• Aucun résultat trouvé

2 Méthodologie

2.2 Méthodes thermochronométriques

2.2.1 Le thermochronomètre traces de fissions sur apatite (AFT)

Les traces de fissions sont des dommages, de forme allongée et droite, du réseau cristallin des minéraux créés par la fission spontanée d’uranium 238 (238U). Lors de sa désintégration spontanée, l’238U libère deux particules très énergétiques et chargées positivement dans deux directions opposées. Ces produits fils de désintégration vont ioniser les atomes environnant et ainsi endommager le réseau cristallin en formant une trace caractéristique, appelée la trace de fission (Fleisher et al., 1975). Lors de leur formation dans l’apatite, ces traces sont longues de ~16 μm et large de quelques nanomètres (Paul and Fitzgerald, 1992). Cependant, leur taille peut diminuer par cicatrisation, via un processus de diffusion qui dépend en grande partie de la température (Green et al., 1986). Pour l’apatite cette cicatrisation est efficace au-delà de 120±10 °C et commence à ~60°C. La gamme de température entre ces valeurs limites définie la zone de cicatrisation partielle du thermochronomètre AFT (Gleadow and Duddy, 1981). Les traces de fission étant les produits fils de la désintégration de l’238U, l’équation d’âge radiométrique (cf. équation 1.12, chapitre 1) peut être utilisée par calculer l’âge thermochronologique d’un cristal d’apatite, en comptant le nombre de ces traces intersectant une surface donnée du minéral

Figure 2.3. Représentation de la grille régulière utilisée dans iSOSIA pour la résolution des équations par la méthode des

différences finies. Chaque cellule d’index ij, est définie par quatre nœuds (carré en pointillé) où sont définies les variables telles que les composantes en x et y du taux de déformation (𝜺̅̇), de la vitesse (𝒖ഥ) et les contraintes (𝒔̅) moyennés en profondeur, ainsi que l’altitude de surface de la glace (h) et du substrat (b). La mise à jour des valeurs des nœuds voisins est calculée en parallèle pour une même couleur (noire ou rouge).

(proxy de leur densité) et en mesurant la concentration d’238U actuelle. Cependant, l’238U ne se désintègre pas uniquement via la fission spontanée mais aussi par désintégration α (i.e. émission d’un atome d’hélium) et β (i.e. émission d’un électron ou positron). L’équation 1.12 se modifie donc en :

𝑡 = 1 𝜆𝑇ln ( 𝜆𝑇 𝜆𝑠 𝑁𝑠 𝑈 238 + 1) , (2. 17)

Où λT = λd + λs, est la constante de décroissante radioactive totale de l’238U par fission, λs, et par désintégration α ou β, λd ; et Ns le nombre de traces de fission spontanées.

A cause de leur faible épaisseur, les traces de fission ne sont pas observables avec un microscope optique. Pour remédier à cela, une attaque à l’acide nitrique (HNO3) est nécessaire (Green et al., 1986), sur une surface polie du cristal. Une fois ces traces révélées, leur comptage peut être réalisé au microscope optique. L’estimation de la concentration en uranium (i.e. l’élément père) dans le cristal, peut se faire par deux méthodes différentes que sont (1) le détecteur externe et (2) l’analyse par LA-ICP-MS (pour Laser Ablation-Inductively Coupled Plasma-Mass Spectrometry), dont je fais une description très succincte ici. La première est la plus ancienne et a été la plus utilisée (Gallagher et al., 1998; Gleadow, 1981; Hurford and Green, 1982). La méthode du détecteur externe consiste a envoyé l’échantillon cible dans un réacteur nucléaire, où il est soumis à un flux neutronique qui va induire la fission d’235U présent dans le cristal d’apatite et créer de nouvelles traces de fission dites « induites ». Les intersections de ces traces induites (indiscernable des traces spontanées originelles) avec la surface polie du cristal sont enregistrées grâce à une feuille de mica préalablement collée au cristal d’apatite, qui sert alors de « détecteur externe ». La concentration en 238U est alors estimée par la concentration de ces traces induites, proxy de la concentration en 235U ; puisque le rapport 235U/238U est constant dans la nature (Braun et al., 2006). L’équation d’âge AFT devient alors :

𝑡 = 1 𝜆𝑇

ln (𝜆𝑇𝜁𝜌𝑠𝑔𝜌𝑑 𝜌𝑖

+ 1) , (2. 18)

Où g est un facteur géométrique, ρs et ρi la densité de traces de fission spontanées et induites respectivement, et ρd la densité de trace induites dans le dosimètre servant à mesurer le flux de neutron reçu par l’échantillon dans le réacteur. Le terme zéta (ζ) regroupe des termes difficiles à contraindre tels que λs, 235U/238U, ou encore le flux de neutron. La valeur de ce paramètre est obtenue pour chaque expérimentateur par le comptage des traces de fission d’échantillon « standards » d’âge connus, en réarrangeant l’équation 2.18. Avec la méthode du détecteur externe, il est possible d’identifier la distribution de la concentration d’uranium au sein du cristal et ainsi identifier des zonations pouvant conduire à surestimer l’âge AFT. Cependant, cette méthode est limitée par la qualité des irradiations, la disponibilité de plus en plus limité des réacteurs, les délais pour l’envoi, l’irradiation et la décontamination (radioactive) des échantillons pouvant prendre plusieurs mois (Hasebe et al., 2004).

