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Le modèle « Kübler-Ross »

A De la nécessité d’informer

A.5 Le modèle « Kübler-Ross »

L’idéologie d’E. Kübler-Ross59 est fondée sur cette croyance que si nous affrontions l’idée de notre propre mort, nous serions capables d’aménager notre propre bien-être et celui de notre famille, de la société en général.

L’idée est que nous pourrions « accéder à notre propre paix intérieure (…) en affrontant et en acceptant la réalité de notre propre mort »60. La position de l’auteur est de tenter de cerner au plus près quels sont les besoins de la personne en fin de vie afin de les satisfaire au mieux.

Kübler-Ross61 part du principe que toute personne sait que son temps est compté sur terre « si nous ne savions pas, profondément, que nous sommes ici bas pour un temps relativement court, pourquoi lutterions nous pour la perfection, l’amour, la paix ? N’est-ce pas à cause de notre désir de laisser ce monde, en le quittant, un peu meilleur, un peu plus humain que lorsque nous y sommes entrés ? (…) ceux qui reconnaissent tout cela sont des courageux, assez forts pour lutter contre leurs imperfections, assez confiants et fidèles : ils verront la lumière au bout du tunnel. »62

L’auteur, psychiatre américain, expose dès les premières lignes de son livre Vivre avec la

mort et les mourants, une position somme toute relativement imaginaire basée sur l’idée que

nous sommes en mesure d’appréhender le réel de notre mort et que c’est à l’aune de cette appréhension que nous dirigeons notre vie.

Dans son livre Les derniers instants de la vie Kübler-Ross expose une expérimentation réalisée à partir de 1965 qui consistait en l’interrogation d’une personne en fin de vie. Cet interrogatoire porte sur l’étude et l’observation des grands malades et des mourants.

Les personnes gravement malades et en fin de vie étaient rencontrées, au tout début de l’expérience, dans leur chambre puis étaient déplacées dans une pièce comportant un miroir a double teint permettant à une assemblée de suivre l’entretien. Après leur accord concernant cette rencontre ils leur exposaient le but de l’entretien : « en savoir davantage sur les grands malades et les mourants ».

59 Kübler-Ross, E. (1975), Les derniers instants de la vie, Labor et Fidès, Genève, 1975. 60

Kübler-Ross, 1975, p. 26.

61 Kübler-Ross, E. (1981), Vivre avec la mort et les mourants. Paris, Editions du Tricorne, Editions du Rocher. 62

C’est dire que même s’ils n’étaient pas au fait de leur situation de santé, ils ne pouvaient dès lors que se douter qu’ils étaient au mieux gravement malades, aux pires mourants !

Ce qui se présentait au départ comme une expérience est devenu par la suite un séminaire pour devenir enfin un cours officiel pour la faculté de médecine.

La position de l’auteur, concernant le fait de faire l’annonce ou non d’un diagnostic de cancer, est de ne pas rester sur cette mise en balance entre dire et ne pas dire et de s’interroger sur une manière adéquate de dire les choses.

C’est-à-dire que pour elle l’annonce ne peut que se faire mais il est nécessaire d’interroger la manière de le faire ; autrement dit, de réussir à annoncer un tel diagnostic sans enlever tout espoir.

C’est en s’appuyant sur ce séminaire que l’auteur construit les cinq étapes du processus psychique en œuvre lors des maladies graves à pronostic létal.

Première étape : Le refus et l’isolement.

La première étape est celle du refus, la personne qui reçoit la signification létale de la maladie qui la touche entre dans une phase d’incrédulité où sont mis en évidence cette surprise et ce refus de se reconnaître mortel.

C’est une phase durant laquelle la personne n’est pas en mesure d’entendre plus d’information relative à sa maladie et à son pronostic, elle met en place des processus défensifs tels que le refoulement, une tentative de dénégation.

C’est une phase, selon l’auteur, où le malade ne peut parler franchement de sa maladie car il refuse de voir la réalité.

