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A La mort annoncée

L E LIBRE ARBITRE

Selon Freud, qui s’intéresse au début des années 1900, au déterminisme tel qu’il se manifeste dans les actes manqués de la vie quotidienne250, le libre arbitre, conviction selon laquelle on peut agir librement et sans contrainte, participe du mouvement qui consiste à refuser de reconnaître l’existence d’un déterminisme qui influencerait nos choix.

Tout se joue comme si la conviction en un libre arbitre venait contredire la possibilité d’un déterminisme et à contrario que l’existence d’un déterminisme venait pervertir la possibilité du libre arbitre.

Freud ne cherchera pas à contester l’existence de la conviction en un libre arbitre, mais posera la distinction entre la motivation consciente des actes que l’on pose et la motivation inconsciente des actes qui se réalisent sous l’apparence d’un ratage (réussi).

Le libre arbitre serait l’expression de motivations conscientes en œuvre et ne contredirait pas l’existence d’un déterminisme inconscient qui agirait nos actes à l’insu de la conscience.

Mais peut-on accorder pour autant tout crédit au libre arbitre ?

Sommes-nous totalement assurés que les raisons qui nous poussent à choisir sont totalement empruntes de liberté au regard de notre déterminisme inconscient ?

N’est-ce pas un leurre que de croire que les actes que nous posons de manière consciente se font indépendamment de toute influence inconsciente ?

N’est-il pas plus juste de penser que nos actes qui nous semblent les plus libres sont au fond le résultat d’un assentiment conscient de motivations qui peuvent nous échapper totalement, au sens où elles restent purement inconscientes ?

C’est là au fond l’idée mise en œuvre par la mythologie et repérable dans Œdipe Roi.

Tous les actes qu’il pose semblent dictés par son libre arbitre : le choix de tuer l’impertinent étranger qui le menace sur la route qui le mène à Thèbes, accepter cette femme que les habitants de Thèbes lui proposent en mariage pour les avoir sauvés de la Sphinx.

Alors qu’au fond et c’est là tout le drame qui se révélera à lui dans sa quête du savoir, ces choix ne sont pas libres mais contraints par la nécessité du déterminisme de son destin, écrit et voulu par les dieux. Œdipe n’a fait que poser des actes décidés par une instance qui le dépasse et qui l’agit à son insu.

De le découvrir le précipitera dans une déchéance sans nom.

L

E SUPERSTITIEUX

La superstition251, avec l’analyse des interprétations que les paranoïaques font des gestes accidentels d’autrui et des détails de la réalité, sont des voies par lesquelles Freud vient justifier l’existence d’un déterminisme inconscient en œuvre dans nos actes les plus accidentels.

C’est-à-dire que c’est au travers des actes qui nous échappent, au sens où ils échappent à une motivation consciente, que Freud met en valeur l’existence d’une motivation autre qui indique la présence et l’influence de l’inconscient.

La superstition procède, à l’image des interprétations des paranoïaques, en la croyance pour l’un et la certitude pour l’autre que le réel, et les événements qui le ponctuent, portent et délivrent une signification, qui concerne directement le sujet, qu’il soit paranoïaque ou superstitieux.

Pour n’en rester qu’à la superstition, le sujet superstitieux voit dans l’événement accidentel, non prévu, la manifestation du sort, soit sous la forme d’une intention qui le concerne, soit sous la forme d’une réponse pour une interrogation qu’il se pose.

Freud s’appuie sur l’acte manqué de son cocher, c’est-à-dire sur cet événement réel par où il se fait arrêter devant une maison qui n’est pas celle de sa patiente, afin de restituer une forme de pensée superstitieuse, dont il se refuse la paternité252.

Il y voit une réponse du sort à cette pensée qui consiste à se demander combien de temps sa patiente de 90 ans vivra encore. Cette interrogation pouvant traduire un désir de mort à l’égard de la patiente et dont la réalisation trouverait sa confirmation dans le réel au travers de l’acte manqué du cocher.

Freud analyse cette croyance superstitieuse en la manifestation du sort, d’un déterminisme qui serait extérieur au sujet, dans le sens d’une projection du déterminisme psychique inconscient sur les événements réels. C’est en ce sens que la superstition vient argumenter l’existence du déterminisme psychique.

Au fond, ce que le sujet refuse de percevoir au travers de ces actes manqués, en tant que manifestation de son propre déterminisme inconscient, se présente de manière acceptable dans sa projection dans le réel. Le sujet peut alors y entendre l’expression d’une signification qui le concerne mais tout en ne lui attribuant pas sa propre paternité.

En ce sens, voir dans l’acte manqué du cocher l’expression d’un avertissement concernant la survenue de la mort de sa patiente, n’est autre que la projection dans le réel de la manifestation du désir de Freud transformé en réalité survenue, dont le sort lui ferait signe. Le bénéfice étant d’extraire le sujet de l’expression du désir comme s’il n’en était pas l’auteur.

La signification que le superstitieux entrevoit dans la survenue de certains événements réels porterait sur la dimension du désir en tant que tel, que celui-ci se présente sous la forme d’un désir dont le sujet serait l’objet ou d’une réponse accordée à l’expression inconsciente du désir du sujet.

252 Cependant, étant donné qu’il y a pensé, on peut y entendre une manifestation superstitieuse de sa part, même

Toute la question est alors de savoir ce qui, au travers de l’expression du sort, viendrait manifester son désir ou donner réponse au désir du sujet.

A.3.2

Projection sur le réel d’un déterminisme

inconscient

L’

ANIMISME

L’animisme se définit d’être la croyance des peuples primitifs dans le fait que le monde est peuplé par « un monde infini d’êtres spirituels, bien ou mal disposés à leur égard. Ils font de ces esprits et de ces démons la cause des processus naturels et soutiennent qu’ils animent non seulement les animaux et les plantes mais aussi les choses inanimées dans le monde. »253.

Freud estime que c’est la mort qui a donné le point de départ de la création de cette croyance animiste. Dès 1912, il argumente l’idée d’une impossibilité dans laquelle nous nous trouvons de pouvoir nous représenter la mort, l’absence de représentation de la mort dans l’inconscient n’étant développée dans la théorie freudienne qu’en 1915254.

Cette impossibilité ouvre la voie à l’idée de l’immortalité qui participe des croyances des peuples animistes.

L’animisme serait à l’origine de la mythologie en tant que fondement de la constitution des divinités. Freud y voit une théorie appartenant au psychologique qui persiste sous la forme de la superstition dans les sociétés modernes.

En ce sens, l’animisme participe de cette projection dans le réel d’un déterminisme psychique, telle que Freud l’a mis en évidence dans son analyse de la superstition.

Freud émet alors l’hypothèse que ce qui motive cette projection des processus psychiques dans le réel se produit quand cette « projection apporte l’avantage d’un soulagement psychique »255. Quelque chose dont l’énoncé peut s’autoriser à condition qu’elle en passe par cette projection

253 Freud, S., (1913), Totem et tabou, Paris, Points Essais, p. 158.

254 Freud, S., (1915), Considérations actuelles sur la guerre et la mort, in Essais de psychanalyse, Paris, Payot. 255 Freud, S., (1913), Totem et tabou, Paris, Points Essais, p. 185.