• Aucun résultat trouvé

III. Le rôle des sulfures dans la formation des sulfates et des carbonates sur Mars

III.3. Approche et méthodes

III.3.1. Matériel de départ

III.3.1.1. Description

Ont été sélectionnés comme matériel de départ plusieurs minéraux basaltiques précé-demment observés sur Mars [e.g., Chevrier et Mathé, 2007] et dans les météorites SNC [Papike et al., 2009] : olivine (deux différentes, « Ol1 » et « Ol2 »), clinopyroxène (« CPx ») et orthopyroxène (« OPx »). Les deux olivines sont riches en magnésium, avec une compo-sition de forstérite ~90 (Fo~90), vérifiée par analyse EDX au microscope électronique à balayage (cf. § II.3.2.3.). « Ol1 » a été extraite d’une dunite du Massif Central (France) et contient environ 8% d’orthopyroxène. « Ol2 » consistait initialement en des monocristaux provenant du Pakistan ; elle est pratiquement pure. Le clinopyroxène « CPx » est du diopside provenant du Vésuve (Italie), avec une formule moyenne de Ca0,9Mg1,0Fe0,1(Si1,9Al0,1)O6, déterminée par MEB-EDX. L’orthopyroxène « OPx » est de l’enstatite provenant de Ronda (Espagne), avec une formule moyenne de Ca0,1Mg1,8Fe0,3Si1,9O6 ; y est associée une faible quantité d’amphibole (environ 5%). Les compositions chimiques précises sont présentées dans le tableau 3-1.

Pour le sulfure de fer, a été choisie une pyrrhotite hexagonale naturelle (« HPo »), de formule Fe0,9S, provenant de la mine de Ducktown (Tennessee, États-Unis) [Carpenter, 1974]. À noter que ce matériel avait déjà été utilisé pour des études similaires [Chevrier et al., 2004; 2006]. La pyrrhotite est connue pour être abondante dans certaines météorites SNC [Rochette

109

et al., 2001;Lorand et al., 2005] et est supposée présente dans des dépôts de proche-surface sur Mars [Burns et Fisher, 1990b; Rochette et al., 2003]. Elle est aussi le sulfure le plus aisément oxydé en conditions terrestres [Moncur et al., 2009], ce qui pourrait être un avantage pour mettre en évidence de lents processus d’altération. Les impuretés associées à l’échan-tillon « HPo » sont : de la chalcopyrite (~2%), de l’amphibole (~2-5%), du mica (~2%) et du talc (~1%)1. Ces impuretés expliquent les détections mineures de silicium, de calcium et de magnésium dans l’analyse chimique (Tab. 3-1).

Oxyde Ol1 Ol2 CPx OPx HPo

SiO2 42,81 40,58 52,08 55,52 3,63 Al2O3 0,41 <L.D. 2,98 1,09 0,24 FeO 8,75 9,22 3,69 9,99 - MnO 0,12 0,15 0,09 0,18 0,17 MgO 47,46 49,80 16,06 31,97 1,33 CaO 0,42 0,06 23,99 0,85 1,28 Na2O <L.D. <L.D. 0,51 <L.D. 0,01 K2O <L.D. <L.D. 0,43 <L.D. 0,06 TiO2 0,01 0,00 0,36 0,09 <L.D. P2O5 <L.D. <L.D. <L.D. 0,05 0,01 Perte au feu 0,00 0,05 0,58 0,10 - CO2 - - - - 0,72 S - - - - 35,56 Fe - - - - 54,07 Ni - - - - <L.D. Cu - - - - 0,83 Zn - - - - 0,16 Total 99,98 99,86 100,77 99,84 98,07

Tableau 3-1 – Composition chimique des minéraux naturels utilisés comme matériel de départ pour l’expérience, en pourcentages de poids d’oxydes. L.D. : limite de détermination (cf. § II.4.2.2.).

