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L'Égypte illustrée, de l'observateur au lecteur

3.4 L'insertion dans le texte : nouveau pas de l'orien talisme ?

3.4.1 La mise en page de la rédaction

Édouard Charton est, pendant de longues années, à la tête de la rédaction du Magasin Pittoresque et du Tour du Monde et il gère seul la plupart des tâches. Son rôle reste fondamental :

 L'éditeur-illustrateur87apparaît vraiment comme l'éditeur par excellence.

Maître d'÷uvre d'une entreprise collective, il choisit le texte, désigne les illustrateurs, les graveurs, sélectionne le format, le papier88, les encres, la

reliure, décide du nombre de vignettes, de leur répartition dans le corps du texte et de leur niveau de qualité qu'il contrôle avec une attention toute particulière 89.

Les diérents travaux des acteurs cités ci-dessus sont coordonnés par le rédacteur en chef. Aucun document concernant les illustrations de l'Égypte n'a été retrouvé datant de la période de direction de Charton. Les deux dossiers de l'IMEC datent de 1904 et 1913.

 Les textes sont adressés à la rédaction des deux revues (surtout pour le Tour du Monde quand les récits viennent en général des pays visités). Les auteurs s'adressent directement à Édouard Charton à l'instar de Charles Grad qui écrit d'Égypte :

 Mr Grad, qui est en ce moment en Égypte, m'écrit ce qui suit : En février je ferai la traversée du Sinaï pour aller en Syrie, en suivant le chemin des Hébreux à travers le désert. Cette partie n'a pas été décrite par M. Lortet. Je ferai volontiers une ou plusieurs livraisons sur le désert sinaïque et sur Suez et Hébron. Auriez-vous l'occasion d'en

87. Édouard Charton n'est pas à proprement parler un éditeur-illustrateur mais il en a le rôle tel que le décrit Philippe Kaenel.

88. Les deux revues utilisent du papier velin, inventé en 1756 qui ore une très bonne qualité et un rendu bien supérieur à celui du papier vergé. L'absence de pontusaux du papier velin permet une bonne impression de l'illustration.

causer avec M. Charton et de me faire savoir au Caire, Hôtel Royal, ce que vous en pensez 90.

Édouard Charton, et après lui les autres rédactions ne manquent jamais de relire intégralement les textes présentés et de les corriger au besoin.

 La rédaction sélectionne ensuite les images, décide de leur place et de leur lé- gende. Plusieurs outils sont alors à leur disposition91. Toutes les images sont

d'abord collées contre du carton au dos duquel est écrit le titre de l'article, son auteur et l'année, Coins d'Égypte, Albert Gayet TOUR DU MONDE 1904 par exemple. Sur cette cartonnette, sont indiquées les dimensions de l'image nale, qui peuvent changer au cours de la préparation, la place que va occuper l'image (pleine page, page, lettrine ou cul de lampe) et la légende, parfois succincte qui prend beaucoup plus d'ampleur lorsqu'elle est tirée du texte, sans doute au der- nier moment. Toutes ces informations sont modiables, et plusieurs sont barrées pour être remplacées.

L'autre dossier est encore plus intéressant puisqu'il est composé d'une chemise des illustrations parues en pleine page et une autre plus spéciale : il s'agit d'une pochette papier intitulée Le Caire par M. Deschamps, 4ème livraison : c'est une pochette pré-imprimée où il ne reste qu'à remplir le titre du voyage et l'au- teur. Trois indications viennent ensuite : Mise en pages à l'imprimerie, ici 31 juillet 1913, clichés à l'imprimerie de Maguette, le 16 septembre 1913 et pour paraître sans date. Ensuite, se trouve un tableau avec en colonnes : Node la

page, Sujets des gravures, Dimensions des gravures en fraction de page et en cm, Surface des gravures, Date de la remise à la photographie, Nom des dessinateurs, Date de la remise des dessins, Noms des graveurs, Date de la remise aux graveurs. Par exemple pour la gravure au titre de la 4ème livraison, on a : Tombeau des kalifes, 1/3, 16x8, 128, 29 juillet, Weisser, 18 aout, Berthu, 19 août. Il faut remarquer que les dates sont assez proches, les diérentes étapes sont rapides. Dans cette pochette, on trouve aussi de petites photographies en- voyées d'Éygpte. Elles correspondent aux originaux des images grand format de la première chemise. Derrière ces photographies, sont indiquées leur légende, leur position, et leur taille.... Elles sont envoyées ensuite à l'agrandissement. L'image

