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L’événement traumatique est un phénomène évocatoire

B L’effroi et son rapport au traumatisme

B.2 L’événement traumatique est un phénomène évocatoire

B.2.1

Le rêve-éveil de Maury

Reik inscrit donc l’événement traumatique en tant que phénomène évocatoire suscitant l’effroi.

Afin d’étayer cette idée, Reik va reprendre le rêve du psychologue français Maury pour tenter de cerner la psychogenèse des névroses traumatiques en mettant en tension le contenu du rêve et la présence de stimuli externes venant perturber le sommeil du rêveur.

C’est sous la Révolution Française, à l’époque de la Terreur, que Maury rêve de sa propre exécution à mort. Il « monte sur l’échafaud, le bourreau l’attache sur la planche, elle bascule, le couperet tombe. Il sent sa tête se séparer de son corps, se réveille dans un état d’angoisse épouvantable et s’aperçoit que la tête du lit vient de tomber et qu’elle l’a frappé sur la nuque, comme le couperet d’une guillotine. »193

Selon Reik ce rêve présente deux caractéristiques qui permettent d’éclairer la psychogenèse des névroses traumatiques, d’une part, le rapport existant entre le stimulus externe et la formation qu’il donne au contenu du rêve, et d’autre part, le rapport temporel extrêmement court entre les deux phénomènes, où l’on voit se développer tout un scénario du rêve dans le court instant qui sépare le choc de la tête de lit sur la nuque, du réveil épouvanté du dormeur.

Freud explique ce phénomène par le fait que le rêve de Maury est une représentation d’un fantasme conservé intact dans l’inconscient, le stimulus externe ayant pour effet de le réactualiser dans le rêve dans l’instant de l’éveil.

C’est le phénomène évocatoire de l’événement réel sur le contenu de l’inconscient et la production d’angoisse épouvantée l’accompagnant qui sont véritablement centraux dans la

réflexion de Reik, et c’est ce qui l’autorise à faire un parallèle entre ces rêves-éveils et la psychogenèse des névroses traumatiques.

B.2.2

Ce qui est évoqué : le désastre inconscient

Reik fait alors l’hypothèse que ce qui génère le traumatisme se fonde sur le sentiment que quelque chose de redouté et refoulé dans le passé puisse se réactualiser de manière inattendue au moment de la survenue de l’événement traumatique.

L’affect ressenti est lié à la réalisation d’un désastre attendu inconsciemment depuis longtemps. « Un danger mystérieux, qui fait soudain planer une menace sur la vie de l’individu, était connu au niveau inconscient depuis longtemps mais l’idée en avait été écartée »194.

L’accident traumatique, l’événement réel venant faire menace vitale, déclenche l’actualisation d’une réalité psychique refoulée, venant produire une « confirmation inconsciente du bien-fondé de cette angoisse ancienne »195.

Le désastre tant redouté est articulé par T. Reik à une « puissance mystérieuse et vengeresse »196 à laquelle nous serions soumis et qui renvoie à la puissance parentale pour laquelle nous attribuons « la responsabilité de tout ce que nous vivons passivement »197. L’événement traumatique

vécu passivement par le moi serait « vécue comme une démonstration de force, ou plutôt de volonté, de la part de cette puissance mystérieuse à caractère paternel »198.

En ce sens, la rencontre traumatisante avec l’événement réel menaçant la vie génère le sentiment de « l’emprise d’une force qui nous oblige à reconnaître avec la rapidité d’un éclair notre détresse et notre totale impuissance. »199, situation de détresse dans laquelle le moi se voit précipité et qui forme le noyau de la situation traumatique.

194 Reik, T. (1925), Ibid., p. 318. 195 Reik, T. (1925), Ibid. 196 Reik, T. (1925), Ibid., p. 319. 197 Reik, T. (1925), Ibid. 198 Reik, T. (1925), Ibid. 199 Reik, T. (1925), Ibid.

La détresse ici vécue serait à mettre en lien avec le retour du fantasme refoulé mettant en scène un père agent de notre castration, voire de notre propre mort.200

Le rêve de Maury s’interprète en ce sens que l’événement réel, la tête de lit s’abattant sur sa nuque, vient donner l’occasion au fantasme refoulé de se réactualiser dans une mise en scène couplée de la mort et de la castration du rêveur, produisant le réveil épouvanté.

L’effroi ressenti lors du choc serait donc le résultat, non seulement de la réactualisation de la motion refoulée, mais aussi de sa confirmation en tant que menace pouvant se produire dans le réel.

Autrement dit, ce serait la confirmation dans le réel d’une crainte imaginaire ou symbolique qui serait non seulement génératrice d’effroi mais produirait une névrose traumatique.

Au-delà de l’angoisse qui signe la survenue d’un danger anticipé, l’effroi résulte de ce que l’événement réel, survenant dans la surprise, vient éveiller dans l’inconscient. C’est le contenu refoulé dévoilé qui provoque l’effroi.

Au fond, le danger contre lequel le moi cherche à se garantir par l’angoisse initiatrice du refoulement, c’est, ou bien l’accomplissement du danger de pulsion, ou bien la levée du refoulement lui-même libérant un contenu refoulé particulièrement menaçant.

Anticiper le danger revient alors, soit à procéder à un premier refoulement de la motion pulsionnelle menaçante, soit à maintenir le refoulement, à le renforcer, afin que le contenu refoulé ne fasse pas retour.

Dans l’effroi, le moi n’a pas pu maintenir le refoulement en le renforçant par l’émission d’une angoisse préalable. Le contenu refoulé fait alors retour et provoque la sidération du moi.

Cependant, tout retour du refoulé ne produit pas cet effet, il devient donc nécessaire de s’interroger sur la nature de ce qui se trouve ainsi évoqué, révélé par la survenue subite de l’événement réel menaçant la vie.