Cependant, malgré ce refus, le malade montre qu’il a bien entendu la menace de mort, et l’auteur précise qu’il est important de savoir respecter ces défenses psychiques.

Durant cette étape l’auteur précise que les patients sont en mesure d’envisager l’éventualité de leur propre mort pendant un moment, mais en rejettent l’idée pour pouvoir continuer à vivre. Ignorer notre mortalité est ce qui nous autorise à nous projeter dans un avenir.

L’auteur estime que ce refus, cette dénégation est un système défensif provisoire qui permet au patient d’intégrer psychiquement le choc de l’annonce de son diagnostic et de son pronostic, et qu’il peut laisser place par la suite à d’autres modes défensifs moins exclusifs, qui autorisent une parole autour et sur la mort.

L’auteur insiste en disant que retarder le moment de cette discussion sur la mort du patient avec celui-ci n’est pas lui rendre service, comme si l’on devait nécessairement en passer par cette parole.

Selon l’auteur, le refus du malade à l’encontre de la survenue de la maladie mortelle n’est que temporaire et laisse place à un moment ou à un autre à une acceptation partielle.

L’auteur estime que c’est le surmontement par le soignant de la peur de sa propre mort qui permet de soutenir et d’aider le malade à surmonter la peur de sa propre mort à venir.

Deuxième étape : l’irritation.

Le patient peut franchir cette étape et passer à la suivante si une personne s’autorise à parler avec lui de manière franche de sa maladie. Ainsi, la personne abandonnerait le stade du refus pour entrer dans le stade de la révolte et de la colère. Stade qui s’exprime selon l’auteur par « Pourquoi moi ? ».

C’est un stade durant lequel le patient exprime des reproches à son entourage proche mais aussi à l’équipe soignante. Cette colère exprime une irritation contre ce que les autres peuvent représenter pour le sujet malade et en fin de vie, à savoir « l’image de la vie, de la santé, de l’entrain, de la vigueur, du dynamisme »63 ce qui a pour effet de l’affronter à ce qu’il est en train de perdre.

« Pourquoi moi ? » traduis l’interrogation du sujet au regard du désir de l’Autre à son égard. Dans une situation clinique rapportée par l’auteur, un patient se posant cette même question se donne pour réponse « Ben quoi, tu ne vaux pas plus qu’un autre, pourquoi pas toi ? »64, ce qui traduit une tentative du sujet à se fondre dans la série des petits autres et qu’aucune raison angoissante ne viendrait justifier un tel choix de la part de l’Autre.

63 Kübler-Ross, 1981, p. 44. 64

Troisième étape : le marchandage.

Le troisième stade décrit par l’auteur est celui du marchandage. Il s’agit d’un moment où le patient semble accepter l’idée que la maladie mortelle puisse également le toucher et dans le même temps tenter de négocier une prolongation de la vie au travers d’un marchandage. L’idée est que le patient promet quelque chose en échange d’un sursit. Dans ce stade le patient traverse un moment d’apaisement provisoire. Selon Kûbler-Ross, « ce n’est qu’une trêve, au cours de laquelle le patient, qui espère vivre un peu plus longtemps, comme il l’a demandé, met habituellement ses affaires en ordre, rédige son testament, commence à s’inquiéter de qui le succédera dans son entreprise ou veillera sur ses enfants. »65

Ces marchandages sont généralement adressés à Dieu ou au médecin, c’est-à-dire à toute figure pouvant tenir lieu d’Autre.

Ce marchandage signe le fait que l’Autre a qui l’on s’adresse dans cette forme de requête est en mesure d’asséner ou non la mort et que cela reste de l’ordre du bon vouloir de l’Autre, que cela peut se monnayer : répondre aux désirs de l’Autre peut éventuellement avoir pour conséquence qu’il accède à la requête et permettre la prolongation de la vie.

Mais ce marchandage est toujours relancé.

Quatrième étape : la dépression.

