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5 Datations AFT détritiques dans la vallée de l’Awatere, Nouvelle-Zélande : exhumation de la

5.5 Discussion

5.5.1 Qualité des données et limites de l’étude

Les grains d’apatites collectés dans la vallée de l’Awatere ont montré une faible qualité pour le comptage des traces de fission. Beaucoup de défauts sont présents dans les grains et la discrimination avec les traces de fission s’est avérée difficile (voir Annexe 5.2). Ainsi, les erreurs relatives importantes (i.e. >30%) pour une grande part des âges détritiques sont reliées à la faible qualité des grains détritiques, et donc au processus de comptage. Une explication de la densité importante des défauts observée dans les apatites détritiques, peut provenir de l’instabilité chimique des apatites confrontées aux eaux de surface parfois acides et favorisant leur dissolution (Morton and Hallsworth, 1999), cependant cela reste conjectural.

Certains échantillons contiennent peu d’apatites (i.e. <48, échantillons n°2, 4, 5, et 7) et les distributions d’âges calculées sont donc peu significatives statistiquement, au regard de la représentativité des âges AFT des roches situées en amont dans le bassin de drainage, où généralement une centaine d’apatites sont requises (Vermeesch, 2004). Ainsi, je reste prudent quant à la fiabilité des histoires thermiques de ces échantillons, bien que l’écart entre la distribution d’âges prédite et celle observée puisse être faible pour certains d’entre eux (échantillon n°2, 5, et 7). En effet, je relie la fiabilité des histoires thermiques modélisées avec la prédiction de la distribution d’âge observée. De fait, une distribution détritique mal contrainte (non significative en termes statistiques), propage inévitablement sa fiabilité aux histoires thermiques modélisées. Il convient donc de rester prudent dans la transposition des histoires thermiques modélisées à l’histoire thermique réelle de la zone d’étude.

Les incertitudes importantes sur les âges AFT détritiques empêchent d’établir une relation claire de ces derniers avec les compositions respectives en chlore des apatites analysées, pouvant expliquer la dispersion des âges (Gleadow et al., 2002; Gleadow and Duddy, 1981; Green et al., 1985; O’Sullivan and Parrish, 1995). Cela m’a value d’adopter une stratégie d’exploration des données « naïve » dans laquelle je regroupe les apatites en profile vertical pour l’inversion dans chaque échantillon.

5.5.2 Fertilité en apatites dans la vallée de l’Awatere

A travers la vallée de l’Awatere, la fertilité en apatites varie fortement. Les zones les plus fertiles proviennent de la partie centrale de la vallée près du complexe igné du mont Tapuaenuku, ce qui était attendu a priori (Baker et al., 1994). Des échantillons contenant peu d’apatites (< 50) ont été observés à travers la vallée de l’Awatere, avec un échantillon en particulier montrant une fertilité quasi-nulle (échantillon n°3). Ce dernier avait été collecté afin de modéliser les histoires thermiques du bloc tectonique situé au nord de la faille Awatere, afin d’évaluer l’impact de sources allochtones au bloc tectonique de la chaine interne de Kaikoura. Cette analyse n’a cependant pas pu être réalisée car seulement une apatite a pu être analysée (Annexe 5.2). Une fertilité importante (> 100 apatites)

inattendue a cependant été trouvée dans la partie amont de la vallée de l’Awatere (échantillon n°1) où aucune source évidente n’est identifiée sur la carte géologique (Figure 5.2B). Cela peut suggérer qu’une source locale non-identifiée peut être à l’origine de cette fertilité, ou qu’une source diffuse ait été concentrée par le transport par les rivières (Malusà et al., 2016). Une possibilité est que cette source diffuse provienne des terrains de Pahau, qui représentent un mélange de lithologies dominé par des grès et argilites mais contenant également des roches volcaniques telles que des basaltes et dolérites, ainsi que des roches métamorphiques de faible grade (<250°C) de faciès Zéolite et à prehnite-pumpellyite (Rattenbury et al., 2006). L’apatite est un minéral présent dans la plupart des roches cristallines et métamorphiques de faible à haut grade (O’Sullivan et al., 2020). De plus, la présence d’apatites dans la majorité des échantillons récoltés à travers la vallée Awatere suggère que les terrains de Pahau représentent cette source diffuse. Enfin, il est également possible que la source des apatites dans la partie amont de la vallée de l’Awatere trouve son origine plus à l’ouest dans la région de Marlborough. En effet, un découpage récent du réseau de drainage de la rivière Awatere dans sa partie amont, favorisé par la surrection continue de la région de Marlborough, a probablement restreint l’aire de drainage du bassin de l’Awatere dans sa configuration actuelle (Duvall et al., 2020), isolant ainsi ce dernier des potentielles sources d’apatite en amont.

