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L’annonce d’un pronostic létal

B au repérage de difficultés dans l’annonce d’un pronostic létal

B.1 L’annonce d’un pronostic létal

Mais avant d’aller plus loin, il est important de marquer une distinction fondamentale entre l’annonce d’une maladie grave et potentiellement mortelle, à la suite de quoi le médecin proposera un traitement qu’il soit à visée curative ou palliative et cette autre annonce qui concerne davantage notre travail, l’annonce du pronostic létal ou le médecin se met en demeure d’annoncer à son patient que sa vie est réellement mise en jeu, qu’il est condamné à mourir de cette maladie à plus ou moins brève échéance.

Il est primordial de faire cette distinction fondamentale car les impacts que ces deux annonces ont sur le sujet ne sont pas les mêmes. Dans le premier cas, un espoir est permis même si la mort s’annonce par le biais de la nomination de la maladie, alors que dans le second cas, plus aucun espoir de survie n’existe, la mort est annoncée comme irrémédiable, assurée, incontournable.

B.2

Iatrogènie de l’annonce

Pascal-Henri Keller71 dans son intervention au cours du septième colloque de médecine et psychanalyse aborde la question de l’annonce dans son aspect iatrogène au sens où l’annonce médicale peut être l’occasion de la souffrance du sujet. L’auteur y expose un principe éthique au fondement de la médecine : « Primum non nocere » qui interdit tout acte de nuisance envers le malade. C’est-à-dire que tout médecin se doit de se garder de tout acte entraînant la souffrance de son patient ; en ce sens il est question de la souffrance physique mais également psychique.

Apparaît alors ce paradoxe entre la nécessité d’informer le malade de son diagnostic et de son pronostic afin de préserver son autonomie et sa dignité et le respect de ce principe de non nuisance envers le patient. Il y a effectivement paradoxe puisque dans le mouvement même de l’annonce, au nom d’un principe éthique, nous ne pouvons que constater le surgissement d’une souffrance psychique du sujet, au travers ne serait-ce que de la sidération engendrée par

71

Keller, P.-H. (2005), Iatrogènie de la parole en médecine, septième colloque de médecine et psychanalyse, violence de l’annonce, violence du dire, Etudes freudiennes, Paris, 2005, p. 203-210.

l’annonce, mais également au travers de toutes ces défenses psychiques mise en œuvre pour contenir l’effroyable de la mort annoncée.

B.3

Annonce et douleur morale

En 1986, Schaerer72 témoigne de cette difficulté majeure qui est la sienne de savoir que lorsqu’il fera acte d’annonce de cette information médicale concernant le pronostic, il blessera le malade auquel il s’adressera.

Il note que quelque soit la manière dont il fera l’annonce, même en agissant avec la plus grande progression, comme il le conseille vivement, le sujet qu’il a en face de lui comprendra d’un seul coup ce qui est mis en jeu dans cette rencontre, à savoir sa vie et la menace que la maladie fait porter sur elle. A ce moment précis, l’auteur note que la douleur morale est infligée irrémédiablement.

Après avoir exposé les mobiles qui poussent les médecins à soutenir la nécessité de l’annonce, il73 s’interroge sur le fait de savoir s’ils sont les seuls à prendre en compte pour répondre à la question de la nécessité d’informer un patient du caractère létal de sa maladie.

Il soutient cette interrogation à partir d’expérience qu’il a eue d’annonce de pronostic létal.

« J’ai parfois été assez loin dans ma pratique dans la révélation d’une mort prochaine. Au moins deux fois je l’ai fait de manière explicite et je garde le souvenir d’avoir provoqué chez deux malades –deux femmes croyantes auxquelles j’avais cru rendre le service qu’elles attendaient de moi au nom de notre foi commune- une espèce de sidération définitive de la capacité et de sourire et de prendre la parole »74.

L’auteur note donc un effet sidérant dans l’acte d’annoncer à l’autre qu’il va mourir et cette sidération est la difficulté majeure à laquelle s’affronte tout médecin qui s’engage dans la voie de l’annonce d’un pronostic létal. A la suite de J. Pillot, psychologue travaillant dans le cadre des soins palliatifs, Schaerer expose deux raisons pour ne pas s’engager systématiquement dans l’annonce d’un tel pronostic. En premier lieu, il s’agit de prendre en compte que tous les malades ne sont pas forcément demandeurs d’une telle annonce, d’une telle connaissance sur

72

Schaerer, R. (1986), Contenu objectif de la vérité, JALMALV n°7. –p. 20-25

73 Schaerer, R. (1994). 74

la fin de leur vie, malgré ce que peut en dire les sondages qui ne font que révéler une réponse imaginaire sur une mort imaginée.

