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Section 2. Modèles de déplacements récréatifs

A. Modèles de déplacements à petites échelles

Deux modèles développés viennent étayer nos hypothèses émises lors de nos observations. Les modèles qui vont être analysés viennent tous corroborer des observations faites sur nos espaces d'observation de la première partie. Ces modèles font suite à des études qui ont été réalisées en périphérie de grandes agglomérations européennes, Edimbourg et Madrid.

Le premier modèle testé sur une région de l'Ecosse met en évidence l'utilisation d'une représentation désagrégée de l'espace qui peut être un graphe, et le second, sur l'Espagne, montre bien que les deux déplacements distincts (le déplacement voiture et le déplacement pédestre) structurent les déplacements et les répartitions sur l'espace récréatif.

181 Baptiste (H.), "Interactions entre le système de ville... op. cit.

1). Le modèle de déplacement de Baxter et Ewing183

A partir d'une étude effectuée, en 1976, 2435 trajets (day trip) voiture sur 1200 points d'arrêts, au départ de 11 villes écossaises dans la région d'Edinburgh ont été analysés. Les conditions retenues pour un trajet devaient répondre à un déplacement de loisirs de plus de deux heures excluant les visites aux amis et les activités sportives.

Les enquêtes ont montré que deux tiers des déplacements avaient plus d'un arrêt d'au moins 15 minutes, plus d'un tiers au moins trois arrêts, et plus de la moitié n'utilisaient pas la même route de retour. 39 % des visiteurs avouaient que leur principal objectif du déplacement était la visite d'une destination particulière par la route la plus directe.

a). Un modèle gravitaire d'ajustement

M. Baxter et G. Ewing vont développer un modèle de déplacement en posant l'hypothèse que l'attractivité d'un site est dépendante d'une distance en fonction d'un espace récréatif formé de zones contenant un certain nombre de sites. L'espace agrégé est composé de 30, 20 et 10 zones selon l'expérimentation.

M. Baxter et G. Ewing développent un modèle de gravité à contrainte unique afin d'étudier les distributions des déplacements de loisirs et utilisent une fonction classique de distribution qui calcule la probabilité qu'un déplacement d'origine i ait une destination j.

) ( ) ( ik k k i ij i i ij D f A O D f A O P

= =

Pij est la probabilité observée qu'un déplacement d'origine i ait pour destination j, où Aj est

l'attractivité des zones de destination S ( j= 1,2,3,...S) et f(Dij) est une fonction de la distance.

Mais les déplacements de loisirs diffèrent des autres types de déplacements. Ils impliquent plusieurs arrêts et la distance ou le temps ne possède pas les mêmes effets dissuasifs qu'un déplacement de type domicile-travail ou domicile-commerce dont la finalité est de se rendre le plus rapidement à un point.

Partant du constat que de tels modèles construits sur ces bases ne sont pas appropriés aux déplacements liés aux loisirs, les auteurs vont adapter le modèle en testant plusieurs variantes

183 Baxter (M.), Ewing (G.), " Models of recrational trip distribution", Regional studies, vol 15, n°5, 1981. p. 327-344.

Relation (1) Relation (2)

f(Dij) en supposant que les fonctions de dissuasion dépendante de la distance ("distance deterrence fonction") sont des cas particuliers de la relation (3).

) exp( ) ( γ α β ij ij D D D f = ij− −

Le principe du modèle consiste à ajuster les paramètres pour que les probabilités simulées correspondent aux probabilités .observées Pij.. L'ajustement du modèle va porter en testant

quatre séries de valeurs sur les élaticités de la fonction (3) : premier cas toutes les élasticités ; deuxième cas, la fonction de Tanner (β=1) ; troisième cas, une fonction puissance (α=0) et quatrième cas, une fonction exponentielle (γ=0 ; β=1).

b). Ajustement

La calibration se fait par un développement d'un modèle logistique, les relations (1), (2) et (3) sont transformées et donnent la relation (4) :

) ( log log log log γ α β β ik ij ik ij k j ik ij D D D D A A P P − −     − − =    

Le calibrage du modèle se fait ensuite en calculant pour chacun des cas (les différentes élasticités sur la fonction de la distance de dissuasion), afin que les termes X2 se distribuent

approximativement comme un "chi 2" d'une variable aléatoire , relation (5) :

2 2 2 ( ) / s ij ij s ij ij T T T X =

Ce X2 est défini comme le "goodness of fit", c'est-à-dire le paramètre d'ajustement à minimiser.

Où Tij sont les flux observés entre i et j et Tsij les flux simulés; ces flux sont calculés par le

produit du nombre véhicules Ni partant d'un point i et par la probabilité simulée Pij. (Ts ij=

NiPij).