III.3.1.2. Préparation

Tous les minéraux ont été broyés manuellement dans un mortier d’agate et tamisés afin d’obtenir une taille de grain inférieure à 63 µm. Les poudres ont ensuite été lavées à l’aide d’une solution diluée d’acide chlorhydrique (HCl). Les poudres de silicates ont aussi été nettoyées par la méthode CBD (citrate-bicarbonate-dithionite), dans le but d’éliminer tout (oxy)hydroxyde de fer possiblement présent initialement [Mehra et Jackson, 1960]. La méthode CBD n’a en revanche pas été appliquée à la poudre de pyrrhotite car celle-ci contient naturellement du fer ferrique. Les poudres ont finalement été rincées à l’eau déionisée, puis centrifugées et séchées à 50°C.

110

Des échantillons de trois grammes ont alors été préparés comme suit : deux de chaque silicate seul (« Ol1 », « Ol2 », « CPx » et « OPx ») et deux mélanges de chaque silicate – hormis « Ol2 », dont la quantité disponible était trop faible – en proportions égales avec de la pyrrhotite (« Ol1-HPo », « CPx-HPo » et « OPx-HPo »). Cette forte concentration de sulfure (50% en poids) n’avait pas pour but d’être réaliste, mais d’accentuer les processus d’altération et ainsi de faciliter l’analyse des phases secondaires, compte tenu des incertitudes sur les vitesses de réaction sous atmosphère de dioxyde de carbone. Les échantillons ont ensuite été étalés dans de petites coupelles en verre en attendant le lancement de l’expérience.

III.3.2. Protocoles expérimentaux

Le dispositif expérimental, similaire à celui déjà employé par Chevrier et al. [2004 ; 2006], est décrit par la figure 3-1. Il consiste en deux dessiccateurs à vide équipés d’entrées et sorties pour les gaz, permettant de pomper et de remplacer l’atmosphère interne. Ceci a été utilisé pour créer dans chaque dessiccateur une atmosphère dominée par le dioxyde de carbone et humide, dans laquelle des échantillons solides peuvent altérés sans contact direct avec le liquide. Dans ces conditions, l’altération requiert donc la condensation de films d’eau sur les grains et il en résulte de faibles rapports fluide/roche. Les différentes étapes du protocole sont détaillées dans le paragraphe suivant.

Tout d’abord, la partie basse des dessiccateurs a été remplie avec un litre d’eau déionisée pour le premier et avec un litre d’une solution contenant environ 33% de peroxyde d’hydrogène (H2O2) pour le second. Ensuite, les échantillons (silicates seuls et mélanges silicate/sulfure) ont été disposés au-dessus du liquide : un exemplaire a été placé dans le dessiccateur sans H2O2 et l’autre dans le dessiccateur avec H2O2 (les suffixes « H2O » et « H2O2 », respectivement, ont été ajoutés au nom de chaque échantillon pour distinguer les deux exemplaires). Enfin, les dessiccateurs ont été fermés et leur atmosphère interne purgée et remplacée par du dioxyde de carbone. Cette étape a été effectuée deux fois afin d’obtenir une

Figure 3-1 – Schéma et photographie de l’un des dessiccateurs à vide utilisé dans l’expérience (par soucis de clarté, l’agencement des entrées/sorties est légèrement modifié sur le schéma). Les échantillons solides ont été disposés dans de petites coupelles en verre sur le support blanc au milieu du dessicateur et la phase liquide (eau seule ou eau et peroxyde d’hydrogène) a été placée en dessous. Les vannes au niveau des entrées/sorties sont restées fermées lorsque celles-ci n’étaient pas utilisées. Le dessicateur mesure environ 30 cm de haut et 25 cm de diamètre ; son volume interne est de 15 litres. Le dispositif expérimental complet comprenait deux dessiccateurs (voir texte).

111

atmosphère initiale composée à plus de 99% de dioxyde de carbone. La pression interne a été fixée légèrement en dessous de la pression atmosphérique (0,8 bar) afin d’assurer un serrage efficace des joints des dessiccateurs et d’empêcher ainsi toute ouverture accidentelle. Après ces opérations initiales, le dispositif expérimental a été laissé à température ambiante (environ 15 à 20°C), permettant l’évaporation de la phase liquide pour atteindre la saturation en vapeur d’eau ou en vapeur d’eau et de peroxyde d’hydrogène. L’expérience a duré quatre ans, de septembre 2005 à septembre 2009.