Les analyses réalisées par LA-ICP-MS permettent la mesure de concentration de plusieurs éléments par session d’analyse, dont les éléments traces et les terres rares, ainsi que le plomb utilisé pour la détermination d’âge géochronologique U-Pb (Chew and Donelick, 2012). Il est ainsi envisagé, dans une prochaine étape de travail, une exploration des spectres de terres rares et des concentrations en éléments traces, combinée aux âges U-Pb, pour réaliser des analyses de provenance des sources des apatites. Ces dernières pourraient permettre, dans un premier temps, de discriminer les différentes sources d’apatites présentes dans les distributions détritiques, en s’intéressant par exemple à l’évolution du rapport Sr/Y contre la concentration totale en terres rares légères (O’Sullivan et al., 2020). De plus elles pourront apporter des éléments nouveaux sur la réorganisation du système de drainage de la vallée de l’Awatere, en identifiant potentiellement des sources allochtones au bassin actuel, et ainsi contraindre l’évolution de la vallée par rapport à la rotation de la région observée entre 50 à 130° de la depuis ~20 Ma (Hall et al., 2004; Lamb, 2011; Randall et al., 2011).

5.5.3 Histoires thermiques dans la chaine interne de Kaikoura

La plupart des histoires thermiques long-terme modélisées pour chaque échantillon détritique à travers la vallée de l’Awatere, montre un séjour prolongé des apatites dans la zone de cicatrisation partielle des traces de fission (60°C < ZCP < 120°C), au cours du Mésozoïque et jusqu’à la fin de l’Eocène-début Oligocène (40-35 Ma). Ce dernier est requis pour expliquer les distributions des âges détritiques observées (incorporant généralement des âges supérieurs à 200 Ma), sous l’hypothèse que les apatites partagent la même histoire thermique. La majorité de ces histoires thermiques, suggèrent un

refroidissement récent des échantillons entre 40 et 10 Ma, avec une préférence entre 20 et 10 Ma (échantillons n°1, 2, 5, 6 et 7).

De précédentes analyses thermochronologiques AFT, mais aussi (U-Th)/He sur apatite et zircon (AHe et ZHe respectivement), effectuées dans la zone (Baker and Seward, 1996; Collett et al., 2019), suggèrent une exhumation de la chaine interne de Kaikoura en deux phases au cours du Cénozoïque. La première est datée entre 40 Ma et 20 Ma, et serait limitée aux blocs tectoniques supérieurs de failles inverses aujourd’hui identifiées comme les grandes failles du système de Marlborough (Wairau, Awatere, Clarence, et Hope) ayant principalement un déplacement dextre (Randall et al., 2011). Cette première phase d’exhumation est également retrouvée plus au sud-est dans la chaine externe de Kaikoura mais initiée plus tard à ~19 Ma (Collett et al., 2019). La seconde phase d’exhumation est supportée par des âges AHe entre 10 Ma et 5 Ma présents sur les blocs supérieurs et inférieurs de la faille Clarence (Figure 5.2B), près du complexe igné du mont Tapuaenuku. Ces âges jeunes de chaque côté de la faille suggèrent ainsi une seconde phase d’exhumation uniformisée sur l’ensemble de la chaine interne de Kaikoura.