Le modèle est testé sur les trois espaces différents184 (30,20 et 10 zones) en testant deux

hypothèses d'attractivité des zones en fonction d'une destination principale.

184 Les découpages se sont faits en fonction de critères géographiques et de typologie des sites (plages, patrimoine

Figure 28 : Les découpages des zones

Pour chaque zone, soit j est un centroïde qui correspond au centre de gravité d'une zone, soit j est défini par le point le plus proche d'une zone accessible par la route.

Ces calculs sont ensuite comparés à deux types de séries de données issues des enquêtes, les visiteurs qui disent posséder une destination principale appelée "main destination", et ceux qui n'ont pas déclaré en avoir une, mais sur qui on suppose qu'ils en aient une, "pseudo main

destination".

Après calibration, les meilleurs résultats sont donnés pour : la fonction de Taner (β=1), un déplacement qui prend en compte la destination principale dans un secteur donné et la distance à un centre de gravité, le centroïde.

Parameter estimates and goodness-of_fit statistics for the 30-zone system

"Main destination" "Pseudo Main destination"

Distance to zone centroïde Distance to nearest point in

zone Distance to zone centroïde Distance to nearest point inzone

Model α β γ X2 α β γ X2 α β γ X2 α β γ X2 Full Model 1,36 0,51 -2,54 754 5,82 0,28 -2,76 787 1,45 0,51 -2,77 804 1,07 0,49 -1,32 893 Tanner 0,07 * -0,74 728 0,05 * -0,13 771 0,07 * -0,83 806 0,05 * -0,19 878 Exponential * * 764 0,04 * * 786 * * 881 0.04 * * 897 Power * * 1,12 1040 * * 0,9 1008 * * 1,13 1223 * * 0,92 1193

Tableau 19 : Résultats de la calibration du modèle c). Le poids de l'espace dans les attractivités

Les auteurs font remarquer qu'en fonction du découpage, on obtient de grosses variations sur l'attractivité des différentes zones. Ce qui est tout à fait normal car l'attractivité est dépendante d'une distance qui dépend elle-même des niveaux d'agrégation (les distances étant déduites des points de départ i aux centroïdes), de plus le modèle n'étant pas additif, les valeurs changent

avec le nombre de zones.

Il semble alors que le poids de la distance soit trop dépendante du découpage et l'on retrouve ici toute la problématique de l'effet de frontière sur un espace, rendu encore plus sensible car le modèle montre des phénomènes de seuils sur les distances.

Estimates of attractiveness parameters using Taner's distance deterrence fonction* Zone (1-15)

Data Distance 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15

To centroide 53 41 35 17 14 8 32 22 91 21 20 28 23 67 11

Main

destination To nearest point 51 43 43 11 13 8 32 31 90 29 11 32 26 90 11

To centroide 60 43 35 17 13 6 30 20 83 21 9 27 25 62 11

Pseudo main

destination To nearest point 58 46 43 14 13 7 32 28 83 28 10 30 29 83 11

*Les attractivités ont été relativisées pour que leurs sommes soient égales à 1000.

Estimates of attractiveness parameters using Taner's distance deterrence fonction* Zone (16-30)

Data Distance 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30

To centroide 8 16 18 9 31 59 50 23 58 76 15 14 23 29 97

Main

destination To nearest point 9 17 20 12 28 54 42 28 35 80 21 15 23 25 69

To centroide 8 17 16 8 35 63 57 23 69 83 13 11 20 24 90

Pseudo main

destination To nearest point 8 17 18 10 32 58 49 28 43 88 18 13 20 21 63

Tableau 20 : Attractivités calculées après le calibrage des paramètres

Donc en changeant de découpage, on joue sur les seuils qui peuvent avoir des incidences importantes sur la valeur des attractivités. Le tableau ci-dessous montre que lorsque l'on agrège l'espace de 30 à 20 ou 10 zones, le choix du centroïde, se révélera fondamental. Si une zone, dans la nouvelle agrégation spatiale, contient plusieurs zones du niveau inférieur, la distance au centroïde sera choisie non pas en fonction du barycentre de la nouvelle zone agrégée, mais sera celle d'un centroïde d'une des zones formant la nouvelle zone agrégée. Le modèle 4 utilise le centroïde le plus proche du point origine. Les modèles 1, 2 et 3, pour un même découpage, possèdent des centroïdes différents.

