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L’année 2003 voit le lancement de trois sondes vers Mars. Parmi elles, deux sont des

rovers, c’est-à-dire des robots mobiles permettant d’étudier un site de manière plus poussée et

moins « ponctuelle » qu’un atterrisseur classique. Le premier, Spirit, atterrit le 4 janvier 2004 dans le cratère Gusev, dont la connexion avec Ma’adim Vallis fait dire qu’il s’agit d’un ancien lac (Fig. 1-11A). Le second rover, Opportunity, atterrit le 25 janvier dans la région de Meridiani Planum, au cœur des dépôts riches en hématite identifiées par l’instrument TES de Mars Global Surveyor (Fig. 1-11B).

Les premiers résultats obtenus dans le cratère Gusev sont décevants : les roches analysées par le rover Spirit sont d’origine volcanique (et non sédimentaire) et elles ont été remaniées essentiellement par les impacts météoritiques et l’action du vent ; l’altération par l’eau liquide semble mineure [Squyres et al., 2004a ; Haskin et al., 2005]. Le rover est donc conduit vers des terrains surélevés et plus anciens, baptisés collines Columbia, à une distance d’environ trois kilomètres [Arvidson et al., 2006a]. Dès lors, les caractéristiques pétrographi-ques, chimiques et minéralogiques des roches rencontrées indiquent une interaction avec l’eau liquide beaucoup plus marquée. Ainsi, autour de l’affleurement nommé « West Spur », plusieurs roches montrent un aspect granulaire (parfois laminé) et se révèlent enrichies en goethite et hématite (cf. § I.1.2.3.2.) [Arvidson et al., 2006]. L’une d’elle pourrait par ailleurs renfermer des phyllosilicates [Wang et al., 2006]. À l’opposé de ces changements observés dans les roches, le régolithe dans les collines Columbia a une composition similaire à celui de la plaine basaltique. Une exception est toutefois mise au jour par Spirit : une portion de régolithe baptisée « Paso Robles » est fortement enrichie en soufre, présent principalement sous forme de sulfates de fer (cf. § A.4.3.) [Ming et al., 2006].

Plus tard au cours de la mission, mais toujours au sein des collines Columbia, Spirit est utilisé pour étudier « Home Plate », un plateau stratifié d’environ 80 mètres de large. Les textures observées indiquent qu’il a été mis en place par une activité volcanique explosive

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[Squyres et al., 2007], résultant vraisemblablement de l’interaction entre le magma ascendant et l’eau superficielle. En plusieurs points, le régolithe entourant Home Plate se révèle enrichi en sulfates de fer hydratés ou en silice opaline, ce qui suggère un épisode d’altération hydrothermale en lien avec l’activité volcanique [Arvidson et al., 2008;2010].

Un autre résultat majeur du rover Spirit provient de l’étude de l’affleurement nommé « Comanche », qui est le premier à renfermer des carbonates, riches en magnésium et en fer, à hauteur d’environ 25% en poids [Morris et al., 2010]. Compte tenu de l’état d’érosion des roches, les carbonates sont considérés comme un constituant majeur et non comme une couche superficielle d’altération. Ils sont associés à de l’olivine magnésienne (Fo60-80 ; cf. § A.1.1.), ce qui est en accord avec leur composition. Compte-tenu des interprétations concer-nant Home Plate, Morris et al. [2010] privilégient une origine hydrothermale des carbonates de Comanche, impliquant cependant des solutions à forte teneur en ions carbonates et à pH plus proche de la neutralité.

De son côté, à son atterrissage, le rover Opportunity s’est immobilisé – par le seul fait du hasard – à l’intérieur d’un petit cratère, à quelques mètres à peine d’un affleurement rocheux stratifié, manifestement d’origine sédimentaire [Squyres et al., 2004b]. Rapidement, l’hématite détectée depuis l’orbite est retrouvée sous la forme de concrétions sphériques (pluri-)millimétriques [Squyres et al., 2004b; Christensen et al., 2004; Klingelhöfer et al., 2004]. Mais l’affleurement s’avère aussi très riche en sulfates de calcium et de magnésium, à hauteur de 15 à 35% en volume [Christensen et al., 2004], et en jarosite, mise en évidence par

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http://mola.gsfc.nasa.gov/images/gusev2.jpg

30http://www.nasa.gov/mission_pages/mgs/20061121-imagesb.html

Figure 1-11 – Les deux sites retenus pour la mission Mars Exploration Rovers. A : l’ellipse d’atterrissage de Spirit à l’intérieur du cratère Gusev. L’embouchure et une portion de Ma’adim Vallis sont visibles dans la partie basse de l’image. Source : NASA29

. B : l’ellipse d’atterrissage d’Opportunity au sein des dépôts riches en hématite de Meridiani Planum. L’échelle d’abondance en hématite est dérivée des données de l’instrument TES (cf. § I.2.1.3.3.). Source : NASA, JPL, ASU30.