90. Édouard Charton, Correspondance, Lettre p. 1987 vol. 2, lettre du 12 janvier 1886 d'Émile Templier, éditeur, à Charton.

91. Cette étude porte seulement sur les deux dossiers trouvés dans les archives de la maison Hachette et concerne donc des images souvent reproduites par des procédés photomécaniques : les dossiers du xixesiècle auraient été sans doute diérents puisque les dessins étaient faits directement sur le bois.

13-2 qui montre le colporteur indigène est dénie comme une lettrine dans ce document, mais l'image est bien plus large et la première légende qui y est notée indique entrée du Mouski. L'illustration nale résulte d'un agrandissement fait sur la personne au premier plan, d'une redénition de ses contours, mais l'÷uvre originale a un plan bien plus large. Il est parfois spécié que les photographies sont de l'auteur comme pour l'illustration "Cireur de bottes et boite à cirage"92.

Les images sont souvent très sombres à l'origine, il faut que le dessinateur les éclaircisse pour qu'on puisse voir les détails. Les légendes indiquées sont parfois diérentes de celles de la publication : l'illustration 13-6 porte sur sa cartonnette la légende marchands indigènes devant les bureaux de l'administration des che- mins de fer et elle devient dans la revue les marchands indigènes encombrent les rues. Certaines images viennent de professionnels : l'illustration des funérailles arabes, porte l'indication : S.CH.STAVRINOS, 74, rue Emad-el-Dien, Le Caire, Égypte avec une signature. Elle a probablement été rapportée d'Égypte par le voyageur.

Cependant trop peu d'images sont concernées pour pouvoir faire une étude sur la place qui leur est attribuée. Il serait intéressant de voir pourquoi certains changements de positionnement ont été menés.

 L'équipe de rédaction s'occupe de cerner la section de l'image qu'elle veut pré- senter : elle ne sélectionne pas forcément l'image en entier mais peut choisir une portion particulière. Elle découpe l'information qui lui est parvenue. L'image du colporteur en est un très bon exemple (3.2.3, p. 115) d'autant qu'elle montre un découpage qui supprime des informations de la réalité égyptienne pour mettre en avant un exotisme un peu stigmatisé.

 Nous ignorons comment le journal entre en contact avec les dessinateurs mais le bureau de Charton est un lieu où les artistes se retrouvent facilement. Il semble être le lien entre les diérents corps de métier, même si les voyageurs qui connaissent et apprécient des dessinateurs peuvent leur demander de réaliser leurs illustrations (Alexandre de Bar par exemple, pour son voyage au Liban se fait illustrer par son voisin).

 La rédaction vérie les gravures avant qu'elles ne soient imprimées :

 Je n'ai jamais à proprement parler, dirigé les gravures : il aurait fallu être du métier, mais enn, c'est toujours moi qui ai choisi et commandé

92. Cette origine n'est pas indiquée dans l'article ni dans la table des gravures de la revue. Tour du Monde, 1913, p. 484.

les dessins ainsi que le texte 93.

L'exécution des gravures dépend de Jean Best mais c'est Édouard Charton qui les sélectionne toujours. Ainsi au début de l'aventure du Magasin Pittoresque, il est souvent appelé en Angleterre pour choisir les stéréotypes : Jean Best ne traite pas avec les marchands et fait appel à la compétence du rédacteur. Une fois la gravure prête, elle repasse entre les mains de la rédaction qui la vérie.