• Aucun résultat trouvé

La troisième sonde lancée en 2003 est l’orbiteur européen Mars Express, sur lequel sont embarqués plusieurs instruments initialement conçus pour la mission russe Mars 96, dont l’imageur hyperspectral OMEGA. En quelques mots, l’imagerie hyperspectrale – dont le fonc-tionnement sera détaillé dans le chapitre suivant – consiste à décomposer la lumière renvoyée par la surface d’une planète afin de mettre en évidence (et de cartographier) des absorptions caractéristiques de certains ions, molécules ou liaisons chimiques. En croisant les différentes

Figure 1-12 – Stratigraphie de la formation Burns observée dans le cratère Endurance (Meridiani Planum) par le rover Opportunity. A : portion d’affleurement montrant les trois unités identifiées par Grotzinger et al. [2005]. Les strates subhorizontales de l’unité intermédiaire sont clairement visibles. L’échelle est donnée pour l’avant-plan. B : zoom sur le contact entre l’unité inférieure et l’unité intermédiaire. Des sphérules d’hématite sont visibles sous la forme de nombreux points sombres à la limite de la résolution de l’image. C : colonne lithostratigraphique de la formation Burns telle que dessinée par Grotzinger et al. [2005] (certains détails ont été retirés).

42

absorptions détectées et en les comparant avec des bases de données, il est possible de déter-miner la minéralogie des roches à l’affleurement32, qu’elle soit primaire ou secondaire.

L’un des résultats les plus attendus concerne la présence de minéraux carbonatés, qui résulteraient de l’altération des roches basaltiques sous une atmosphère humide et riche en dioxyde de carbone (cf. § II.1.4.1.) et expliqueraient pour partie la faible pression atmosphé-rique actuelle [e.g., Booth et Kieffer, 1978 ; Morse et Marion, 1999]. Mais après neuf mois d’observations couvrant déjà une portion importante de la surface, aucune zone contenant des carbonates (au-dessus de la limite de détection de quelques pourcents en masse) n’est trouvée dans les données [Bibring et al., 2005], et ceci se confirmera par la suite [Jouglet et al., 2007a]. Cependant, sont découverts des minéraux secondaires appartenant à deux autres familles : les phyllosilicates et les sulfates (cf. § I.1.2.3.). Les uns comme les autres ne sont identifiés que dans un nombre restreint de localités (Fig. 1-13A), sans lien évident avec les indices géo-morphologiques de l’action de l’eau tels que les éjectas lobés ou les vallées [Bibring et al., 2005 ; 2006]. Les phyllosilicates – principalement des smectites de fer, de magnésium ou d’aluminium [Bibring et al., 2005 ; Poulet et al., 2005] – apparaissent particulièrement abon-dants dans deux régions, le plateau de Mawrth Vallis [Loizeau et al., 2007] et Nili Fossae [Mangold et al., 2007]. Les sulfates – des variétés de calcium ou de magnésium, mono- ou polyhydratés – sont détectés en différents points de Valles Marineris, ainsi que dans Iani Chaos, Aram Chaos, Terra Meridiani [Bibring et al., 2005; Gendrin et al., 2005;Mangold et

al., 2008] et Olympia Planum (en bordure de la calotte polaire Nord) [Langevin et al., 2005]. Par ailleurs, les affleurements dans lesquels sont détectées ces deux familles de miné-raux s’avèrent être d’âges différents : les phyllosilicates se trouvent essentiellement dans les terrains les plus anciens, datés du Noachien (Tab. 1-2), tandis que les sulfates apparaissent dans des terrains relativement plus jeunes, datés de la fin du Noachien à l’Hespérien. À partir de cette constatation, Bibring et al. [2006] proposent de définir trois séquences (ou ères) d’altération à la surface de Mars : le Phyllosien, caractérisé par la formation de phyllosilicates en milieu neutre à alcalin ; le Théiikien, caractérisé par la formation de sulfates en milieu acide ; et le Sidérikien, caractérisé une oxydation lente et très superficielle, sans intervention de l’eau liquide (Fig. 1-13B). La transition entre les deux premières ères serait la conséquence d’un changement climatique global, lié à d’importantes émissions de volatiles (dont le soufre incorporé par la suite aux sulfates) par l’activité volcanique. De plus, si les phyllosilicates se sont formés en surface, impliquant que l’existence d’une atmosphère dense au Phyllosien, alors la transition vers un environnement plus acide se serait accompagnée d’une chute rapide de la pression atmosphérique, possiblement causée par le grand bombardement tardif ou la disparition du champ magnétique [Bibring et al., 2006].

En 2006, un second imageur hyperspectral, appelé CRISM, arrive sur orbite martienne à bord de la sonde américaine Mars Reconnaissance Orbiter. Par rapport à OMEGA, il est conçu pour couvrir de plus petites zones, mais avec une résolution spatiale dix à vingt fois meilleure. Couplé à la caméra HiRISE, qui fournit les images les plus résolues jamais obtenues de la surface de Mars (Fig. 1-10D), il permet une caractérisation fine des sites d’intérêt.

43

Grâce aux données CRISM, le nombre de détections de minéraux d’altération s’accroît, ainsi que leur diversité. De nouvelles variétés sont en effet identifiées, parmi lesquelles : kaolinite33 et serpentines (phyllosilicates T-O, cf. § A.2.1.), chlorites et micas (phyllosilicates T-O-T, cf. § A.2.2.), prehnite, zéolites et silice opaline [Mustard et al., 2008;Milliken et al., 2008;Ehlmann et al., 2009]. La jarosite, sulfate de fer observé par le rover Opportunity dans Meridiani Planum, est aussi détectée pour la première fois par des moyens orbitaux [Milliken

et al., 2008; Farrand et al., 2009]. Enfin, les données CRISM révèlent aussi la présence de carbonates dans la région de Nili Fossae, en association avec de l’olivine et des phyllosilicates [Ehlmann et al., 2008]. Par la suite, seront aussi rapportées des détections de carbonates dans les pics centraux de plusieurs cratères [Michalski et Niles, 2010 ; Wray et al., 2011].

C’est également en s’intéressant aux minéraux secondaires affleurant dans les pics centraux des cratères que Carter et al. [2010] ont montré que la croûte noachienne située sous la couverture volcanique plus récente formant les plaines de l’hémisphère nord avait proba-blement été altérée de la même manière que les plateaux anciens de l’hémisphère sud.

Figure 1-13 – L’altération de la surface de Mars vue par l’imageur hyperspectral OMEGA après deux ans d’observation et plus de 90% de la planète couverte. A : carte globale des minéraux hydratés. Rouge : phyllosilicates ; bleu : sulfates ; jaune : autres minéraux hydratés non identifiés précisément. Source : Bibring et al. [2006]. B : chronologie de l’altération sur Mars proposée par Bibring et al. [2006]. Les trois séquences d’altération (Phyllosien, Théiikien et Sidérikien) sont placées en vis-à-vis de l’échelle classique (Noachien, Hespérien et Amazonien).

33

La kaolinite avait été détectée sur un premier site avec OMEGA, mais CRISM a permis de l’identifier à la fois dans Mawrth Vallis et Nili Fossae [Mustard et al., 2008].

44