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3. POUR LA SUITE DU MONDE : L’ENGAGEMENT

3.2. Pour la suite du Monde : l’exposition

3.2.2. Mise en espace de l’exposition

Outre le positionnement de certaines œuvres excentrées du MACM et dispersées dans la ville, le noyau de l’exposition reste tout de même le musée : l’extérieur du bâtiment, mais aussi le hall, une cage d’escalier, les corridors et surtout, les salles d’exposition. Aucun plan d’accrochage n’est déterminé au préalable par l’équipe de conception et ce sont les artistes qui ont le premier mot quant à l’emplacement de leurs œuvres. Le tout se décide à distance, par écrit, par téléphone, ou lors de voyages préliminaires. Il s’avère particulièrement difficile de travailler avec une structure en construction et les conservateurs ne veulent aucunement soumettre les participants à des contraintes supplémentaires338. Les œuvres demandent parfois un site particulier et dans certains cas, des espaces exigus sont tout désignés. Par exemple, Mona Hatoum a choisi une salle flanquée d’un podium formé par un mécanisme de portes de garage situées à l’étage inférieur339. Barbara Steinman, dont le travail « […] s’impose par le poids de l’absence qu’elle évoque […] »340 et dont l’œuvre, Signs, aborde les politiques linguistiques d’affichage, opte pour une alcôve d’abord pressentie pour la lecture et le visionnement de vidéos et qui permet à l’installation d’être vue de l’extérieur du Musée. D’autres, tels Gilbert & George et Liz Magor produisent des œuvres de grands formats qui demandent d’être accrochées sur des murs de dimensions très précises341.

337 Demande de subvention au Conseil des arts du Canada, Archives du Musée d’art

contemporain de Montréal, op.cit.

338 Entrevue avec Réal Lussier, op.cit. 339 Ibid.

340 Thérèse St-Gelais, « Barbara Steinman. Artiste québécoise », Le Journal du Musée d’art contemporain de Montréal, vol. 2, n° 5, op.cit., p. 3.

Fig. 8

Mona Hatoum, Socle du Monde 1991, 1991-92

Cube composé de 5 plaques d’acier, aimants, limaille et une épreuve argentique

Dans ce contexte et parce que Pour la suite du Monde met en scène des productions inédites tout comme une variété de disciplines et de préoccupations, la présentation ne peut être homogène. Il est difficile d’élaborer un scénario de visite et les conservateurs, aidés de l’architecte et artiste Louis-Paul Lemieux, tentent de faire des regroupements selon les demandes des invités et les différentes sensibilités artistiques. Le résultat réside dans le fait d'accrocher des œuvres les plus incisives à l’entrée des salles d’exposition et de placer le travail poétique et nuancé dans des espaces plus reculés342.

D’ailleurs, une œuvre brutale de Dominique Blain intitulée L’éclaireur accueille les visiteurs aux abords des salles d’exposition. Une vingtaine de formes longilignes s’apparentant à des longues-vues et fixées à une cimaise composent l’installation. C’est en se déplaçant d’un côté à l’autre de la paroi que les spectateurs peuvent saisir toute la portée et la violence de L’éclaireur : les objets sont en fait des pistolets et des longues-vues de toutes sortes braqués sur d’autres visiteurs qui, à leur tour, font leur entrée dans la salle d’exposition. Chez Blain, le travail méticuleux du positionnement des œuvres les charge tant émotionnellement que politiquement et permet de révéler les mécanismes sous- jacents la notion de pouvoir343. L’artiste élabore des mises en scène efficaces qui

créent à la fois une distance et un malaise chez le spectateur. Malgré que son œuvre soit ouverte et ne transmette pas de message explicite, c’est « la civilisation occidentale [qui y] est mise en procès […] »344.

342 Ibid.

343 Josephine Lanyon et Tessa Jackson (commissaires), « Repositioning the viewer » in Dominique Blain, catalogue d’exposition, Bristol, Arnolfini, 1997, p. 2.

344 Monique Brunet-Weinmann, « Artiste québécoise. Dominique Blain. Un art de l’idéologie

Par opposition, le travail de Giuseppe Penone, un artiste issu de la tradition de l’arte povera345, occupe l’arrière des salles d’exposition. La démarche de Penone émerge d’une conception quasi animiste de la vie et d’un rapport étroit, voire de transsubstantiation, entre l’homme et la nature. Dans I have Been A Tree in the Hand, une œuvre qui peut à la fois évoquer les réseaux circulatoires de la sève et le système sanguin humain, une main de fer est fixée sur un tronc d’arbre, comme si elle pressait le bois et stoppait un saignement346. L’artiste y traduit simplement, en formes et en images, l’interrelation entre l’humain et son milieu ainsi que la conception selon laquelle la destruction de la nature brise un équilibre qui entrave la possibilité de survie de l’homme347.

Fig. 9

Dominique Blain, L’Éclaireur, 1991-92

Assemblage : carabines, fusils, lunettes d’approche, jumelles, objectifs d’appareils photographiques

Fig. 10

Giuseppe Penone, I Have Been a Tree in the Hand, 1984-1991 Bois et fer

La description de ces deux créations nous permet d’illustrer la diversité des propos au sein de Pour la suite du Monde. Comme la présentation est à la fois extérieure et intérieure, il devient d’autant plus ardu de lire aisément le « texte » qui la constitue. Selon la théorie de Mieke Bal présentée précédemment, le propos d’une exposition se développerait selon le sens de la visite et le choix de l’accrochage. Malgré un projet déployé autour du thème de l’engagement, la diversité des propositions et le fait que la majorité des œuvres aient été créées pour l’événement ne permettent pas d’orienter le discours de Pour la suite du

345 L’arte povera désigne un courant formé d’artistes italiens qui, à partir de la fin des années 60,

ont travaillé à briser la dichotomie entre l’art et la vie, principalement par l’organisation de happenings et la création de sculptures conçues à base de matériaux issus de la vie quotidienne ou de la nature.

(Oxford Art Online, base de données,

http://www.oxfordartonline.com/subscriber/article/grove/art/T004357?q=arte+povera&search=q uick&pos=1&_start=1#firsthi, site consulté le 23 juillet 2009).

346 Michael Brenson, « Giuseppe Penone », Sculpture, vol. 11, nov.-déc. 1992, p. 34. 347 Ibid., p. 35.

Monde de façon précise. Il ressort entre autres de ce regroupement hétérogène deux grandes catégories d’appréhension du monde que nous tâcherons d’analyser : le retournement des codes publicitaires et médiatiques ainsi que l’enquête anthropologique et sociologique.