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Les minéraux issus de l’altération peuvent aussi servir à reconstruire l’évolution de la

composition de l’atmosphère terrestre au cours des temps géologiques, c’est-à-dire la

transi-tion entre l’atmosphère primitive riche en dioxyde de carbone et l’atmosphère moderne riche en dioxygène. Dans cette perspective, les gisements de fer rubané, aussi appelés BIF d’après leur sigle anglo-saxon (banded iron formations) sont particulièrement utiles.

Un gisement de fer rubané est défini par Klein [2005] comme « un sédiment chimique, typiquement finement lité ou laminé, dont la principale caractéristique chimique est une teneur anormalement élevée en fer, et contenant communément mais non nécessairement des couches de silexite14. » On trouve ces gisements un peu partout dans le monde, mais c’est surtout leur répartition temporelle qui est intéressante puisque la majorité a un âge compris entre -3,5 et -1,8 milliard(s) d’années (Fig. 1-8).

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Texte original : « a chemical sediment, typically thin bedded or laminated, whose principal chemical

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La présence de sidérite (carbonate de fer ferreux) au sein des gisements de fer rubané a permis à Ohmoto et al. [2004], en tenant compte des conditions de stabilité du minéral, de calculer que la pression partielle de dioxyde de carbone devait être supérieure à 10-1,4 ±0,2 atm (~4%) avant -2,2 milliards d’années, soit 100 fois plus qu’aujourd’hui, valeur compatible avec les estimations théoriques de Kasting [1987]. Ohmoto et al. [2004] en concluent que le dioxyde de carbone seul a pu fournir l’effet de serre nécessaire au maintien d’étendues d’eau liquide sur la Terre primitive (malgré le rayonnement solaire moins intense que de nos jours), sans contribution significative du méthane comme on le pensait auparavant.

Par ailleurs, l’abondance des oxydes et (oxy)hydroxydes de fer (hématite et goethite) dans les gisements de fer rubané est mise en relation avec l’oxygénation de l’atmosphère au début du Protérozoïque (vers -2,3 milliards d’années sur la figure 1-8). La production de dioxygène par les cyanobactéries, premiers organismes photosynthétiques, a en fait démarré bien plus tôt, vers -3 milliards d’années au moins. Mais, pour pouvoir gagner l’atmosphère, le dioxygène a d’abord dû s’accumuler dans l’océan, qui était alors chargé en fer ferreux issu de la dissolution des roches de la croûte dans une eau réductrice. Dans un premier temps, l’oxygène produit par les cyanobactéries a donc été consommé directement dans l’océan pour oxyder le fer ferreux en fer ferrique, entraînant sa précipitation et son dépôt en couches successives. Puis, progressivement, le taux de production de dioxygène a dépassé celui des apports en fer, ce que reflètent la décroissante progressive des gisements de fer rubané et l’augmentation de la teneur en dioxygène après -2,3 milliards d’années sur la figure 1-8.

L’existence des gisements de fer rubané tardifs, vers -0,8 milliard d’années, serait quant à elle liée à un épisode climatique extrême, connu sous le nom de « Terre boule de neige » [Kirschvink, 1992]. Recouvert d’une banquise globale et donc isolé de l’atmosphère, l’océan aurait retrouvé des conditions anoxiques permettant l’accumulation du fer ferreux. À la fin de l’ère glaciaire, la remise en contact avec l’atmosphère et le retour à des conditions oxydantes auraient causé la précipitation de grandes quantités d’oxydes de fer [Klein, 2005].

Figure 1-8 – Abondance relative des gisements de fer rubané au cours de l’histoire de la Terre, comparée à l’évolution des teneurs en dioxyde de carbone et en dioxygène dans l’atmosphère. Source : Klein [2005].

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I.2. Mars et l’altération

La Terre n’est pas la seule planète du système solaire concernée par l’altération. Mars, elle aussi, a vu ses roches subir des transformations minéralogiques sous l’effet des agents atmosphériques, au premier rang desquels l’eau liquide. Dans cette section, nous allons voir comment la connaissance des processus d’altération sur Mars s’est progressivement bâtie par l’observation toujours plus poussée de la planète15

et comment elle est étudiée en laboratoire, avant de faire le point sur les grandes questions non résolues.

I.2.1. Des premiers indices aux détections définitives

Les Hommes nourrissent envers la planète Mars une curiosité multimillénaire qui les a conduits d’abord à suivre sa course dans le ciel, puis à l’observer plus en détails à l’aide de télescopes et, depuis peu, à y envoyer des instruments scientifiques à bord de sondes spatiales. Si les raisons de cette curiosité ont bien sûr évolué au cours des âges, la question fonda-mentale de la vie sur « les autres mondes », déjà présente chez les civilisations antiques, est restée prédominante jusqu’à notre époque. Depuis l’avènement de la science moderne, le corollaire de cette « quête » est la recherche de l’eau liquide – ou du moins des traces de son passage – dans le système solaire et au-delà. C’est dans ce contexte que la découverte et la caractérisation de l’altération est récemment devenue un pan majeur de l’étude de Mars.

I.2.1.1. De l’Antiquité à la Renaissance

Quatrième objet le plus lumineux du ciel nocturne après la Lune, Vénus et Jupiter, Mars est identifiable à l’œil nu sans difficulté, de sorte qu’il est impossible de dater précisément l’époque de sa découverte par l’humanité. On en trouve des mentions écrites chez la plupart des civilisations de l’Antiquité dont, entre autres : Babyloniens, Chinois, Égyptiens, Grecs et bien sûr Romains, qui lui donnèrent son nom actuel. Cependant, jusqu’à l’apparition des instruments d’optique à la Renaissance, les études de Mars se résument à un nombre très restreint d’observations [e.g., Morel, 2003;Rocard, 2006] :

- le suivi de son mouvement par rapport aux étoiles, qui indique clairement qu’elle est un « astre errant », c’est-à-dire une planète ; sa boucle de rétrogradation (Fig. 1-9A) est également remarquée, mais non comprise ;

- ses occultations par la Lune ; celle du IVe siècle avant J.-C. indique à Aristote que Mars est plus éloignée de la Terre que la Lune ;

- sa couleur rouge-orange, qui intrigue, voire effraie, et lui vaut d’être associé au dieu de la guerre de la mythologie gréco-romaine.

15 Il faut noter ici que les analyses des météorites martiennes, les SNC (shergottites-nakhlites-chassignites), ont aussi apporté des données d’importance concernant l’altération. Toutefois, par soucis de (relative) brièveté, cet aspect ne sera pas développé dans ce manuscrit, et le lecteur est donc invité à se référer aux revues de McSween [1994], Bridges et al. [2001] ou encore Chevrier et Mathé [2007].

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On sait aujourd’hui que la couleur de Mars est due à la présence sur une grande partie de sa surface d’oxydes ferriques, principalement de l’hématite [e.g., Gooding, 1978; Bell et

al., 1990 ; Bibring et al., 2006]. Sans le savoir, les observateurs de l’Antiquité avaient donc relevé le premier indice de l’existence de processus d’altération à la surface de Mars…

I.2.1.2. De la Renaissance au milieu du XXe siècle : l’ère des télescopes