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Section 3. Le système de déplacement

A. Deux "boites noires"

Lorsque l'on étudie le phénomène touristique, on considère souvent que la décision prise lors d'une discussion familiale -"j'irai bien là ce week-end"- en fonction de certaines habitudes socioculturelles, reste invariante lors du déplacement. Dans l’enquête effectuée lors de l’étude des fréquentations sur les Hautes Vosges, lorsque l'on demandait aux visiteurs le nombre d'arrêts et de visites qu'ils allaient faire ou qu'ils avaient fait, le nombre de sites que les visiteurs projetaient de visiter, en début de journée, apparaissait toujours supérieur au nombre de sites qu'ils avaient réellement visités dans la journée.

Ce résultat est capital car il montre que des changements sont intervenus lors du déplacement, certains sites ont su capter des visiteurs, d'autres n'ont pas réussi à attirer, ou bien que le temps de déplacement a été sous estimé sur le territoire. Ce résultat introduit l'hypothèse d'un second type de processus lié à des pratiques de déplacement et à des interactions qu'induit la structure de l'espace sur les répartitions des visiteurs sur l'espace.

Cadre de vie

Espace

Territoire

Population

Boite Noire Processus de décision choix de l’espace touristique

et de l’activité à consommer

Boite Noire

Processus de déplacement sur un réseau hiérarchisé et

fonctionnel Espace Naturel Réseau touristique

Fréquentation Répartition des flux sur le réseau d’accueil touristique

Choix déplacement

Choix d’un circuit, d’un espace

Déplacement

Consommation récréative de l’espace naturel Visite suivante

d’un autre site Politiques

touristiques

Apprentissage

Transformation du réseau

Figure 24 : Processus de déplacement des visiteurs sur un espace naturel

et la visite. La première d’entre elles est un processus de décision qui relève de conditions socioculturelles, pourquoi choisit-on la montagne ou la mer, telle activité plutôt qu’une autre, pourquoi part-on entre une et quatre semaines, un week-end ou seulement un dimanche ? Les pratiques liées aux loisirs relèvent d’une décision prise individuellement, liée à un système de perceptions et de comportements fortement corrélé à des variables socioculturelles.

La seconde est l'action de visiter, c'est-à-dire le processus de déplacement sur l'espace naturel que l'on considère souvent invariable dès que la décision de partir de la résidence est prise. La principale difficulté de l'évaluation de ce processus consiste à intégrer un comportement qui prend en compte un double déplacement dont les finalités sont différentes. Ce double déplacement s'inscrit sur une double échelle spatiale : un déplacement voiture sur un réseau (échelle kilométrique) dont la finalité est le transport, puis un ou plusieurs déplacements pédestres sur des sites naturels (échelle métrique) dont la finalité est la visite du site.

1). Le premier processus : le choix de l'espace à découvrir

Ce premier choix qui intervient, s'effectue en fonction d'un premier niveau d'organisation spatiale des territoires. Cette première "boite noire" intègre des processus de choix et de décisions directement liés à des pratiques sociales de consommation de temps libres. Pourquoi partons-nous plutôt à la mer qu'à la montagne, ici et pas ailleurs, en juin et pas en août, quinze jours ou un mois. Pour faire quoi : se détendre, faire du sport, visiter des monuments, ...?

Le choix de l'espace dépend de plusieurs facteurs qui sont d'ordre socio-économique et socioculturel. Socio-économiques parce que le déplacement possède un coût, il est fonction de la distance parcourue, du mode de transport utilisé et des sites visités (gratuits ou pas). Socioculturels, parce que les choix des déplacements sur les espaces naturels dépendent aussi des comportements individuels ou de groupes d'individus qui sont fonction de l'appréhension des espaces vécus et perçus qu'ils possèdent sur un territoire.

Selon R. Brunet139 l'analyse des processus de perception – comportement des individus sur un

espace, se fait en fonction de l'existence d'un monde réel ("cela ne signifie pas que sa connaissance

pleinement "objective" soit possible"), organisé selon un système (dans le sens théorie générale des

systèmes) dans lequel il existe des flux d'informations et sur lequel les hommes vont posséder des moyens d'actions.