Les histoires thermiques détritiques sont en accord avec une initiation entre 40 et 20 Ma de la surrection de la chaine interne de Kaikoura, en suggérant un refroidissement autour de 20 Ma, bien que la gamme de refroidissement entre 20 et 10 Ma de l’ensemble des histoires thermiques sous-estime le timing d’exhumation de la première phase inférée par Baker et Seward (1996) et Collett et al. (2019). Toutefois, sur les 7 échantillons détritiques utilisés pour l’inversion, 4 contiennent moins de 50 apatites questionnant la représentativité des distributions d’âges observées (Vermeesch, 2004) et donc les histoires thermiques associées ; 3 contiennent un nombre satisfaisant d’apatites (> 100) mais la procédure de modélisation est à revoir pour l’un d’entre eux (échantillon n°8). Les deux échantillons restants (n° 1 et 6), suggèrent un refroidissement des apatites à travers la ZCP entre 20 Ma et 10 Ma. Ces échantillons se situent dans la partie amont de la vallée de l’Awatere (échantillon n°1) et dans la partie centrale (échantillon n°6), ce qui suggère une exhumation uniforme du bloc tectonique de la vallée Awatere dans la première phase d’exhumation. Cependant, les grandes incertitudes sur les âges détritiques (> 30%) réduisent la fiabilité de ces timings de refroidissement.

Une hypothèse forte derrière la modélisation des histoires thermiques détritiques réalisée ici est de considérer que les apatites d’un même échantillon partagent une histoire thermique similaire. Or, des échantillons séparés par des failles sont susceptibles d’avoir enregistré une histoire de refroidissement différente (Braun et al., 2012; Ehlers, 2005; Fitzgerald and Malusà, 2019). Ce biais n’a pas pu être évalué dans cette étude, car l’échantillon pertinent n’a fourni qu’une seule apatite datable. Toutefois, des âges AFT in-situ prélevés dans la vallée de l’Awatere existent dans la littérature (Baker and Seward, 1996; Kao, 2001). La distribution spatiale de ces derniers montre des âges fin Jurassique-début Crétacé près de la faille Awatare, et des âges AFT jeunes Miocène (~25 Ma) plus au sud-est sur le mont Tapuaenuku

(Figure A5-4), supporte une différence d’exhumation entre le flanc sud-est de la vallée de l’Awatere (proche de la faille Clarence) et le flanc nord-ouest (proche de la faille Awatere).

Des âges jeunes (<40 Ma) sont retrouvés dans toutes les distributions d’âges détritiques le long de la vallée de l’Awatere (Figure 5.5). D’après la distribution spatiale des âges in-situ (Figure A5-4), ces âges jeunes proviendraient donc du flanc est-sud-est de la vallée, supportant ainsi une exhumation concentrée le long de la faille Clarence au cours du Miocène (Collett et al., 2019). Toutefois, la seule apatite analysée dans un bassin tributaire du flanc ouest de la vallée, montre un âge de 17.5±4.6 Ma (Annexe 5.2), pouvant remettre en cause cette asymétrie d’exhumation déduite au cours du Miocène. Cependant, il est également probable que cette apatite provienne du bloc tectonique situé au nord de la faille Awatere, ce qui supporterait donc une exhumation concentrée sur les bloc supérieurs des failles du système de Marlborough, au cours du Miocène (Collett et al., 2019).

5.5.4 Stratégie de modélisation des histoires thermiques détritiques

Comme mentionné plus tôt, les données détritiques sont de faible qualité en montrant des incertitudes importantes sur les âges AFT (>30 %), empêchant ainsi d’identifier une relation claire entre les âges AFT et la composition en chlore pouvant ainsi expliquer la dispersion des âges observée (Gleadow et al., 2002; Gleadow and Duddy, 1981; Green et al., 1985; O’Sullivan and Parrish, 1995). J’ai donc choisi d’adopter une stratégie d’exploration pour la modélisation des histoires thermiques, dans laquelle je considère des contraintes a priori sur les paramètres d’exploration (e.g. gamme de temps-température) relativement simples. Les apatites appartenant au même échantillon sont regroupées en un profile vertical avec les âges les plus vieux situés aux plus hautes altitudes et les âges les plus jeunes aux plus basses. Ainsi, la proportion des âges détritiques observée est supposée refléter la proportion actuelle des altitudes du bassin de drainage (i.e. la distribution hypsométrique).

