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III. 4.2.2.3. Orthopyroxène/pyrrhotite

III.5. Discussion

III.5.1. Processus d’altération

III.5.1.1. En l’absence de sulfure

En l’absence de sulfure, l’altération des silicates n’est pas efficace. Ceci était attendu, puisque plusieurs études expérimentales antérieures ont montré que l’effet direct du dioxyde de carbone sur les vitesses d’altération des minéraux mafiques était très faible – les principaux paramètres qui les contrôlent sont la température et le pH [Golubev et al., 2005]. Seule l’olivine, qui est moins résistante à l’altération que les pyroxènes [e.g., Brady et Walther, 1989 ; Franke et Teschner-Steinhardt, 1994] (cf. § I.1.2.2.6.), a développé une phase secon-daire, en l’occurrence la nesquéhonite, un carbonate de magnésium :

Mg2SiO4 + CO2 + 3H2O → Mg(HCO3)(OH)∙2H2O + SiO2 (1a) Mg2SiO4 + CO2 + 3H2O2 → Mg(HCO3)(OH)∙2H2O + SiO2 + O2 (1b) Dans les environnements naturels sur Terre, la nesquéhonite tend à se transformer en magnésite MgCO3, plus stable [Fallick et al., 1991], via une déshydratation progressive et des phases intermédiaires, dont l’hydromagnésite Mg5(CO3)4(OH)2∙4H2O [Davies et Bubela, 1973 ; Hänchen et al., 2008]. Sur Mars, les quelques affleurements renfermant des carbonates découverts jusqu’à maintenant sont associés à des unités contenant de l’olivine et sont princi-palement composés de magnésite et d’hydromagnésite [Ehmann et al., 2008; Morris et al., 2010]. Les présents résultats montrent que ces affleurements pourraient dériver de l’altération de roches contenant de l’olivine sous une atmosphère dominée par le dioxyde de carbone, avec des pressions totale et partielle de vapeur d’eau suffisantes pour permettre la conden-sation d’eau liquide à la surface des grains. À l’opposé, la formation de carbonates de calcium à partir de silicates calciques (par exemple, le diopside) pourrait avoir été partiellement inhibée sur Mars par des vitesses de réaction plus lentes que pour l’olivine, comme cela a pu être le cas dans l’expérience [Franke et Teschner-Steinhardt, 1994]. Enfin, les conditions utilisées ici auraient pu favoriser la formation de phyllosilicates, mais ceci a probablement été également empêché par de trop faibles vitesses de réaction (même si de faibles bandes à 2,3 µm laissent cette possibilité ouverte dans « Ol1-H2O » et « OPx-H2O »).

III.5.1.2. En présence de sulfure

L’altération des mélanges silicate/sulfure a produit des assemblages complexes, com-posés de silicate initial, de traces de pyrrhotite restante, de soufre natif, de sulfates hydratés et d’(oxy)hydroxydes de fer (Tab. 3-2). Le soufre natif et les (oxy)hydroxydes de fer dérivent directement de la pyrrhotite, comme observé précédemment par Chevrier et al. [2004] :

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S + (1 )H2O2 → (1 )FeO(OH) + S0 + H2 (2b) Au contraire, la production de sulfates est un processus en deux étapes, impliquant à la fois la production d’acide sulfurique par oxydation du soufre et la dissolution du silicate. Exemple de la production d’hexahydrite dans les mélanges olivine/pyrrhotite :

S0 + 4H2O → H2SO4 + 3H2 (3a)

S0 + 2H2O2 → H2SO4 + H2 (3b)

Mg2SiO4 + 2H+ + SO42- + 5H2O → MgSO4∙6H2O + SiO2 (4) L’excès de fer et de soufre libéré par la pyrrhotite peut aussi se recombiner pour former de la jarosite via la réaction suivante (donnée ici pour l’hydronium-jarosite, mais la jarosite potassique et la natrojarosite sont aussi possibles puisque le potassium et le sodium sont présents dans le système3 ; Tab. 3-1) :

3Fe3+ + 2SO42- + 7H2O → (H3O)Fe3(SO4)2(OH)6 + 5H+ (5) La présence de jarosite dans trois mélanges pyroxène/pyrrhotite démontre que l’altération de la pyrrhotite a causé une acidification sévère, puisque la jarosite n’est stable qu’à pH inférieur à 4 [Bigham et al., 1996; Elwood Madden et al., 2004]. Une explication possible à son absence dans les mélanges olivine/pyrrhotite est que la libération de cations basiques Mg2+ par l’olivine a généré un effet tampon dans ces échantillons, aboutissant à un pH plus élevé que dans les mélanges pyroxènes/pyrrhotite.