Attractiveness parameter estimates for the 20-zone system, using Tanner's distance deterrence function and main-destination data Zone Modèl 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 1 47 36 33 18 14 36 85 20 11 44 20 102 15 66 66 84 21 27 67 185 2 63 42 42 23 18 40 107 24 13 31 26 88 18 85 55 104 26 33 56 100 3 61 39 39 20 16 38 102 24 11 30 25 82 18 89 83 114 26 31 54 91 4 62 52 52 14 17 40 111 33 14 30 39 83 18 104 64 73 29 36 44 84

Attractiveness parameter estimates for the 10-zone system, using Tanner's distance deterrence function and main-destination data Zone Modèl 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 93 69 35 109 148 53 109 224 59 100 2 151 105 29 147 167 62 70 118 77 72 3 70 100 25 119 146 46 202 97 54 141 4 78 91 43 168 133 49 129 152 55 101

Les auteurs font remarquer que les meilleures calibrations se font avec le système le plus désagrégé (espace divisé en 30 zones).

Le modèle met en évidence le rôle de l'espace dans la répartition des flux de visiteurs sur un territoire. Les différences de résultats, entre les niveaux d'agrégations montrent que le voisinage possède une importance dans l'attractivité des centroïdes. Les attractivités déduites peuvent osciller du simple au double voire plus. Et plus on agrège l'espace, plus le choix du centroïde dans le choix de la distance sera vecteur de fluctuations de l'attractivité. Mais on observe aussi une perte d'information, puisque les différences entre les attractivités des centroïdes se tassent avec la croissance du niveau d'agrégation spatiale.

Nombre de zones de l'agrégation spatiale

30 20 10

Attractivité des centroïdes

Minimum et maximum 8 - 91 14 - 111 43 - 168

Tableau 22 : Valeurs extrêmes des attractivités des centroïdes pour chaque niveau d'agrégation

Ces résultats montrent que la distance n'est pas la seule variable explicative. Les différences entre valeurs observées et simulées, exprimées par le X2, indiquent que la distance n'est pas la

seule variable qui entre en jeu dans l'attractivité.

d). Une dépendance au "voisinage"

L'approche par centroïde est très intéressante car elle montre que l'espace environnant un site peut avoir un poids dans l'attractivité. Les phénomènes de seuils sur la distance témoignent alors d'un espace plus complexe soumis à des effets de frontières.

En utilisant la relation (4) ( fonction exponentielle (γ=0 ; β=1)) , les auteurs tentent de mesurer le poids de l'effet de barrière, qu'ils expliquent par la présence de la Baie de Forth d'Edinburgh qui sépare l'espace en deux. Ils définissent un paramètre qui suppose que le franchissement peut être modélisé par un multiplicateur (un frottement) des distances (δ) se trouvant sur la côte opposée du point de départ.

fj ij if ij D D D = +δ ( ) exp( ( ij fj)) if ij D D D f = −α +δ

Dif et Dfj sont respectivement les distances parcourues sur chacun des deux cotés. Les auteurs procèdent à la calibration en distinguant deux types de déplacements, de la zone Sud vers 16 zones de destination au nord et de la zone nord à 8 zones de destination au sud de la baie. Après calibration, on obtient des meilleurs résultats. Les valeurs des paramètres sont

respectivement pour α et δ, de 0.44 et 1.46, pour un X2 qui décroît à 661.

Mais la conclusion qui suppose que ces effets de seuils sont causés par des barrières physiques nous apparaît incomplète. Nous sommes tout à fait en accord avec les auteurs lorsqu'ils affirment que les effets de barrières ne peuvent pas être seulement modélisés par une fonction de la distance. Mais nous soutenons que les différences des X2 mettent en exergue le fait qu'il

manque une variable importante dans le modèle et que les effets de barrières ne sont pas uniquement le fait d'un élément physique de l'espace.

L'ajustement se fait sur des conditions initiales qui ne prennent en compte que les déplacements récréatifs de plus de deux heures ce qui suppose a priori, dès le départ, des distances minimales de déplacements et ces distances sont des distances à des centroïdes, donc des distances moyennes. Il est donc plausible que l'effet de frottement δ montre plutôt qu'il existe une dépendance de cette variable inconnue à la distance, δ étant le résultat d'une méthode d'ajustement, on n'est pas sûr que ce paramètre ne puisse être issu d'une fonction non linéaire de la distance. Dès lors on est en droit de penser qu'il existe un autre processus qui induit des facteurs limitant par défaut l'accessibilité des zones.

