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Des illustrations d'après nature aux illustrations d'après photographie : une Égypte de plus en plus réa-

L'Égypte illustrée, de l'observateur au lecteur

3.2 Le travail du dessinateur : imiter ou traduire le dessin original ?

3.2.2 Des illustrations d'après nature aux illustrations d'après photographie : une Égypte de plus en plus réa-

liste ?

Les deux revues signalent parfois l'origine des illustrations dans la légende en indi- quant sa provenance :

 D'après nature signie que le dessinateur de l'illustration s'est lui-même rendu sur les lieux représentés et qu'il les a vus de ses yeux. Comme le dessinateur concerné est souvent renommé, cette mention ajoute un accent de vérité à son prestige. Ce sont des dessins originaux issus de l'utilisation de première main que veut Charton36.

 D'après untel qui est un dessinateur ou un voyageur plus connu donne de la valeur artistique ou scientique à l'image.

 D'après photographie37 signale en revanche une origine technique et non plus

humaine : ce n'est plus grâce à la reconnaissance d'une personne que l'image prend sa pertinence. La rédaction considère que la valeur d'information de la photographie est supérieure à celle du dessin. Le dessinateur est cité comme une garantie supplémentaire d'autorité.

Les origines des illustrations du Magasin Pittoresque ne sont pas beaucoup ren- seignées : la plupart (88% environ) sont sans indications précises. Les dessins d'après nature sont de la plume de Karl Girardet qui est allé en Égypte38, d'Alexandre de Bar

et de Gérôme. Les légendes ne disent pas forcément d'après nature mais peuvent don- ner des indications plus précises :  "Les statues de Memmon. Dessin de Gérôme, fait en Égypte, d'après ces monuments, en 1856", 39. C'est seulement en 1873 qu'apparaît

pour la première fois la mention d'après photographie, ce qui n'empêche pas qu'il y en ait eu avant : la photographie est utilisée à titre de source mais il est très dicile de déterminer quel rôle elle a eu. L'examen des documents iconographiques ne permet

36. Il exige des croquis, dessins, photographies livrés à la maison Hachette en même temps que le texte.

37. Cette mention est présente sur les représentations de photographies avant l'invention de la similigravure qui permet l'impression directe de l'image, sans passage par un dessinateur qui reprend toute la vue.

38. Voir la première partie de ce chapitre. 39. Magasin Pittoresque, 1857, p. 81.

pas toujours de reconnaître la nature du document. Le Magasin Pittoresque est à cet égard très en retard puisque l'utilisation de cette technique se multiplie dès les années 1850 dans la presse illustrée et devient hebdomadaire dans l'Illustration vers 1858 selon Thierry Gervais40. En fait Édouard Charton ne semble pas très intéressé, au départ

à donner le nom de ses collaborateurs et à dire d'où viennent ces images sauf quand elles sont tirées d'un ouvrage célèbre comme la Description d'Égypte ou qu'elles pro- viennent d'un artiste renommé. Cet anonymat tend à disparaître dans les années 1860. Les illustrateurs sont à présent connus41 du public et peuvent servir à la promotion de

la revue. Quand la photographie commence à être reproduite, les noms disparaissent à nouveau, sûrement parce que les auteurs des photographies sont inconnus.

Toutes les illustrations du Tour du Monde sont attribuées à un premier dessinateur ou photographe, à un second dessinateur et parfois à un graveur. Les premières images d'après photographie datent de l'année 1863 et du voyage de Cammas, soit dix ans avant celles du Magasin Pittoresque. Le Tour du Monde est obligé de composer avec tous les supports d'images qui arrivent d'Égypte. Les mentions d'auteur se raréent à partir de l'année 1906 et disparaissent en 1913 : aucune donnée écrite ne permet d'armer que les images sont des photographies42 et d'attribuer ces photographies à

l'auteur du récit.

Les cas d'illustrations d'après photographie sont plus nombreux dans le Tour du Monde que dans le Magasin Pittoresque en raison de son contenu. Les récits de voyage exigent d'être au plus près des pas du voyageur ce que rend bien la photographie : dans la publication d'Amélineau en 1905 sur Abydos, les illustrations d'après photographie tirées des propres fonds de l'auteur permettent de situer les lieux (son logement et le village) et de voir l'évolution des fouilles. Le Magasin Pittoresque s'intéresse plus à ce que représente l'image qu'à la façon dont elle la représente.