D’autre part, que toute annonce de pronostic létal contient en elle « une violence insupportable pour le patient. Cette violence contient en elle la privation d’espoir (…). Cette violence est reconnue même par les plus chauds partisans d’une information complète des malades. »75. De fait la position de Schaerer est de s’adapter au positionnement du sujet, c’est-à-dire de répondre à sa demande et de ne pas faire d’annonce sauvage.

B.4

Annonce et mécanismes de défenses du

patient

Paradoxalement, les médecins soutiennent la nécessité d’informer un patient du caractère létal de sa maladie en argumentant leur position du coté du respect de l’autonomie du malade, mais ce faisant ils notent malgré tout un certain nombre de difficultés inhérentes à l’annonce elle- même, ainsi que la présence de mécanismes de défenses mis en œuvre par ces mêmes patients peu après l’annonce de leur pronostic.

Claude Lhote76

expose plusieurs modes de défenses psychiques émanant du moi et servant à mettre à distance l’angoisse provoquée par l’idée d’une survenue imminente de la mort inhérente à toute annonce de pronostic létal. Ainsi il conceptualise des défenses telles que l’anticipation qui consisterai à « envisager calmement un avenir traumatique en en prévoyant les conséquences sans dramatisation excessive »77, mais aussi, la régression, le refuge dans la rêverie, le clivage, la rationalisation, l’intellectualisation, l’expression des sentiments, l’humour sur soi- même, le déni, le déni-idéalisation, etc.

Au total l’auteur prétend avoir identifié 71 de ces mécanismes dans des travaux réalisé avec S. Ionescu et M.-M. Jacquet78

.

75 Schaerer, 1994, p. 40. 76

Lhote, Cl. (1999), Les mécanismes de défense au cours des maladies graves. Laënnec, 1999, n° 5. –p.10-14

77 Lhote, Cl., 1999, p.10. 78

Martine Ruzniewski79

expose les mécanismes de défenses mis en jeu par les malades devant l’angoisse de leur mort à venir. Il s’agit de la dénégation, la sublimation et la combativité, le déplacement et les rites obsessionnels. La dénégation consiste en ce que le malade refuse de reconnaître ce savoir qu’il possède malgré tout sur sa fin à venir afin de mettre à distance l’angoisse de cette menace de mort qui pèse sur lui.

La sublimation et la combativité permet au sujet de maintenir un « continuum de vie (en adaptant) son psychisme à la maladie ». Le déplacement consiste en un glissement et une fixation de la peur sur un autre objet suffisamment éloigné de l’idée de la maladie pour la rendre supportable. Enfin, les rites obsessionnels consistent en la recherche d’une compréhension et d’une maîtrise de la maladie par le malade.

Ladouceur80

repère trois niveaux de réactions du patient recevant une mauvaise nouvelle : des réactions psychophysiologiques telles que l’agitation, une activité psychomotrice accrue, un effondrement avec retrait et mutisme ; des réactions cognitives, telles que le déni, le blâme, l’intellectualisation, l’incrédulité, l’acceptation ; et des réactions affectives, telles que la colère, la peur, l’anxiété, l’impuissance, le désespoir, la honte, la culpabilité, la délivrance.

Il faut noter qu’une large littérature expose le fonctionnement de nombre de mécanismes de défenses psychiques mais peu d’entre eux aborde ce qui se passe lorsque aucun mode défensif ne peut s’élaborer et que le sujet plonge inexorablement et violemment, soit dans une position de déjà-mort, où le sujet semble être anéanti, soit dans une décompensation psychotique où rien ne vient soutenir sur le plan signifiant l’irruption de cette mort promise par l’Autre.

79

Ruszniewski, M. (1984), Le dit et le non-dit en hématologie. Gazette médicale, 1984, vol.91, n°26. –p. 19-21.

Ruszniewski, M. (1998), Les mécanismes de défense du malade à l’approche de la mort. ASP-Liaison, 05 / 1998. –p. 32-34

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