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spectrométrie Mössbauer [Klingelhöfer et al., 2004]. Les autres composants probables sont une phase riche en silice (environ 30%), des minéraux primaires (olivine et pyroxène, environ 20%) et des oxydes autres que l’hématite (environ 5%) [Christensen et al., 2004]. Enfin, des petites cavités apparaissent sur les images du microscope embarqué, suggérant la dissolution secondaire de cristaux initialement présents dans les dépôts et dont seules les empreintes subsistent [Squyres et al., 2004b].

Des résultats comparables sont ensuite obtenus dans un cratère un peu plus grand (150 mètres de diamètre), baptisé « Endurance », démontrant la continuité latérale des couches observées durant les premières semaines [Clark et al., 2005]. Toutefois, l’épaisseur de roches accessible est ici plus importante et offre une vue plus complète de la stratigraphie locale (Fig. 1-12A). Grotzinger et al. [2005] introduisent le nom de formation Burns31 pour désigner l’ensemble de la formation sédimentaire étudiée par Opportunity, qu’ils subdivisent en : une unité inférieure, constituée de grès à stratification entrecroisée, caractéristique d’un champ de dunes ; une unité intermédiaire, constituée de grès à strates subhorizontales, évoquant une nappe de sable éolienne ; et une unité supérieure, constituée de grès plus clair, présentant des faciès de nappes de sable et d’interdunes (Fig. 1-12C). Le contact entre les unités inférieure et intermédiaire (Fig. 1-12B) est interprété comme une surface d’érosion, et celui entre les unités intermédiaire et supérieure comme un front diagénétique [Grotzinger et al., 2005]. Les processus éoliens semblent donc avoir dominé la mise en place des sédiments de la formation Burns, à l’exception du faciès d’interdune qui implique une étendue d’eau peu profonde. Grotzinger et al. [2005] notent néanmoins que la nature même des grains suggère qu’ils déri-vent d’une source évaporitique, et donc que l’eau liquide a été impliquée dans leur formation. Le scénario évaporitique [Squyres et al., 2004b ; Grotzinger et al., 2005; Andrews-Hanna et al., 2010] n’est pas le seul à avoir été envisagé pour expliquer la composition des sédiments découverts à Meridiani Planum. Les autres modes de formation proposés incluent : l’altération de basaltes par un brouillard acide riche en acide sulfurique [Tosca et al., 2004; Tréguier et al., 2008;Berger et al., 2009] ; le dépôt de cendres volcaniques suivi de leur alté-ration par des vapeurs de fumeroles riches en eau et en dioxyde de soufre [McCollom et Hynek, 2005] ; le dépôt de débris d’impact(s) par des courants de densités suivi de leur altération par l’eau initialement contenue sous forme de glace dans les matériaux excavés [Knauth et al., 2005] ; l’altération combinée de poussières de silicates et d’aérosols riches en soufre par des films d’eau liquide au sein de dépôts glaciaires, suivie de la sublimation complète de ces derniers et de leur remaniement par le vent ou les impacts météoriques [Niles et Michalski, 2009;Massé et al., 2012]. On le voit, cette question fait l’objet d’un important débat. Nous y reviendrons dans le chapitre III de ce manuscrit.

À l’heure où sont rédigées ces lignes, le rover Opportunity est toujours en activité, plus de huit ans et demi après son arrivée sur Mars. De 2006 à 2008, il a exploré le cratère Victoria (750 mètres de diamètre), obtenant de résultats cohérents avec ceux décrits précé-demment [Squyres et al., 2009]. Il a ensuite poursuivi sa route vers le sud pour atteindre en août 2011 – après plus de 33 kilomètres parcourus au total – les remparts du cratère Endeavour

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En hommage au minéralogiste et géochimiste Roger Burns (1937-1994), qui avait prédit l’existence de sulfates de fer (dont la jarosite) sur Mars [Burns, 1987].

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(22 kilomètres de diamètre). Des dépôts riches en smectites (cf. § I.1.2.3.1.) ont été repérés dans cette zone depuis l’orbite [Wray et al., 2009a], mais ils n’ont pas encore été mis en évidence par les instruments du rover, dont certains sont désormais inopérants ou diminués par l’affai-blissement de leur source radioactive (c’est le cas du spectromètre Mössbauer, cf. § II.4.1.).