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Pittoresque et le Tour du Monde, pyramide, mosquée ou

2.2 Le dromadaire et le palmier, l'invention d'une Égypte

2.2.1 L'Égypte exotique des staages

Les illustrations de l'Égypte comportent de nombreux marqueurs d'exotisme qui connotent l'ailleurs et qui permettent de situer l'image dans le monde arabe mysté- rieux. L'exotisme peut se dénir comme  l'intégration [...] de l'insolite géographique, ethnologique et culturel ; il traduit le goût de l'écrivain pour des contrées qui lui appa- raissent comme étranges et étonnantes, féériques ou légendaires, qui contrastent avec la sienne propre par le climat, la faune, la ore, les habitants (leur apparence physique, leurs costumes et traditions) 34.

Plusieurs entités sont représentatives de cet aspect :  Les dromadaires ou chameaux35.

34. Dictionnaire International des Termes Littéraires, article  Exotisme . Cette dénition peut aussi s'appliquer aux illustrations.

35. Le dromadaire fait partie de la famille des camélidés. Il peut donc être appelé chameau même si ce terme est imprécis. Il désigne l'espèce chameau d'Arabie qui vit dans l'ouest du continent asiatique

 Les palmiers.

 Les personnages vêtus à l'orientale.  Les minarets.

 Les pyramides parfois36.

 Les ânes.  Les fontaines.

 Les moucharabiehs, balcons grillagés de bois.

Ces éléments permettent d'ancrer le paysage en Égypte. Edward Saïd souligne l'exis- tence de cet exotisme génériquement oriental qui présente un monde arabe indiérencié, mis à part les pyramides.

 Orientals were almost everywhere nearly the same 37.

Une vue de l'Égypte pourrait aussi bien être une vue prise en Tunisie si la légende disparaissait.

En fait il arrive assez souvent que des éléments soient ajoutés au décor pour faire lointain : c'est ce que Caroline Lehni nomme le staage, d'après un terme emprunté au monde de la peinture. Il s'agit techniquement de l'ajout de petites gures humaines ou animales au premier plan des vues d'architectures ou de paysages ; ces ajouts ne concernent pas le sujet même du tableau. Ils sont rajoutés au dessin ou représentent des personnages qui ont réellement posé38. Ce mot vient de l'allemand utilisé au

xviiie siècle et xixe siècle dans le sens de décoration ou accessoire. Il peut alors

avoir deux sens :

 Celui des gures qui composent un tableau, même celles qui représentent le sujet de l'÷uvre.

 Celui des gures qui n'ont pas d'identité particulière ni d'histoire au sein du tableau.

Un sens plus récent lui attribue la dénition d'accessoires qui rendent la peinture plus vivante et ajoutent à sa profondeur.

Le staage peut avoir plusieurs rôles dénis dès les années 1600 :  Donner l'échelle.

et dans l'Afrique du Nord.

36. Les pyramides sont le marqueur le moins utilisé parce qu'elles sont associées à certains lieux en particuliers et ne peuvent pas être dessinées n'importe où contrairement aux autres éléments.

37. Edward Saïd, Orientalism, 1978.  Les Orientaux sont presque partout semblables . Si cette citation concerne que les personnes, elle peut être étendue aux autres marqueurs d'exotisme.

38. Voir chapitre III : dans les photographie d'Henry Cammas, les dessinateurs ou les graveurs ont ajoutés des personnages et des dromadaires. Aucun ajout de palmier ou d'autres marqueurs d'exotisme n'a pu être trouvé dans notre corpus.

 Aider à la composition.

 Mettre de la vie dans le tableau.

Il montre les populations arabes, en costume oriental, pour souligner la spécicité d'un lieu. Le lecteur peut les voir en train de réaliser certaines activités : les staages sont des porteurs d'eau, des Arabes à la sieste ou à la prière... Ils peuvent être très petits, et souligner le gigantisme de certains monuments tout en donnant une échelle facile à comprendre, ou être de taille normale et très détaillés.

Figure 2.10  Les ruines du Rhamesseum, à Thèbes. Dessin de A. de Bar, d'après photographie, Magasin Pittoresque, 1873, p. 337

Cette illustration montre six personnages au premier plan dont la présence est assez improbable à cet endroit. Il y en a neuf autres au pied des ruines. Trois hommes assis en cercle semblent discuter à l'ombre mais ont le regard tourné vers celui qui prend la photographie. Ils portent des turbans, qui caractérisent leur état d'Arabe. Deux femmes sont debout et voilées et l'une d'elles porte une cruche sur la tête. À l'arrière, les personnages sont très peu discernables mais le lecteur voit distinctement les plis de leurs turbans. Ils donnent à l'illustration du monument antique une touche exotique et l'ancrent dans le monde arabo-musulman. Le staage permet une confrontation des domaines culturels, qui, normalement, se rencontrent assez rarement. Les deux Égyptes, arabe et antique, sont souvent bien distinctes, sauf dans quelques panoramas.

Ici, une critique est sans doute sous-jacente : quatre des six personnages sont assis et ne font rien, ce qui peut être interprété comme un reproche de l'indolence et la paresse présumées des Arabes, en opposition avec la grandeur de la civilisation pharaonique.

Ils peuvent aussi être en plus gros plan. Les détails de leurs costumes et de leurs actions confèrent alors une touche très pittoresque à la scène. L'image de l'Ouadi Ledja présentée dans la première partie de ce chapitre (2.1.1, p. 48) est à cet égard intéres- sante. La légende indique le nom de la vallée qui est censée être représentée. Mais l'image en elle-même montre au premier plan des personnages entourant un dromadaire : ils prennent presque la moitié de la place. On distingue nettement leurs vêtements, les robes bédouines et les turbans, l'arnachement de l'animal, sa pose ère et élancée, et les armes portées par quatre d'entre-eux. Il y a, en plus, trois enfants. Le lecteur peut supposer qu'il s'agit d'une partie de la caravane qui accompagne l'auteur et il peut ima- giner le reste de la troupe. Finalement ce groupe attire plus l'attention que le paysage en tant que tel, qui s'eace, alors qu'il est le sujet de la gravure.

Dans les illustrations de l'Égypte, le staage est principalement utilisé pour donner l'échelle, devant de grands monuments comme les colosses de Memnon, et pour mettre une touche d'exotisme dans des dessins qui pourraient venir de n'importe où. Il a un rôle de séduction auprès du lecteur.