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Le modèle d'Uppsala et son fondement théorique dans les économies émergentes

d'internationalisation des entreprises chinoises

1. Le modèle d'Uppsala et son fondement théorique dans les économies émergentes

Le modèle d'Uppsala a été conçu et développé par Johanson et Vahlne (1977) et Johanson et Wiedersheim-Paul (1975). Il était à l'origine basé sur l'observation d'une série de multinationales suédoises, observation menée à l’Université d’Uppsala (Angué et Mayrhofer, 2017). À travers leur analyse, Johanson et Wiedersheim-Paul (1975) ont identifié que le développement international de ces entreprises pouvait être considéré comme un processus séquentiel à travers lequel elles cherchent à prendre progressivement des engagements de ressources sur le marché résultant d'une série de décisions progressives dans leur processus d'internationalisation. Un tel comportement permettrait aux entreprises de surmonter les difficultés majeures dues au manque de connaissances sur le marché étranger qu’elles visent. L'idée sous-jacente est que les entreprises devraient accumuler des connaissances sur un pays étranger donné avant et pendant leur développement international vers ce pays afin d'éviter les risques imprévus qui peuvent être causés par les différences entre les pays d'origine et d'accueil. De telles différences ont été reprises dans le concept de «distance psychique» incluant des facteurs couvrant la différence de langue, de culture, de niveau d'éducation et de système politique (Angué et Mayrhofer, 2017 ; Dow et Karunaratna, 2006). De tels éléments peuvent avoir un impact réel sur la qualité du processus d'apprentissage de la multinationale. En outre, l'incertitude sur les marchés étrangers, les pratiques, l'environnement auxquels les entreprises sont confrontées, sera réduite avec l'accumulation d'expérience. En arrivant à un certain niveau d'accumulation d'expérience, l'entreprise sera en mesure d'engager avec profit plus de ressources (Figure 2).

Figure 2 : Modèle d’Uppsala, la dynamique du processus (Cheriet, 2010)

Un tel mécanisme interne pourrait expliquer l'internationalisation des entreprises à partir de deux dimensions suggérées par une série d’expériences d'internationalisation des entreprises

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suédoises. La première dimension explique l’engagement des ressources, elle peut être résumée formellement en quatre étapes séquentielles et récursives : (1) au départ, l'entreprise commencera à ne pas avoir d'activité étrangère régulière pour exporter ses produits ou services ; (2) après avoir acquis une certaine expérience sur le marché d'exportation, (3) les entreprises sont susceptibles de créer une entité commerciale au lieu d'exporter par l'intermédiaire d'un agent tiers ; (4) après une période d'apprentissage, l'entreprise produira sur place. Alors la deuxième dimension décrit la répartition géographique de l’investissement : les entreprises sont plus enclines à investir d'abord dans les pays ou les régions qui sont psychiquement proches de leur pays d'origine et ensuite vers des pays plus éloignés. Comme montré dans la figure 2, le comportement susmentionné pourrait être encadré dans un processus itératif d'apprentissage expérientiel selon l'incertitude du marché étranger (se réfère à l’aspect statique - «state variable», qui est le processus d'accumulation des connaissances) et l'engagement progressif (se réfère à l’aspect dynamique - « change variable » qui est le processus de la prise de décision).

En 2009, le modèle d’Uppsala a été élargi à la lumière de la réflexion des auteurs sur le changement environnemental des affaires mondiales. Le réseau est le concept majeur pour analyser l'engagement de l'entreprise dans un sens plus large, les entreprises poursuivant dans cette perspective leur développement international au sein de réseaux (Santangelo et Meyer, 2017). Par conséquent, l'entreprise pourrait également s'engager dans des réseaux étrangers pour obtenir plutôt que d'acquérir des connaissances directement à partir du marché étranger. Ainsi, par rapport à la liability of foreignness (LOF) qu’elles subissent face à un marché étranger, leur développement international serait plus susceptible d'être limité par la liability de

l'outsidership (LOO) envers un réseau étranger (Johanson et Vahlne, 2009). Cependant, avec

ce changement, l'incertitude et le risque demeurent cruciaux, ce qui impacte les décisions d'engagement de l'entreprise (Dow, Liesch et Welch, 2017). Théoriquement, le processus dynamique composé de l’aspect statique et l’aspect dynamique ainsi que la logique itérative du modèle restent inchangés. En outre, nous pensons que l'idée de réseau d'entreprises souligne les capacités subjectives de l'entreprise à réduire le risque et l'incertitude tout en tenant en compte de l'existence objective de telles difficultés comme déjà mentionnées dans la version 1977.

En raison de sa capacité à expliquer l'internationalisation dans une perspective dynamique et novatrice, le modèle d'Uppsala est l'une des théories les plus citées dans le domaine du management international au cours des dernières décennies (Håkanson et Kappen, 2017).