Dans une seconde partie, j’ai souhaité m’affranchir des potentiels mélanges de sources des apatites, en extrayant les différentes composantes d’âge présentes dans l’échantillon n°6 (i.e. le complexe igné du mont Tapuaenuku). Ainsi, trois composantes d’âges à 279.3±70 Ma, à 105.0±25 Ma, et à 35.3±9.5 Ma, ont été identifiées. Bien que l’incertitude sur les âges puisse impacter la fiabilité du nombre de composantes déduites ainsi que leur distribution (Naylor et al., 2015), je remarque toutefois que ces dernières concordent avec le contexte géologique du bassin du mont Tapuaenuku. En effet, la première composante à 35.3±9.5 Ma peut être assignée à l’épisode de refroidissement du complexe igné du mont Tapuaenuku, lors de l’orogenèse de la chaine interne de Kaikoura, supporté par les âges AFT in-situ (Baker and Seward, 1996), bien que l’erreur sur les âges soit importante (section 5.4.3). La composante à 105.0±25 Ma coïncide également avec la période de mise en place de l’intrusion du CIT estimée entre 105 Ma et 93 Ma par des datations Rb-Sr, K-Ar, et trace de fission sur titanite et zircon sur le CIT (Baker et al., 1994; Baker and Seward, 1996). Baker et Seaward (1996) estiment la mise en place du pluton magmatique du mont Tapuaenuku autour de 2-4 km de profondeur, qui fut suivi par un enfouissement

de 3-4 km lors d’une période de subsidence thermique du Crétacé inférieure (~90 Ma) jusqu’à l’Oligocène-Miocène (~25 Ma), où une exhumation rapide du complexe à travers la ZCP a eu lieu. Toutefois, la section du pluton aujourd’hui à l’affleurement est incomplète et la taille initiale de ce dernier n’est pas connue. Il est ainsi probable que cette composante d’âge (à 105.0±25 Ma) représente les apatites de la partie sommitale du pluton du mont Tapuaenuku ayant refroidi à travers la ZCP lors de la mise en place de ce dernier, et n’ayant pas atteint une température >60°C depuis. La composante à 279.3±70 Ma reste énigmatique. Bien qu’elle montre une distribution très étalée, j’attribue celle-ci aux terrains de Pahau qui représentent une source diffuse d’apatites. Cependant, cette conjecture reste encore à être investiguée (section 5.5.2).

La stratégie de modélisation d’histoires thermiques considérant les âges AFT détritiques appartenant à la composante d’âge la plus jeunes (i.e. 35.3±9.5), pris seuls ou en combinaison d’âges in-situ disponibles (Baker and Seward, 1996), n’a pas mené à une meilleure prédiction de la distribution d’âges détritiques observée (Figure 5.8). La combinaison avec les âges in-situ a contribué à décaler la distribution d’âge prédite vers des âges plus vieux (> 60 Ma), forcée par la contrainte d’âge exercée par ces derniers (~22-25 Ma) pour des altitudes intermédiaires, et menant in-fine à une prédiction d’âge plus anciens à plus haute altitude, contrairement à la prédiction réalisée avec les données détritiques seules. Un comportement similaire a été observé par Gallagher et Parra (2020) avec des échantillons détritiques et in-situ récoltés dans un bassin colombien (Sierra Nevada de Santa Marta, Colombie), où les histoires thermiques modélisées par la combinaison des deux types de données résultent d’un compromis entre des histoires thermiques inférées des échantillons in-situ présentant souvent une gamme plus faible d’altitude avec des contraintes faibles pour les hautes altitudes ; et des échantillons détritiques incorporant une gamme d’âges plus grande (i.e. échantillonné par l’érosion) mais moins contrainte en altitude.

La relaxation sur la fonction d’échantillonnage topographique (FET) a permis de prédire avec plus de précision la distribution d’âges détritiques observée. Pour cela, la FET moyenne suggère une contribution des altitudes < 1300 m de ~40 % et de ~60 % pour les altitudes >2400 m, laissant les altitudes intermédiaires peu contributrices. Ces altitudes contributrices sont concordantes avec la présence d’apatites identifiées dans les roches du mont Tapuaenuku (Baker et al., 1994) prélevées à des altitudes similaires. La relaxation sur la FET permet plus de liberté quant à l’échantillonnage des âges synthétiques avec l’altitude, il est donc plus simple de parvenir à minimiser l’écart avec la distribution d’âges observée. Cette FET inférée est très susceptible ici de représenté la fertilité en apatite du complexe igné du Mont Tapuaenuku. Dans les zones de fertilité relativement homogène, cette dernière peut néanmoins représenter des variations d’érosion avec l’altitude, et a donc le potentiel d’apporter des perspectives nouvelles à l’exploration des distributions spatiales d’érosion dans les bassins de drainage et par extension sur l’action des processus de surface sur le paysage.