C’est ainsi que la méthode par LA-ICP-MS s’est imposée progressivement pour l’application aux traces de fission (Cox et al., 2000), car elle nécessite moins de préparation des échantillons et plusieurs concentrations d’éléments peuvent être mesurées en une seule ablation laser, tels que les terres rares et éléments traces (Chew et al., 2016; Hasebe et al., 2004; O’Sullivan et al., 2020). La méthode par LA-ICP-MS, estime la concentration en uranium dans le cristal cible en comparant, pour l’apatite par exemple, le ratio 238U/43Ca, dans deux standards de concentration en uranium connue (e.g. NIST610 et 612; Jochum et al., 2011), ainsi que dans l’échantillon analysé. L’équation d’âge thermochronologique pour l’EDM (équation 2.18) est modifiée pour l’analyse LA-ICP-MS, et devient pour une zone de comptage :

𝑡 = 1

𝜆𝑇ln (𝜆𝑇𝜁𝐼𝐶𝑃 𝑁𝑠

𝛲𝛺+ 1) , (2. 19)

où 𝛲 est le ratio 238U/43Ca pour le cristal analysé et 𝛺 l’aire de la zone de comptage. Durant les analyses par LA-ICP-MS, des déviations systématiques (< 5-10%) dans la concentration en U mesurée entre sessions d’analyses se produisent (Chew et al., 2016; Cogné et al., 2020). Pour corriger ces déviations, l’approche du zéta (𝜁𝐼𝐶𝑃) a été adaptée pour la technique LA-ICP-MS (Cogné et al., 2020; Donelick et al., 2005).

2.2.2 Le thermochronomètre (U-Th)/He sur apatite (AHe)

L’hélium (4He) est un produit de désintégration radioactive. Il est formé majoritairement dans les chaînes de désintégration de l’uranium et du thorium, en plomb ; et en quantité souvent négligeable par la désintégration radioactive du samarium 147 en néodyme 143. Sa diffusion au sein du réseau cristallin des minéraux est dépendant de la température, ce qui lui a valu d’être étudié en tant que thermochronomètre (Farley, 2000; Wolf et al., 1996; Zeitler et al., 1987). Cette diffusion D(T) suit une loi d’Arrhenius :

𝐷(𝑇) 𝑎2 = 𝐷0

𝑎2𝑒𝑅𝑇𝐸𝑎, (2. 20)

où T est la température, 𝑎 est la taille du domaine de diffusion (m), 𝐷0 et Ea sont le coefficient de diffusivité de l’hélium et l’énergie d’activation qui est l’énergie requise pour la diffusion (D0 ≈ 5x10-3

m2 s-1, et Ea = 138±2 kJ mol-1, pour l’apatite ; Farley, 2000), et R est la constante des gaz parfaits (~8.314 j mol-1 K-1).

La quantité d’hélium à l’instant t est déterminée par l’équation suivante, issu de la chaine de désintégration de chaque élément père (U-Th-Sm) :

𝐻𝑒 4 = 8 𝑈(𝑒𝜆238𝑡− 1) + 7 𝑈 238 137.88(𝑒 𝜆235𝑡− 1) + 6232𝑇ℎ(𝑒𝜆232𝑡− 1) +147𝑆𝑚(𝑒𝜆147𝑡− 1) 238 , (2. 21)

4𝐻𝑒, 238𝑈, 235𝑈, 232𝑇ℎ, 147𝑆𝑚, sont les concentrations actuelles mesurées dans le minéral analysé, t est le temps depuis la fermeture du système thermochronologique (i.e. l’âge), et λ les constantes de désintégration respective de ces éléments, où 𝜆238= 1.511𝑥10−10 an-1, 𝜆235= 9.849𝑥10−10 an-1, 𝜆232= 4.948𝑥10−11 an-1, et 𝜆147= 6.540𝑥10−12 an-1. Le rapport actuel entre les isotopes de l’uranium (235U/238U) est de 1/137.88.

Toutefois la quantité d’hélium mesurée ne reflète pas sa seule accumulation au cours du temps, car plusieurs facteurs peuvent engendrer des pertes et/ou gains d’hélium dans le réseau cristallin source, ainsi que des rétentions d’hélium décorrélées de l’effet de la température. En effet, par exemple lors de sa production par désintégration des éléments pères (U, Th, et Sm), l’hélium possède assez d’énergie pour traverser une distance de l’ordre de ~20 μm (Farley et al., 1996), qui peut être suffisante pour s’éjecter du réseau cristallin et « contaminé » le minéral voisin. Cet effet doit donc être considéré lors du calcul d’âges (U-Th)/He (AHe), en appliquant des facteurs de correction qui tiennent compte de la taille et la géométrie du cristal considéré (Farley et al., 1996; Gautheron et al., 2012). Également, la fission naturelle d’238U (trace de fission), l’éjection d’hélium et le recul de l’atome père, créent des zones de dommages du réseau cristallin qui affectent la diffusion d’hélium au sein du minéral favorisant sa rétention (Shuster and Farley, 2009). Des modèles de corrections ont ainsi été développé pour tenir compte de cet effet dans le calcul d’âge AHe (Flowers et al., 2009; Gautheron et al., 2009; Recanati et al., 2017; Willett et al., 2017). Parmi ces facteurs pouvant biaiser l’âge AHe, d’autres sont reliés à la présence d’inclusions (zircon, monazite) et de zonations d’éléments père au sein du minéral cible (Gautheron et al., 2012).

La température de fermeture pour le système (U-Th)/He sur apatite, dépend notamment de la taille du cristal et de la vitesse de refroidissement, et a été contrainte entre environ 70°C (pour un rayon équivalent de grain de 70 μm et un taux de refroidissement de 10°C/km ; Farley, 2000) et 55°C pour une apatite dépourvue de dommage de radiation (Shuster et al., 2006). Une zone de rétention partielle pour l’hélium comprise entre 45°C et 80°C, est ainsi admise (Farley, 2000; Wolf et al., 1996).