Puisque la composition de l’atmosphère est un paramètre-clé contrôlant les chemins réactionnels, il était important de la maintenir tout au long de l’expérience. Deux sources de contamination potentielles existaient : premièrement, l’air de la pièce autour du dispositif et, deuxièmement, les gaz dissous dans l’eau versée dans la partie basse des dessiccateurs. Concernant le premier point, bien que l’équipement disponible ne permettait pas d’échan-tillonner directement les atmosphères internes, les expériences précédentes réalisées avec le même dispositif par Chevrier et al. [2004 ; 2006] ont montré que les dessiccateurs étaient effectivement hermétiques sur des durées de l’ordre de l’année. Ceci a de nouveau été vérifié ici en contrôlant régulièrement la pression interne des dessiccateurs à l’aide d’un manomètre. Compte tenu de la plus grande durée de cette expérience par rapport aux précédentes, il a aussi été décidé de remplacer l’atmosphère interne tous les six mois environ afin d’anticiper toute contamination. Concernant le second point, Chevrier et al.[2004 ; 2006] ont montré que le dioxygène initialement dissous dans l’eau était en quantité pratiquement négligeable com-parée à la masse totale des échantillons, et ce d’autant plus que le pompage initial élimine en grande partie les gaz dissous. De plus, les dessiccateurs n’ont cette fois pas été ouverts de toute l’expérience – aucun échantillonnage intermédiaire n’a été effectué – afin d’éviter le rééquilibrage de l’eau avec l’air de la pièce ou toute autre perturbation.

À la fin de l’expérience, les dessiccateurs ont été ouverts et tous les échantillons ont été séchés à l’étuve durant une nuit entière afin de stopper complètement les réactions d’altération avant le début des analyses.

III.3.3. Choix et hypothèses de départ

L’observation de morphologies associées à l’écoulement de l’eau – réseaux de vallées, chenaux de débâcle, deltas, terrasses [e.g., Ori et al., 2000;Carr et Head, 2010] (cf. § I.2.1.3.1.) – et les nombreuses détections de minéraux hydratés [Bibring et al., 2006; Murchie et al., 2009] sur Mars suggèrent l’existence d’une atmosphère plus chaude et plus humide durant les ères noachienne et hespérienne. Si cette atmosphère primitive était dominée par le dioxyde de carbone comme l’actuelle, alors la pression atmosphérique devait être supérieure pour permettre la stabilité de l’eau liquide [Pollack et al., 1987; Phillips et al., 2001]. De combien exac-tement était cette pression reste un sujet débattu, de même que la nécessité d’autres gaz – tels que le dioxyde de soufre ou le méthane [Halevy et al., 2007; Johnson et al., 2009] – ou d’autres facteurs – tels que les impacts météoritiques ou le volcanisme [Carr et Head, 2010 ; et références incluses]. Ici, il a été décidé de ne pas utiliser de dioxyde de soufre pour éviter la confusion dans les résultats entre le soufre provenant du dioxyde de soufre et celui provenant du sulfure de fer. L’effet de ce gaz sur l’altération sera exploré dans une étude à venir,

112

préparée par Vincent Chevrier. Le méthane n’a quant à lui pas été utilisé pour des raisons de sécurité. Par ailleurs, les pressions proches de la valeur ambiante sont courantes dans les simu-lations expérimentales des processus d’altération sur Mars [e.g., Bullock et al., 2004;Schröder

et al., 2004] et, dans le cas présent, l’utilisation de dessiccateurs à vide a l’avantage de permettre de fixer la pression à une valeur légèrement plus basse, probablement plus réaliste.