Figure 25 : Modèle de perception / comportement de R. Brunet

Ces processus ne dépendent pas uniquement des variables économiques mais aussi des désirs que possèdent les individus, un moteur trop souvent délaissé car difficilement quantifiable par les théories économiques qui préfèrent un homo œconomicus au comportement rationnel dans le sens de maximalisation du profit.

Un modèle similaire est proposé par A. Bailly140 pour analyser les mêmes processus de

perception – comportement, concernant les paysages urbains, qui a pour résultat, la création d'un modèle simplifié du réel.

140 Bailly (A.), "La perception des paysages urbains, essai méthodologique", L'Espace Géographique, tome III, n°3, 1974. p.

Figure 26 : Processus menant au comportement

Si ces modèles apparaissent cohérents, une chose reste gênante, elle l'est d'autant plus qu'elle concerne un élément essentiel de la problématique de fréquentation des espaces naturels. Le modèle proposé ne fait pas intervenir le "monde réel" comme une contrainte pouvant survenir après une décision, c'est-à-dire la capacité de l'espace à rendre obsolète ou à transformer une décision, soit que l'individu n'ait pas une connaissance totale du "monde réel" ou que la décision ne soit pas irrévocable. On peut alors voir émerger des phénomènes d'agrégation qui existent sur les espaces naturels. Ils se traduisent par des comportements grégaires particuliers, on a ainsi pu observer sur les pentes de certains sommets des Hautes Vosges141 des sentiers,

qui ne servaient strictement qu'à la descente ou qu'à la montée.

A. Bailly n'élabore son modèle que pour l'individu, R. Brunet ne différencie pas l'individu et le groupe. Or, cette agrégation de l'individu au groupe représente une question essentielle pour comprendre les processus de répartition sur les espaces naturels. Pourquoi a-t-on des sites sur- fréquentés et pourquoi ces sites présentent-ils des caractéristiques similaires tant dans leur accessibilité que dans leur attractivité (sites panoramiques, sommet de monts, lacs, sentiers sur balcons panoramiques...) ? Pourquoi a-t-on des déplacements qui répondent à des phénomènes périodiques d'heures de pointe ? Pourquoi les impacts sur les milieux naturels sont presque toujours les mêmes, et possèdent une très forte inertie ? Si certaines de ces questions trouvent des réponses rapidement, certaines sont plus complexes et soulèvent le problème d'un espace agissant sur les comportements individuels en créant des groupes distincts de visiteurs. Des interactions peuvent aussi apparaître entre les différentes catégories des pratiques récréatives individuelles et les contraintes liées aux propriétés spatiales des sites

comme les seuils dissuasifs de l'effet de foule sur un site142.

Car comme on l'a vu précédemment, le visiteur est grégaire. Et l'une des particularités de la répartition des visiteurs est le caractère pseudo périodique et itératif des fréquentations sur les espaces naturels. Les sites fréquentés sont toujours les mêmes, et les formes de la consommation spatiale récréative évoluent peu (promenade en boucle ou en aller et retour)143,

les impacts sur les sentiers en témoignent (cf. Figure 22, page 95). Il existe donc, une certaine régularité (pour ne pas dire "habitude collective") dans les formes de fréquentations des visiteurs sur les milieux naturels.

Le modèle théorique de R. Brunet est intéressant car il laisse apparaître une entrée possible pour appréhender le problème de l'analyse des processus de déplacements qui nous concerne.

Elle permet de poser des hypothèses sur le passage entre le comportement individuel et le comportement de groupe observé sur les espaces naturels récréatifs. Dans son modèle théorique, R. Brunet ne laisse pas entrevoir une action directe possible du monde réel sur les décisions des individus ou les groupes, or nous pensons qu'une des clés de compréhension du phénomène réside dans des interactions à plusieurs niveaux entre les entités spatiales du "monde réel" et l'individu. C'est-à-dire, que la case "action sur le réel", renfermerait alors une seconde "boite noire" dans laquelle des processus définiraient non seulement des conditions de répartition sur l'espace mais aussi des phénomènes d'agrégation des visiteurs en groupes de visiteurs.