La formation de sulfates de calcium et de magnésium démontre que les silicates ont été altérés en parallèle de la pyrrhotite, car les silicates étaient la seule source de ces cations dans le système fermé de l’expérience. Ainsi, l’acidification induite par l’altération de la pyrrhotite semble avoir favorisé celle des silicates [Sherlock et al., 1995]. Ce processus est supposé engendrer un résidu riche en silicium (équation 4) [Tosca et al., 2004;Golden et al., 2005] et, en effet, certaines zones enrichies en silicium mais appauvries en d’autres cations ont été trouvées par MEB (Fig. 3-7). Étant donné qu’aucune phase à base de silicium en dehors des silicates initiaux n’a été détectée par DRX, ce résidu doit être mal cristallisé ou amorphe [Golden et al., 2005]. La phase riche en silicium observée au MEB est donc inter-prétée comme de la silice amorphe. La DRX indique cependant que cette phase doit être relativement mineure dans l’ensemble de l’échantillon, sans quoi elle aurait été visible dans les diffractogrammes sous la forme d’une large « bosse » située à 2θ ≈ 20 à 40°. De plus, aucune bande d’absorption due à la silice amorphe n’est observée dans les spectres VNIR.

Puisque les présents résultats ont été obtenus avec une proportion élevée de sulfure dans les échantillons initiaux, il est important de considérer les possibles différences qui

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En comparant les analyses chimiques (Tab. 3-1) et les diffractogrammes (Fig. S1, annexe C), on peut remarquer que la jarosite détectée pour les deux mélanges clinopyroxène/pyrrhotite altérés correspond à la variété potassique, en accord avec la teneur en éléments alcalins détectée dans le diopside de départ. En revanche, dans l’échantillon « OPx-HPo-H2O2 », la fiche retenue correspond à l’hydronium-jarosite, ce qui est cohérent avec le fait que le potassium et le sodium sont en dessous de la limite de détermination dans l’enstatite initiale.

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auraient pu être constatées avec un contenu en sulfure plus typique (<1%) [Lorand et al., 2005; King et McLennan, 2010]. Premièrement, la coexistence dans les échantillons finaux de sulfates et de pyrrhotite non oxydée est probablement la conséquence de la forte proportion de pyrrhotite initiale (ainsi que de la durée forcément limitée de l’expérience). Avec moins de pyrrhotite au départ (ou plus de temps), il aurait été attendu que la pyrrhotite puis le soufre natif disparaissent complètement par oxydation progressive (équations 2 et 3 ; voir aussi section suivante). Deuxièmement, avec une teneur en sulfure initiale plus faible, les sulfates formés auraient été mécaniquement moins abondants, en raison de la moindre disponibilité des ions SO42- (équations 2 et 3). Toutefois, compte tenu des faibles rapports fluide/roche et de l’absence de tout système d’agitation ou d’homogénéisation dans le dispositif expérimental utilisé, les mêmes processus chimiques et minéralogiques à l’échelle du grain, et donc les mêmes phases secondaires, auraient été attendus [McHenry et al., 2011].

III.5.1.3. Oxydation et rôle du peroxyde d’hydrogène

La précipitation de sulfates et d’(oxy)hydroxydes de fer requiert un agent oxydant. Des calculs thermodynamiques ont montré que les sulfures de fer pouvaient être oxydés par de l’eau équilibrée avec le dioxygène atmosphérique, y compris sous la très faible pression partielle de dioxygène de l’atmosphère actuelle de Mars [Burns et Fisher, 1990a; Zolotov et Shock, 2005]. La quantité de dioxygène disponible pour l’altération pourrait aussi avoir été

Figure 3-7 – Cartographie MEB du silicium, du magnésium et du fer sur une portion de l’échantillon « Ol1-HPo-H2O2 ». Les lignes pointillées indiquent des zones enrichies en silicium et appauvries en magnésium et fer (les autres éléments cartographiés pour lesquels les données ne sont pas présentées étaient aussi absents). L’image en couleurs est une micrographie en électrons secondaires sur laquelle ont été surimposées les trois cartographies élémentaires (rouge : fer ; vert : magnésium ; bleu : silicium). Les zones rouges sont interprétées comme des (oxy)hydroxydes de fer, les zones vertes comme de l’olivine et les zones bleues comme de la silice amorphe.

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légèrement augmentée via la décomposition photochimique de molécules d’eau couplée à l’échappement de dihydrogène dans l’espace [Lammer et al., 2003]. Toutefois, les résultats présentés ici démontrent que la formation de sulfates sur Mars pourrait avoir eu lieu sous une atmosphère riche en dioxyde de carbone similaire à l’actuelle, mais avec un contenu en eau plus important. Des pressions partielles élevées en dioxygène ou en dioxyde de soufre (c’est-à-dire, plus élevées que de nos jours) ne sont pas nécessaires.

