qui régissent le comportement de corps tels que les glaciers. En revanche, leur utilisation et l’interprétation des résultats qui en découlent se doit toujours d’être fait aux regards des hypothèses a priori qui ont été implémentées pour décrire, par exemple, la dynamique des glaciers. Dans cette section, je présente une revue non-exhaustive des différentes catégories de modèles d’évolution de paysages glaciaires avec leur avantages et inconvénients associés.

L’un des premiers critères définissant la résolution et la complexité d’un modèle glaciaire est l’échelle spatiale et temporelle que l’on souhaite étudiée. En effet, simuler l’écoulement d’une calotte glaciaire à l’échelle d’un continent par exemple, limite la résolution de la grille du modèle à considérer, car une trop grande résolution (e.g. 100 m) augmente drastiquement le temps de calcul. Leur résolution est donc souvent de l’ordre du kilomètre (Benn and Evans, 2014). Un deuxième critère est l’objet lui-même que l’on souhaite modéliser. Par exemple, l’écoulement des glaciers de montagnes est très sensible à la topographie et à la rugosité du substrat sur lequel ils s’écoulent (Hindmarsh, 2006). Au contraire, les calottes glaciaires de par leur extension spatiale (i.e. plusieurs centaines voire milliers de kilomètres avec une épaisseur de plusieurs kilomètres) sont beaucoup moins sensible à la topographie sous-jacente. Ainsi, la complexité des équations décrivant l’écoulement des glaciers de montagnes sera plus grande. En revanche, il est à noter que tous les modèles numériques sont par définition des approximations, et des simplifications, des processus à l’œuvre dans la nature, et n’ont pas vocation à

décrire tous les processus dans le détail et leur complexité naturelle mais plutôt à simuler des comportements. En effet, on ne peut, à l’échelle d’un glacier, modéliser par exemple la rotation, la déformation et l’interaction de chaque cristal de glace qui le compose pendant son écoulement. Ainsi, les modèles numériques doivent être perçus comme des outils d’exploration permettant de tester des hypothèses (ce qu’elles impliquent, retrouve-t-on ces données dans la nature ?), de guider les explorations sur le terrain (voir chapitre 4), ou encore de guider les politiques en définissant des scénarii probables d’évolution des glaciers suivant les connaissances du moment (exemple des rapports du groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, GIEC).

La glace est un fluide visqueux non-linéaire, sa capacité à s’écouler n’augmente pas de façon constante avec les contraintes qui lui sont appliquées (section 1.2.1). La description la plus précise que l’on puisse faire pour caractériser l’écoulement de la glace soumise à des contraintes, est de résoudre les équations de la dynamique des fluides de Navier-Stokes. Seulement, leur résolution demande des techniques de calcul lourdes qui augmentent les temps de calcul (Hindmarsh, 2004; Pattyn, 2008). Ainsi, une simplification de ces équations doit être faite pour une efficacité de calcul. La méthode la plus utilisée est appelée l’approximation de la couche mince (« Shallow Ice Approximation » en anglais, Hutter, 1983; référé ensuite par le terme SIA). Pour simplifier les équations de Stokes, cette approximation se base sur un paramètre d’échelle, appelé rapport d’aspect, qui dimensionne les variables contrôlant l’écoulement de la glace entre elles et permet d’identifier celles dont la contribution à l’écoulement est petite, pour les négligés (Baral et al., 2001; Kirchner et al., 2016). Ce rapport d’aspect est défini par :

𝜖 =[𝐻]

[𝐿] , (1. 5)

Où [H] et [L] sont les dimensions caractéristiques verticale et horizontale de chaque variable. Par exemple, [H] peut représenter l’épaisseur de glace et [L] son extension type. Dans le cas des calottes glaciaires, ces dimensions types (avec une épaisseur de x103 m et une extension spatiale de x105-106 km) définissent un rapport d’aspect très petit d’environ 10-3 (Baral et al., 2001). Dans les SIA, le dimensionnement des variables par un paramètre d’échelle est combiné à un développement en série du rapport d’aspect qui permet de trouver des solutions aux équations d’écoulement de glace hautement non-linéaires. Ainsi chaque variable (F) est approximée par une série finie de perturbations :

𝐹~ ∑ 𝜖𝜐𝐹(𝜐) = 𝜖0𝐹(0)+ 𝜖1𝐹(1)+ 𝜖2𝐹(2)+ ⋯ + 𝜖𝑛𝐹(𝑛)

𝜐=0

, (1. 6)

Chaque contribution d’ordre supérieur augmente la justesse de l’approximation par SIA. Les modèles les plus simples considèrent seulement le premier terme du développement en série et sont catégorisés comme SIA d’ordre zéro. Ces modèles réduisent la diversité des contraintes contrôlant l’écoulement de la glace à la simple résistance du substrat rocheux parallèle à la direction d’écoulement de la glace (Le Meur et al., 2004), négligeant ainsi les contraintes dans le plan horizontal (Figure 1.10). De plus, ces derniers requièrent que les pentes de surface de la glace et la pente du substrat rocheux soient faibles, et donc que le rapport d’aspect soit au moins inférieur à 10-2 (Baral et al., 2001). Les SIA d’ordre zéro sont souvent utilisés pour modéliser les calottes glaciaires à grande échelle mais ont également été utilisé dans le cadre de glaciers de montagnes avec des facteurs de corrections appliqués dans ce cas (Herman and Braun, 2008; Kessler et al., 2008). En effet, le confinement des glaciers de montagnes ou de fjords dans les vallées réduit leur extension spatiale au regard de leur épaisseur ce qui augmente le rapport d’aspect et diminue la justesse de l’approximation SIA d’ordre zéro. Dans ce cas, l’écoulement des glaciers est fortement influencé par les flancs des vallées qui réduisent l’écoulement de la glace à leur contact, mais aussi par la rugosité du substrat rocheux capable de contrôler les mouvements de compression et d’extension de la glace (i.e. par la formation de crevasses) parallèlement à l’écoulement. Ainsi, les contraintes dans les plans horizontal et longitudinal doivent être prises en compte (e.g. Hindmarsh, 2006; Figure 10). Ceci est réalisé en considérant les contributions d’ordre supérieur dans le développement en série (Eq. 2). Plusieurs modèles d’ordre supérieurs existent avec certaines particularités (Hindmarsh, 2004; Pattyn, 2003; Schoof and Hindmarsh, 2010).

Le programme simulant l’évolution de paysages glaciaires utilisé dans cette thèse, iSOSIA (Egholm, 2011), utilise une approximation par SIA de second ordre (SOSIA), couplé à une intégration de la

Figure 1.10. Bilan des forces contrôlant l’écoulement des glaciers et définissant la complexité des modèles numériques. Les

profondeur et est configuré pour permettre la modélisation de glaciers de montagnes. Je présente une description complète d’iSOSIA dans le chapitre 2.