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1 Introduction et état de l’art

1.3 Erosion, transport et dépôts sédimentaires par les glaciers

1.3.1 L’érosion par les glaciers

Les morphologies des paysages glaciaires sont directement reliées aux mécanismes d’érosion par la glace. Il est généralement considéré que les glaciers érodent via deux mécanismes principaux que sont l’abrasion du substrat et l’arrachement de blocs de roches (« quarrying », en anglais). D’autres processus reliés à la présence et à l’écoulement du glacier participent également à l’érosion, tel que les eaux de fontes sous-glaciaires qui peuvent inciser le substrat en formant des chenaux ou des surcreusements locaux nommés « pot-holes » (Sharpe and Shaw, 1989) ; ou la dissolution des roches carbonatées

Figure 1.5. Morphologie des vallées glaciaires et fluviales. Un exemple de vallée glaciaire en forme de « U » (sud Groenland)

est montré en (A), et une vallée fluviale en forme de « V » (vallée de Rees, Nouvelle-Zélande) en (B). Une vue satellite de la Patagonie (Amérique du sud) montre le contrôle structural (i.e. failles et fractures) sur l’insertion et la morphologie des fjords à grande échelle spatiale (C), ici les fjords montrent une forme droite qui suit les grandes failles (images de Google Earth).

(Hallet, 1976). Cependant, je vais me consacrer ici à détailler les mécanismes d’abrasion et d’arrachement qui sont de loin les plus importants.

L’abrasion est le processus par lequel les débris de roche, transportés par un glacier, sont entraînés sur le substrat et râclent ce dernier détachant de petits grains de roche à chaque contact. Son action laisse des stries très reconnaissables et participe à polir les roches sous-jacentes (Figure 1.6). Ces figures sont très utilisées pour aider à la reconstruction des paléo-écoulements de glace (e.g. Kleman, 1990). Bien que l’action abrasive des glaciers ait été décrite dès la fin du 19e siècle (Gilbert, 1906; McGee, 1894), c’est pendant la seconde moitié du 20e siècle avec les modèles de (Hallet, 1979a, 1981) et (Boulton, 1979) que des modèles expérimentaux et théoriques détaillés apparaissent. Ces deux modèles s’accordent sur les paramètres clés qui contrôlent le taux d’abrasion, que sont la concentration de débris, leur vitesse, et la force de contact effective entre le débris et le substrat rocheux, qui définit la profondeur d’ancrage du débris. La quantité d’érosion par abrasion augmente avec la concentration de débris. Cependant, une rétroaction négative apparaît à partir d’un seuil de concentration, où l’accumulation de débris peut former une couche de sédiments qui va protéger le socle rocheux de l’abrasion. Pour la vitesse des débris et la force de contact entre les débris et le socle rocheux, les deux modèles diffèrent (Boulton, 1979; Hallet, 1979a, 1981). Contrairement à Boulton (1979), Hallet (1979a, 1981) suggère que les débris sont soumis à une force de flottaison dans la glace, et que la composante verticale de vitesse du glacier vers le substrat contrôle en majeur partie la force de contact entre le débris et le

Figure 1.6. Morphologies des substrats rocheux laissées par les mécanismes d’abrasion et d’arrachement. L’abrasion laisse des

stries et participe à polir les roches sous-jacentes, ici un exemple au pied du glacier de Nigarsbreen en Norvège (A). L’arrachement de blocs créé des formes asymétriques appelées roches moutonnées, un exemple au pied du glacier Austedalbreen, en Norvège (B). L’action des deux mécanismes d’érosion est illustrée en (C) (figure inspirée de Bierman et Montgomery, 2014).

substrat, indépendamment du poids de la glace au-dessus du débris. Ainsi, la magnitude relative entre les deux composantes de vitesse de la glace, verticale et parallèle au substrat, définie la vitesse à laquelle les débris sont entrainés vers le socle rocheux. Le modèle proposé par Boulton (1979) suggère des logements possibles de débris pour des vitesses de glace jusqu’à 100 m.an-1. Les expériences d’Iverson (1990) et plus récemment de Byers et al. (2012) viennent confirmer le modèle de Hallet (1979) en montrant que la fonte de glace autour du débris, favorisée par l’augmentation de pression exercée par la glace, augmente la force de contact entre le débris et le substrat et ainsi la friction basal (Figure 1.7). Le mécanisme d’abrasion, par sa dépendance à la force de contact, est plus efficace sur les pentes inverses à l’écoulement du glacier (MacGregor et al., 2009). Aujourd’hui, notre compréhension de l’abrasion par les glaciers n’a pas significativement changé par rapport aux modèles de Hallet (1979, 1981). La principale inconnue réside dans le rôle de la concentration des débris à la base des glaciers sur la friction totale (Alley et al., 2019). En effet, cet aspect est important car la concentration de débris définie la rhéologie moyenne de la glace, qui influence sa vitesse d’écoulement et donc l’abrasion (Cohen et al., 2005; Iverson et al., 2003a; Zoet et al., 2013), et trouve toute sa pertinence pour l’étude de l’écoulement des glaciers riches en débris (e.g. Rowan et al., 2015).