On ne peut conclure à des hypothèses sur la corrélation entre accessibilité et attractivité. Or tout ce que montre le modèle est que l'attractivité d'un déplacement n'est pas seulement une fonction de l'accessibilité. En utilisant les résultats obtenus sur d'autres espaces récréatifs, ces conclusions nous incitent à penser que l'attractivité d'un site est susceptible d'être aussi dépendante du voisinage, c'est-à-dire des influences que peuvent avoir des sites sur les formes de répartitions des visiteurs sur un espace, ce que l'on appellera ultérieurement les "Attractions

Absolues" des sites voisins.

e). Le graphe pour représenter l'espace d'accueil

En dernier lieu, les auteurs tentent de mettre au point un modèle à plusieurs arrêts ("multi-stop

trips"), qui consiste à modéliser l'attractivité des zones en fonction du nombre d'arrêts non pas

sur un des 1200 sites référencés mais sur un centroïde. Les attractivités calculées varient peu par rapport à celles calculées pour une unique destination. Ces résultats montrent que le choix d'un centroïde ne semble pas adéquat pour ce type de modélisation si un visiteur fait plusieurs arrêts dans une même zone, le modèle ne peut en modéliser qu'un seul. Pour les représentations d'espaces discrets, un graphe permet d'appréhender l'espace comme un réseau désagrégé de sites et liaisons.

Il est alors important de se poser des questions sur les formes de représentations de l'espace. Une représentation spatiale désagrégée serait plus judicieuse que des centroïdes dépendants de critères de classification trop réducteurs et trop dépendants des caractéristiques locales. Dans le cas d'une modélisation d'un déplacement, un graphe prenant en compte comme sommets, l'ensemble des points qui structure le graphe (points d'arrêt, de départ, d'intersection...) et les arcs comme les liaisons routières entre les sommets du réseau routier, semble alors une solution plus adaptée à ce type de modèle.

2). Modèle de pratiques récréatives dans une région naturelle

Le modèle élaboré a pour objectif d'expliquer, à partir d'impacts observés sur les milieux naturels, les pressions anthropiques et les formes de répartition sur l'espace d'accueil.

Une étude, effectuée dans le parc régional de Manzanares en périphérie de Madrid ( entre 25 et 60 kilomètres), par F.J.Gomez-Limon Garcia et J.V. Lucio Fernandez (de)185, montre qu'au

moins 75 % des concentrations de visiteurs s'expliquent selon des indicateurs environnementaux et d'accessibilité.

Le principe est de modéliser, en utilisant des paramètres d'ajustement écologiques (impacts sur les milieux naturels), la distribution des visiteurs sur le parc en fonction de deux variables, le nombre d'individus sur les segments de sentiers (NP, "Number of people") et le nombre de véhicules sur les points d'accès (NVE, "Number of vehiculs at the access point") que sont les parkings. Les données sur les sentiers et les parkings sont celles qui sont relevées à 12 h 30.

Le modèle est basé sur une analyse régressive d'une fonction polynomiale qui donne l'afflux des visiteurs sur les 19 points choisis sur l'espace :

n nx b x b x b x b b Y = 0 + 1 1+ 2 2 + 3 3 +....+

Cette approche qui sépare véhicules stationnés et visiteurs sur sentiers permet la prise en considération d'une fréquentation sur deux niveaux d'organisation géographique et présuppose ainsi une double échelle des déplacements : le trajet voiture et la promenade pédestre.

Les tests sur les corrélations montrent que les coefficients les plus forts se révèlent être ceux qui ont trait à des indicateurs de distance : "distance aux véhicules" et "distance à un point de

185 Gomez-Limon Garcia(F.J.), Lucio Fernandez (J.V. de), "Recrational use model in a wilderness area", Journal of

baignade". La valeur négative des coefficients obtenus montre une fréquentation inversement proportionnelle à la distance. Ces résultats nous sont utiles, car ils montrent que l'accessibilité des sites naturels au point d'accès (parking) semble être l'indicateur le plus fiable qui a été calculé par le modèle et nous conforte de plus en plus dans l'idée que les flux pédestres peuvent être appréhendés à partir d'indicateurs spatiaux sur l'espace que sont les aires de diffusion pédestre.

La principale objection que l'on peut faire réside dans le choix des impacts comme méthode d'ajustement. Satchell186 et les études britanniques des années 70, ont bien montré que les

impacts étaient trop spécifiques à un milieu pour être utilisés car ils sont dépendants d'interactions hautement complexes.

P. Point187 fait remarquer que des formes d'impacts ne peuvent servir d'invariants rigoureux de

l'état de fréquentation d'un espace, ils peuvent être seulement les stigmates d'une sur- fréquentation passée : des "impacts fossiles"188, et il devient alors difficile de s'en servir comme

données d'ajustement.

De plus, rien ne présuppose que la même quantité de visiteurs induisent quantitativement les mêmes quantités d'impacts, les variations de géomorpho-écologie peuvent s'étendre sur des échelles allant du mètre (cas d'interface entre milieux différents) au kilomètre (variations de paysages).

Il est fort probable que les impacts diffèrent dans des proportions non négligeables entre une vallée, un plateau, une pente. Même si l'on a, a priori, le même type de milieu, les conditions d'exposition aux intempéries sont susceptibles d'augmenter ou de réduire des phénomènes d'érosion et de revégétalisation.