L’utilisation du peroxyde d’hydrogène est justifiée par sa récente détection dans l’atmosphère martienne [Clancy et al., 2004 ; Encrenaz et al., 2004], où il est produit par la photochimie de l’eau [les réactions mises en jeu sont détaillées par Bates et Nicolet, 1950]. Cette molécule est aussi supposée responsable des propriétés oxydantes du régolithe analysé par les atterrisseurs Viking [Bullock et al., 1994; Zent, 1998;Yen et al., 2000; Hurowitz et

al., 2007] (cf. § I.2.1.3.2.). En raison de l’absence de couche d’ozone sur Mars, elle a pu être produite via les mêmes réactions et en plus grande quantité par le passé, si l’atmosphère primitive de Mars était effectivement enrichie en eau. Ainsi, le peroxyde d’hydrogène pourrait avoir joué un rôle non négligeable dans les processus d’altération. Néanmoins, même dans des conditions favorables, une proportion volumique de 33% de H2O2 reste irréaliste [Liang et al., 2006] : l’objectif ici était principalement d’accentuer son effet potentiel.

Le peroxyde d’hydrogène est connu pour se dissocier spontanément en eau et en dioxygène, mais ce processus a été limité dans l’expérience par le fait qu’elle a été menée à basse température et dans l’obscurité. Même si du dioxygène a probablement été formé de cette manière, il a été considéré que ce ne serait pas un problème pour l’interprétation des résultats étant donné que la coexistence des deux espèces est inévitable en conditions natu-relles et que cela ne modifie pas l’état redox global du système. La quantité initiale de peroxyde d’hydrogène liquide versée dans les dessiccateurs avait aussi pour but d’assurer que la substance reste disponible sous sa forme vapeur jusqu’à la fin de l’expérience. L’utilisation d’une atmosphère très oxydante (avec H2O2) et d’une seconde très peu oxydante (sans H2O2) a permis de comparer l’efficacité de l’altération des sulfures sous différentes conditions martiennes envisageables.

III.3.4. Méthodes analytiques

La minéralogie des échantillons a été caractérisée avant et après expérience par diffraction des rayons X, en utilisant le diffractomètre Panalytical X’Pert Pro MPD décrit en section II.2.4.1. Les mesures ont été effectuées entre 2θ = 4° et 78°, avec un pas de 0,033°. Le temps de comptage par pas a été réglé sur 3 s (temps d’acquisition total : ~2 h), hormis pour les trois mélanges silicate/sulfure altérés dans l’atmosphère sans H2O2, pour lesquels le temps de comptage par pas a été réglé sur 22 s (temps d’acquisition total : ~14 h). Les phases minérales ont été identifiées à l’aide du logiciel Diffracplus EVA et de la base de données PDF 2 de l’ICDD (cf. § II.2.3.1.). Lorsque cela était nécessaire, les échantillons altérés ont été doucement re-broyés dans un mortier d’agate avant d’être analysés, ceci pour éliminer la fine croûte formée par les phases secondaires et ainsi assurer l’homogénéité de l’échantillon (à la fois en composition et en taille de grain) tout en limitant les orientations préférentielles (cf. § II.2.3.2.2.). Des analyses semi-quantitatives ont été réalisées par la méthode RIR, à l’aide du logiciel Diffracplus EVA (cf. § II.2.3.3.). Compte tenu de la complexité des échantillons, liée

113

aux nombreuses phases présentes et au fait que l’olivine et les pyroxènes sont des solutions solides, seules les phases secondaires bien cristallisées (à savoir le soufre et les sulfates) ont fait l’objet de quantifications précises et une erreur relative de 20% a été utilisée.

Les spectres visible et proche-infrarouge des échantillons ont été acquis à l’aide des deux instruments du LPGN : le Thermo-Nicolet 5700 FTIR (gamme : 1 à 5 µm ; cf. § II.1.4.1.) et l’ASD FieldSpec (gamme : 0,35 à 2,50 µm ; cf. § II.1.4.2.). Enfin, des observations et des analyses chimiques ont été réalisées au moyen du microscope électronique à balayage Jeol 5800 LV décrit en section II.3.3.1.