Cependant ces photographies redessinées n'ont plus les apparences de la photogra- phie. Elles sont sélectionnées par la rédaction puis dépêchées chez un dessinateur qui les reproduit et les transmet au graveur. Ce travail donne une image qui  doit à la gravure ses apparences 43. Selon les principes d'Édouard Charton, les dessinateurs

respectent les agencements et les tonalités des photographies mais sont libres d'ajouter

40. Thierry Gervais,  D'après photographie, premiers usages de la photographie dans le journal L'Illustration (1843-1859) , Études photographiques, no13, Juillet 2003.

41. À la même époque, le Tour du Monde est très précis dans ses légendes et indique assez scrupu- leusement les artistes.

42. Cependant, à la loupe, la technique de similigravure apparaît bel et bien.

43. Sophie Rochard, La photographie et la presse illustrée (1853-1870), Maitrise d'histoire de l'art, Université Paris IV, 1990.

des précisions et d'accentuer tel ou tel trait. Pour lui, la photographie impose le respect de la vérité et de l'exactitude. Oubliées l'imagination et la liberté d'inventer, l'heure est à la reproduction exacte. Du moins dans le texte :

 La photographie enn qui se répand dans toutes les contrées du globe, est un miroir dont le témoignage matériel ne saurait être suspect et doit être préféré même à des dessins d'un grand mérite dès qu'ils peuvent inspirer le moindre doute. Dans les cinquante-deux livraisons que nous venons de terminer, plusieurs de nos gravures les plus remarquables ont été faites d'après photographie 44.

Cette mention suggère que la prise de vue a été copiée sans subir de retouches importantes et qu'elle est dèle à l'originale.

Cependant, quelques comparaisons montrent que le dessinateur ne se contente pas de reproduire dèlement la photographie : il ajoute parfois des éléments, comme le staage. Ainsi il est possible de comparer les photographies d'Henry Cammas publiées en 1864 dans un album regroupant soixante et une photographies et celles reproduites dans le Tour du Monde de 1863 : sur les quelques images qui montrent le même lieu, des personnages ont été ajoutés par le dessinateur.

Figure 3.5  Photographie originelle

de Cammas de Kom-Ombos Figure 3.6  "Com-Ombos", d'aprèsphotographie de Cammas, Tour du Monde, 1863, p. 212

S'il est évident que l'image représente le même monument, le temple de Kom- Ombos45, les abords sont diérents. Le dessinateur a ajouté des ruines et surtout deux

personnages en costume oriental qui discutent. Il a aussi augmenté les contrastes noir

44. Tour du Monde, 1860, Préface, p. VII.

45. Si la revue utilise l'orthographe de Com-Ombos, nous avons conservée celle de Kom-Ombos pas souci d'homogénéité.

et blanc.

Figure 3.7  Photographie originelle

de Cammas de Hermant Figure 3.8  "Hermant", d'après pho-tographie de Cammas, Tour du Monde, 1863, p. 209

Cet exemple est encore plus parlant puisque les diérences concernent quatre per- sonnes en costume oriental et un dromadaire. Ces ajouts entrent parfaitement dans la catégorie exotique et remplissent leur mission de dépaysement.

Le rôle du dessinateur s'il semble amoindri par les commentaires d'Édouard Charton n'en reste pas moins important puisqu'il contribue à magnier l'image et à la rendre plus séduisante pour le lecteur. Le besoin de documents de première main constitue la grande chance de la photographie qui devient indispensable pour les revues. Dans d'autres revues, les illustrations dessinées sacrient souvent le réalisme à l'esthétique de l'image. Avec la photographie la fonction traditionnelle de l'image, plaire, se combine avec celle du journalisme, informer, montrer la réalité. Le Magasin Pittoresque n'a jamais présenté des images trop exotiques mais le dessin reste le moyen de manipuler la réalité pour délivrer le message voulu, ici le regard que l'Européen porte à l'Orient.

3.2.3 L'utilisation de photographies originales : la disparition