Le "monde réel" possède, outre les caractéristiques inhérentes d'un espace social construit, vécu et perçu, des propriétés spatiales quantitatives. Elles se traduisent par des accessibilités et des attractivités qui structurent le réseau et vont interférer sur le choix d'une première décision émanant d'un premier processus modélisé par le modèle théorique de R. Brunet. Ces interactions appartiennent à un second processus, qui ont lieu lors du déplacement des individus sur les espaces naturels.

Dès lors que l'espace de déplacement est fini et circonscrit sur un territoire, qu'il possède un nombre limité de sites, ces sites étant eux-mêmes bornés, il est alors fort probable que des phénomènes d'agrégation interviennent, car il y a alors partage de l'utilisation d'un espace fini

142 78% des visiteurs choisissent des sites non sur fréquentés cf. page 35

143 Les formes différentes de visites, telles que des promenades qui consistent à se faire déposer sur un site et à se

faire reprendre ailleurs, sont marginales et concernent souvent une pratique récréative de grande randonnée ou de descente en canoë d'une rivière.

par un nombre plus ou moins important de visiteurs qui pratiquent un nombre limité d'activités avec des comportements grégaires.

2). Le second processus : la visite et le déplacement

Il s'agit ici de montrer l'importance de la structure de l'espace sur les types de comportements de déplacements qui dépendent de deux déplacements distincts sur deux échelles : le déplacement voiture et le déplacement pédestre.

a). Les déplacements voiture

La première échelle de déplacement correspond à un premier processus – le déplacement voiture - qui s’opère sur l’espace et qui fait appel à la morphologie des espaces touristiques et à l’accessibilité des sites aux points d’entrée. Ces points seront soit les résidences des visiteurs, soit des "villes portes"144 ou des points d'entrée spécifiques si l'on veut agréger les points

d'entrée. Il est important de savoir si la structure même d’un réseau d’accueil touristique ou plus précisément sa morphologie et sa hiérarchisation, constitué par différents sites reliés entre eux par un réseau routier, est susceptible d’orienter ou de transformer certains types de déplacements.

Les réseaux d’accueil touristique sont caractérisés par une structure hiérarchisée autour d’un ou plusieurs sites principaux qui vont focaliser des flux et les affecter dans un second temps sur des sites secondaires lors d’un second déplacement. Une des particularités récurrentes sur ces réseaux est l’existence d’un site plus important qui va agir sur les espaces voisins comme un attracteur. Le visiteur qui se déplace en voiture va être en partie capté par un ou plusieurs sites qu’il désire découvrir, la visite faite, il se peut alors qu’il décide de voir un autre site dans le voisinage, effectuant ainsi un circuit touristique. La structure même du réseau, plus ou moins hiérarchisée, induit des formes de pratiques récréatives des espaces naturels (cf. Figure

32, page 172).

b). Les déplacements pédestres : la visite

La seconde échelle de déplacement est liée à la façon dont les individus pratiquent l’espace lorsqu’ils quittent leurs voitures – le déplacement pédestre - c'est-à-dire la manière dont des

144 Termes généralement employés dans les parcs naturels régionaux pour définir les principales villes aux abords

groupes d’individus se répartissent sur l’espace. L’étude de fréquentation faite sur les Hautes Vosges a mis en évidence une diffusion radioconcentrique des flux pédestres autour des points d'accessibilité que sont les parkings. Que l’on soit un touriste allemand, anglais, parisien ou résident, d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure ou non, tous ces individus pratiquent un déplacement pédestre autour du lieu de stationnement, soit un circuit en boucle soit un aller et retour. Nous avons pu déterminer trois types de visiteurs en fonction des aires de diffusion pédestre que les visiteurs étaient susceptibles de fréquenter - les contemplatifs, les promeneurs et les randonneurs –. S’appuyant sur les concepts de capacité de charge démographique et écologique145 d’un espace naturel, cette agrégation permet de quantifier les

pressions anthropiques et obtenir des informations indispensables en aménagement sur les potentiels des sites à accueillir des visiteurs.

B. Les trois éléments ou sous systèmes qui composent le