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1. LES ANNÉES 1980 ET 1990 : LES NOUVELLES AVENUES DES

1.2. La mutation du rôle de conservateur et l’apparition de la figure du

1.2.1. Mieke Bal, Double Exposures et le modèle de la conversation

L’ouvrage de Mieke Bal intitulé Double Exposures : the subject of cultural analysis présente la manifestation artistique en tant qu’objet d’étude singulier et selon la loupe de l’analyse culturelle. L’analyse culturelle est interdisciplinaire, comparative et s’intéresse à la culture au sens large – tel que défini par l’anthropologie et la sociologie – à ses représentations, ainsi qu’aux différentes frontières créées par le langage49. Selon cette définition, l’exposition devient le motif d’analyse par excellence puisqu’elle s’affiche comme un échantillon d’une vision du monde particulière. Fidèle à sa discipline, Bal porte un intérêt particulier à la linguistique et cite à quelques reprises Problèmes de linguistique générale d’Émile Benveniste50. Elle en retire notamment une définition du discours qu’elle applique à l’exposition. Ainsi, le discours tel que Benveniste l’oppose au récit, est conçu comme une construction de phrases ou de mots dans lequel le narrateur est engagé. « If there is anything that would differentiate the “new” museology from the old or plain museology it is serious follow-up on the idea that a museum installation is a discourse, and an exhibition is an utterance within that discourse »51. Son émetteur, qu’il soit individuel ou institutionnel, se rapproche donc énormément de la position d’auteur.

Dans l’échantillon des « discours » possibles, le locuteur est particulièrement engagé lorsqu’il prend part à une conversation. À ce propos, Bal transpose les

49 Site web de la Amsterdam School for Cultural Analysis (ASCA), http://www.hum.uva.nl/asca,

site consulté le 8 août 2010 et Mieke Bal, Double Exposures. The Subject of Cultural Analysis, Londres et New York, Routledge, 1996, 338 p.

Notons que la maison d’édition Routledge publie, tout au long des années 90, un grand nombre de textes consacrés à l’analyse culturelle et aux études muséales. Outre le texte de Mieke Bal, soulignons quelques titres particulièrement pertinents : Thinking about exhibitions, The Birth of

the Museum, Civilizing Rituals : Inside Public Art Museum et Museum and the Shaping of Knowledge.

50 Émile Benveniste, Problèmes de linguistique générale, 2 volumes, Paris, Gallimard,

coll. « Tel » et « Bibliothèque des sciences humaines », 1966 et 1974, 356 p. et 288 p. Helene Illeris, « Visual events and the friendly eye : modes of educating vision in new

educational settings in Danish art galleries », Museum and Society, mars 2009, vol. 7, nº 1, p. 18,

http://www.le.ac.uk/ms/m&s/Issue%2019/illeris.pdf.

paramètres de la conversation entre individus aux paramètres du musée. Ainsi, l’institution muséale, dans ses bonnes intentions et sa mission éducative, tâche d’élaborer des échanges à trois entre « l’agent d’exposition »52 (« expository agent »), l’artefact et le visiteur. Ces discussions peuvent prendre plusieurs formes – lyrique, chuchotée, criée53. Dans cette optique, un élément doit être clairement établi : l’interaction. Mais comment la rendre tangible? Comment le visiteur et l’œuvre peuvent-ils riposter? Bal dit en quelque sorte qu’ils en sont presque incapables : « What the discourse makes readable (“heard”) is not the art itself but the first person holding the expository agency »54. Le dialogue devient, dans bien des cas, un monologue, et souvent un enseignement ou une narration où la seconde personne (le « tu » ou le « vous ») disparaît55. Outre cette incapacité à l’échange, il est très rare que l’entité énonciatrice sache s’adresser à tous ses interlocuteurs puisqu’elle exclut d’autres points de vue que le sien56. Bal suggère donc que l’agent d’exposition est beaucoup plus autoritaire qu’il n’y paraît.

À la lumière de ce que nous venons d’énoncer, l’émetteur du discours d’une exposition n’est rien de moins (ou de plus) que la première personne qui parle. Ainsi, le problème de l’autorité du langage demanderait une approche plus inclusive. Cette approche, Bal l’articule en proposant que cet émetteur renonce à son monopole et se transpose dans le rôle de la « deuxième personne » en faisant la lumière sur sa propre subjectivité. L’attention pourrait être davantage portée sur la main qui pointe les œuvres57. Dès lors, ce qui doit être critiqué en théorie et évité en pratique est l’action illusoire d’un agent d’exposition qui prétend être

52 « […] [T]he expository agent is not the present curators and other museum staff. The people

currently working in museums are only a tiny connection in a long chain of subjects ». Selon cette logique, l’agent d’exposition n’est pas uniquement le commissaire. Il est une construction sémantique et il porte une vaste charge symbolique qui correspond au statut du musée dans la société dans laquelle il est implanté, de son histoire et de ses conditions matérielles.

(Mieke Bal, Double Exposures. The Subject of Cultural Analysis, op.cit., p. 16-17.)

53 Ibid., p. 155. 54 Ibid., p. 146. 55 Ibid., p. 142. 56 Ibid., p. 145. 57 Ibid., p. 157.

aussi effacé qu’un narrateur absent, ce qui caractérise le récit chez Benveniste. Les manifestations culturelles ne sont pas des fenêtres transparentes ou réalistes à travers lesquelles les visiteurs peuvent avoir une vue du monde de l’art « tel qu’il est ». Elles sont le résultat d’un acte de monstration effectué par un intermédiaire qui semble nous dire : « Regardez! Voici ce que j’ai sélectionné à voir »58. Terminons par une mise en garde de Bal:

[An exhibition can address] the ideological lines that pervade its presence, from the ideological roots of the existence of the apparatus of which it is a part […] In other words : the idea of exhibiting as discourse will be productive only if the apparent differences, not the obvious similarities between the subjects

concerned, are focused upon59.