Le processus d’arrachement intervient lui à plus grande échelle, et de nombreuses études ont permis d’améliorer notre compréhension de ce mécanisme (Cohen et al., 2006; Hallet, 1996; Iverson, 1991, 2012). Il intervient aux endroits où des variations de pressions significatives se produisent. Ces conditions sont trouvées aux abords de cavités sous-glaciaires formées par la combinaison de la rugosité du substrat rocheux, de la vitesse du glacier et de la pression d’eau à l’interface entre le glacier et son substrat. En effet, la glace étant un fluide à forte viscosité, n’est pas capable de s’adapter rapidement à la rugosité de son substrat et présente généralement des cavités en aval de protubérances du socle rocheux. La taille de ces cavités va dépendre de la vitesse de la glace, dictée par la pression d’eau à l’interface glace-roche (Hallet, 1996). Le système de drainage sous-glaciaire évolue en fonction du flux

Figure 1.7. Modèles théoriques des processus d’abrasion et d’arrachement. L’intensité de l’abrasion dépend de la force de

contact entre le débris et le substrat rocheux, favorisée par la composante de vitesse verticale de la glace, renforcée par la fusion de glace sur le débris par la pression (A) (modifiée après Lee et Rutter, 2004). L’arrachement dépend de facteurs tels que la différence de pression entre le poids exercé par la glace (σn) et la pression d’eau (Pw) dans la cavité, la distribution des fractures, et le pendage du substrat rocheux (B). L’arrachement de blocs de roche implique des mouvements de rotation et de translation (modifiée après Krabbendam et Bradwell, 2011).

d’eau à la base des glaciers. Ainsi, lors de périodes de faible débit d’eaux (hiver), le système de drainage est distribué à travers le socle du glacier et l’eau s’accumule dans les cavités sous glaciaires qui sont alors peu connectées entre elles (Benn and Evans, 2014; Kamb, 1987). A mesure que les flux augmentent lors des saisons de fontes, la pression d’eau dans les cavités augmente et participe à découpler le glacier de son socle. Ce découplage va redistribuer le poids de la glace et les contraintes cisaillantes sur des surfaces plus petites augmentant ainsi les contraintes exercées sur le substrat. Ces contraintes vont alors favoriser le développement de fractures et/ou exploiter la présence de fractures préexistantes pour détacher des fragments de roche (Figure 1.6 et Figure 1.7). L’intensité des contraintes est d’autant plus importante que la différence de pression entre l’eau dans les cavités et le poids de la glace est importante (Cohen et al., 2006). Ainsi, lorsque le système de drainage se connecte et forme des chenaux qui sont capables de drainer d’importantes quantités d’eau, la pression dans les cavités baisse et l’eau laisse place à des cavités d’air. Par sa viscosité, la glace montre un temps de latence pour s’adapter aux nouvelles conditions et fermer les cavités par déformation sous son propre poids. A cet instant, la différence de pression est maximale et le processus d’arrachement maximisé (Beaud et al., 2014; Herman et al., 2011; Ugelvig et al., 2018).

La prépondérance de l’un ou l’autre mécanisme d’érosion dépend de facteurs tels que l’orientation et l’espacement des fractures (Becker et al., 2014; Dühnforth et al., 2010; Woodard et al., 2019), de la direction d’écoulement de la glace par rapport aux plans de faiblesse du substrat, par exemple les plans

Figure 1.8. Diagramme montrant les relations entre l’espacement des joints/fractures, la dureté et les processus d’érosion

dominants sous des conditions sous-glaciaires supposées constantes. (Figure modifiée et traduite d’après Krabbendam et Glasser, 2011).

de stratification (Kelly et al., 2014; Lane et al., 2015), et de la dureté du socle rocheux qui dépend de la lithologie et de l’intensité d’altération des roches (Krabbendam and Bradwell, 2014; Krabbendam and Glasser, 2011; Figure 1.8). Cependant, plusieurs auteurs suggèrent que le processus d’arrachement serait dominant, argumentant que les fluctuations d’eau au sein des glaciers sont fréquentes et engendrées par le glissement par à-coup des glaciers (Zoet et al., 2013), ou invoquant le rôle important des fractures dans l’érosion (Dühnforth et al., 2010; Krabbendam and Glasser, 2011).