La présence de peroxyde d’hydrogène n’est pas nécessaire non plus, puisque les assemblages minéralogiques sont similaires dans les deux types d’atmosphère de l’expérience. Néanmoins, le plus grand pouvoir oxydant du peroxyde d’hydrogène par rapport à l’eau seule permet une production plus importante d’acide sulfurique, ce qui aboutit à une libération plus importante de protons et d’anions SO42- dans le milieu. De telles conditions favorisent la précipitation de sulfates – et en particulier de jarosite – aux dépens du soufre natif (qui est systématiquement moins abondant dans l’atmosphère contenant du peroxyde d’hydrogène, Fig. 3-2). Avec des rapports H2O2/H2O plus faibles dans les systèmes naturels [Liang et al., 2006], il est attendu que cet effet soit moins prononcé que dans l’expérience, sauf si le peroxyde d’hydrogène est disponible continuellement sur de grandes échelles de temps, comme cela semble avoir été le cas pour Mars [Bullock et al., 1994;Zent, 1998].

III.5.2. Comparaisons spectrales

III.5.2.1. Avec les données martiennes

Les sulfates hydratés et les (oxy)hydroxydes de fer formés par altération des mélanges silicate/sulfure correspondent étroitement aux assemblages minéralogiques observés dans Meri-diani Planum [Christensen et al., 2004;Klingelhöfer et al., 2004] et Valles Marineris [Mangold

et al., 2008; Wendt et al., 2010], et ce d’autant plus que la goethite est connue pour se transformer en hématite (dominante dans Meridiani Planum) par suite d’une augmentation de température ou d’une diminution de l’activité de la vapeur d’eau [Gooding, 1978].

Les spectres FTIR de la figure 3-5 ont été utilisés pour établir des comparaisons directes avec les observations des imageurs hyperspectraux martiens OMEGA et CRISM (cf. § II.1.5. pour la description des instruments et des méthodes). Ont été prises en exemple deux régions de Valles Marineris où des sulfates hydratés ont été détectés en association avec des (oxy)hydroxydes de fer (Fig. 3-8). Il en ressort que les principales caractéristiques spectrales de ces terrains à 1,0-1,3, ~1,9 et ~2,4 µm sont correctement reproduites par les échantillons finaux de l’expérience.

Cette constatation a deux implications potentielles. Premièrement, compte tenu de la grande quantité de silicate restant dans les mélanges altérés (>30% en volume ; Tab. 3-2), il est possible que les terrains riches en sulfates et (oxy)hydroxydes de fer sur Mars puissent aussi contenir une composante basaltique significative, sans que celle-ci ne soit perceptible dans les spectres VNIR. La détection d’une telle composante dans la formation Burns – à la fois par télédétection dans l’infrarouge thermique [Christensen et al., 2001] et par les analyses

in situ du rover Opportunity [Clark et al., 2005; Morris et al., 2006] – soutient cette hypo-thèse. Deuxièmement, il ressort de la comparaison que plusieurs types de sulfates pourraient

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être présents en mélange intime dans les terrains martiens en question sans qu’il soit possible de les identifier individuellement.

III.5.2.2. Avec des mélanges de minéraux

Afin d’explorer plus avant les deux hypothèses émises ci-dessus, de nouveaux échantillons ont été préparés en mélangeant directement des minéraux correspondant à ceux obtenus à la fin de l’expérience. Cette méthodologie présente le double avantage de permettre le contrôle des proportions de chaque constituant ainsi que celui de la taille de grain [Adams, 1974;Singer, 1981;Sunshine et Pieters, 1993; Poulet et Erard, 2004]. L’origine et la miné-ralogie précise des composants utilisés pour ces mélanges sont décrits dans le tableau 3-3. La taille de grain a été fixée par tamisage à moins de 63 µm et vérifiée par microscopie électro-nique à balayage ; elle est donc uniforme pour tous les composants.

Figure 3-8 – Comparaison de spectres proche-infrarouge de dépôts de sulfates et d’(oxy)hydroxydes de fer sur Mars (région de Valles Marineris) et avec ceux des échantillons expérimentaux de la présente étude. De haut en bas : rapport de spectres CRISM dans Ophir Chasma [Wendt et al., 2010] ; spectre OMEGA dans Candor Chasma Ouest [Mangold et al., 2008] ; échantillon « Ol1-HPo-H2O2 » ; échantillon « CPx-HPo-H2O2 ». Les barres verticales représentent 3% de réflectance.

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Composant Origine Minéralogie

Olivine Naturelle Olivine

(Oxy)hydroxydes de fer Naturelle Hématite dominante, goethite, akaganéite ; feldspaths mineurs ; phyllosilicates possibles

Gypse Naturelle Gypse, anhydrite mineure

Sulfate de magnésium Synthétique Hexahydrite et epsomite

Soufre natif Naturelle Soufre natif

Tableau 3-3 – Origine et minéralogie (déterminée par diffraction des rayons X) des composants utilisés pour la réalisation des mélanges. Les (oxy)hydroxydes de fer ont été prélevés sur le terrain près de Tharsis (Espagne) avec l’aide de Patrick Thollot. Le gypse a été fourni par Patrick Thollot. Le sulfate de magnésium est un produit commercial (désignation : sulfate de magnésium heptahydraté ; VWR Prolabo AnalaR Normapur) et a été fourni par Olivier Bourgeois.