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Simultanément, on l’a vu, elle a reçu de nombreuses critiques quant à sa validité dans le cas des multinationales des économies émergentes. Suite aux progrès technologiques qui améliorent de plus en plus la connectivité mondiale, l'internationalisation des entreprises modernes pourrait être réalisée plus rapidement sans intégrer les quatre étapes et / ou commencer par un pays puis par un autre. Comme l’indiquent Luo et Tung (2017), la distance compte moins et l’EMNE peut être davantage touchée par son retard et ses intentions stratégiques (strategic

intents) face à ses rivaux du monde développé. Ainsi, certains chercheurs soutiennent que le

modèle d’Uppsala devient moins pertinent lorsqu'on aborde l'internationalisation des entreprises des économies émergentes (Mathews, 2002b; 2006; Stöttinger et Schlegelmilch, 2000). Cependant, d'autres continuent à appliquer ce modèle en considérant que cette dernière critique est excessive (Santangelo et Meyer, 2017).

Divers articles ont été publiés pour tester le modèle d’Uppsala et tenter de le contextualiser dans des entreprises émergentes. Håkanson et Kappen (2017) ont comparé le comportement de

risk-seeking (proactif) et de risk-avoiding (incrémental) dans la logique du modèle, telles que

les perspectives du « Born Global » (Cavusgil et Knight, 2015) et de l’ « International New

Ventures » (McDougall, Shane et Oviatt, 1994). Meyer a souligné que les entreprises des

économies émergentes, en particulier les entreprises chinoises, se préparent à leur développement international d’ores et déjà sur leur marché intérieur, avant même de partir à l'étranger (Meyer, 2014). Ces entreprises ont grandement bénéficié des investissements entrants en Chine. Depuis l’ouverture de la Chine, elles ont adopté un processus de rattrapage des acteurs étrangers notamment à travers des alliances stratégiques et des contrats de coentreprise pour acquérir les technologies et les pratiques du commerce international (Child et Rodrigues, 2005). Cela a facilité ensuite leur processus d'internationalisation ultérieur. Dans une étude empirique menée par Meyer et Thaijongrak (2013) sur le processus d'internationalisation des EMN thaïlandaises, ils ont constaté que les étapes spécifiques du modèle d'Uppsala (e.g. de l'exportation vers les installations de production) ne semblent pas se retrouver dans le cas de la Thaïlande. Cependant, le processus d'apprentissage expérientiel pour expliquer l'engagement accru demeure encore pertinent.

L'article de Dow et al., (2017) a également confirmé que peu importe ce qui change dans les différentes versions du modèle d'Uppsala, l’interaction entre l’aspect statique et l’aspect dynamique reste assez stable. Cependant, ils ont proposé que l'inertie organisationnelle et l'intentionnalité managériale pouvaient jouer un rôle important dans le processus

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d'internationalisation des entreprises des économies émergentes. Cela implique que le processus international est principalement spécifique à l'entreprise, lié aux caractéristiques de l'entreprise et à son environnement (Drucker, 2017). Que le processus soit rapide ou lent dépend de la mesure dans laquelle les entreprises perçoivent et interagissent avec leur environnement, leur comportement pouvant être limité ou encouragé par une expérience antérieure. Par exemple, le comportement de tremplin décrit dans la perspective de Springboard des entreprises des pays émergents peut être déclenché par une intentionnalité managériale après avoir perçu un retard substantiel dû à l'inertie (de lent à rapide). Ensuite, les managers peuvent maintenir une telle vitesse dans leur développement international jusqu'à ce qu'ils rencontrent un autre événement déclencheur (du rapide au lent) qui ralentit leur processus d’internationalisation.

Dans le même ordre d'idées, Vahlne et Johanson (2017) proposent un « modèle d’Uppsala augmenté » dans lequel ils ont consolidé la relation qui existe entre l’aspect statique et l’aspect dynamique à plusieurs niveaux pour justifier le processus de prise de décision pour le développement international au sein d’une entreprise. Ils ont fait valoir qu'une entreprise performante ne se limite pas toujours à réagir passivement aux changements environnementaux ; au contraire, elle anticipe activement, avec une intention managériale. Ainsi, pour des dirigeants ayant un esprit d’entrepreneuriat "fort", qui considèrent les opportunités plutôt que les seuls risques, un processus de développement proactif peut être entrepris. À l'inverse, pour des dirigeants excessivement sensibles aux risques, ils peuvent préférer adopter un processus progressif afin de consolider les acquis antérieurs. Cependant, dans les deux cas, l’ontologie du processus reste la même, même si la vitesse de développement diffère.

2. La distance psychique dans l'analyse des EMNE chinoises

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