La dépression survient lorsque le patient ne peut plus nier être atteint par une maladie mortelle. Ce stade de la dépression peut prendre deux formes : la dépression de réaction qui exprime la tristesse d’avoir perdu par la maladie et l’approche de la mort quelque chose, que ce soit un membre, une fonction physiologique, une situation sociale, familiale, etc.

Le second type de dépression est la dépression préparatoire qui correspond à la tristesse d’avoir à perdre ce qui leur est précieux au travers de la mort.

Selon l’auteur, à ce stade de la dépression, ils commencent à faire leur propre deuil. C’est une phase où les patients ne parlent plus beaucoup, « ils ne peuvent traduire en mots leur angoisse et leur tristesse. »66

65 Kübler-Ross, 1981, p. 47. 66

L’auteur envisage la mort comme une perte de tout ce qui a de la valeur pour la personne qui va mourir.

La dépression préparatoire est un instrument servant à se séparer des objets aimés afin d’en arriver à l’acceptation de la mort à venir.

L’idée est que si l’on laisse le patient exprimer sa tristesse, il en arrivera plus facilement à l’acceptation de sa mort et qu’il ne s’agit pas de l’entourer de paroles encourageantes afin de faciliter le passage et l’affrontement à la mort.

Contrairement au premier stade de la dépression ou le patient exprime au travers d’un discours soutenu sa peine, dans ce second stade, il a tendance à rester silencieux.

Cinquième étape : l’acceptation.

A l’issue de cette dépression préparatoire, l’auteur définit le stade de l’acceptation en ces termes :

Le patient ne désire plus de visiteurs, n’a plus envie de parler à quiconque, a, le plus souvent, mis ses affaires en ordre, ne met plus d’espoir dans les traitements et n’attend plus que sa vie soit

prolongée. »67

« Le stade de l’acceptation est atteint quand, ayant regardé en face leur finitude, les gens vivent une autre qualité de vie, avec d’autres valeurs, apprennent à jouir de chaque jour qui leur est donné, ne se tourmentent pas trop de ce que sera demain, et espèrent avoir encore beaucoup de temps devant eux pour vivre ainsi. »68

L’auteur précise qu’il ne faut pas confondre l’acceptation avec la résignation. Selon elle, l’acceptation est « le sentiment d’une victoire, un sentiment de paix, de sérénité, de soumission sincère à ce qu’on ne peut modifier. La résignation (étant) un sentiment de défaite, d’amertume »69 ce qui correspond

selon l’auteur à 80 % des malades en fin de vie.

67

Kübler-Ross, 1981, p. 55.

68 Kübler-Ross, 1981, p. 56. 69 Ibid.

Selon l’auteur plus le patient lutte pour éviter l’idée de la mort à venir, plus il est dans le déni et moins il est en mesure d’accéder à ce stade de l’acceptation « dans la paix et la dignité »70. Il s’agirait d’une étape qui signe un point de basculement du désir du sujet, du désir de vie à un désir de repos et de mort.

Ce stade de l’acceptation ne semble possible que si on envisage une vie après la mort, c’est-à- dire si on est en mesure d’atténuer la violence de l’anéantissement par cette forme d’élision de la signification de néant. La mort ne s’accepte qu’à la condition de n’être pas définitive. Peut- on alors parler réellement d’acceptation dans ce contexte ? Cette acceptation là ne se réalise-t- elle pas sur le plan de l’imaginaire ?

E. Kübler-Ross, abordant la question de l’information des patients à propos de la gravité de leur maladie, témoigne du positionnement de ces patients qui disent souhaiter être informés à deux conditions : que l’annonceur laisse la place pour un certain espoir et que le médecin qui les informe ne les abandonne pas par la suite.

La question de la crainte de l’abandon de la part de celui qui énonce le diagnostic ou le pronostic est une question récurrente. Que peut bien traduire ce vœu de ne pas être abandonné par le médecin annonceur ?

70

B… au repérage de difficultés dans l’annonce d’un