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Un discours de proximité avec le citoyen et d’intelligibilité de l’art

3. POUR LA SUITE DU MONDE : L’ENGAGEMENT

3.3. La réception

3.3.1. Un discours de proximité avec le citoyen et d’intelligibilité de l’art

l’association de l’exposition à la tendance événementielle.

3.3.1. Un discours de proximité avec le citoyen et d’intelligibilité de l’art contemporain

L’inauguration du nouveau Musée d’art contemporain engendre une centaine de textes dont des articles publiés par le Musée (magazine, communiqués, catalogues d’exposition, etc.), des entrevues accordées par les conservateurs et la direction ainsi que des critiques générales. Ces textes sont rédigés par des journalistes qui, lorsqu’ils ne sont pas de Montréal, sont invités à venir couvrir les activités d’inauguration aux frais du Musée. Festivités commémoratives obligent, plusieurs de ces appels sont adressés de manière concertée entre le Musée des beaux-arts, Pointe-à-Callières et le Musée d’art contemporain382. Résultat : une somme de publications qui nous permettent d’observer deux phénomènes en lien avec l’exposition et l’ouverture du MACM : un propos d’accessibilité et de proximité avec le citoyen et un discours d’intelligibilité de l’art contemporain.

Si l’institution tente d’abord de se rapprocher du citoyen, cela se fait sans doute pour justifier, d’une part, la durée des travaux (neuf ans) et, d’autre part, les coûts de construction et de fonctionnement largement puisés dans les fonds publics. En tout, l’édifice a engendré des dépenses de 33,5 millions de dollars383, soit 13 millions de plus que l’évaluation initiale384. D’ailleurs, plusieurs

382 Entrevue personnelle réalisée avec Louise Faure, ancienne responsable des relations médias

au MACM, 23 septembre 2009.

383 Pierre Roberge, « Deux grandes expositions au nouveau Musée d’art contemporain », La Tribune, Sherbrooke, 22 janvier 1992, p. C8.

384 Jocelyne Lepage, « Le nouveau Musée d'art contemporain aura-t-il honte de plaire? », La Presse, Montréal, 25 avril 1992, p. E1.

journalistes s’emploient à répéter ces montants et à désigner les visiteurs comme ceux qui ont payé le Musée. Par exemple, la journaliste Jocelyne Lepage rappelle que le temps est à la récession et que les contribuables sont plus sensibles aux endroits où est dépensé leur argent385.

Soulignons que deux ans avant l’inauguration du Musée, un débat liant art contemporain et deniers publics a fait rage à Ottawa. Le Musée des beaux-arts du Canada a annoncé l’achat, au coût de 1 800 000 $, de Voice of Fire, un tableau de Barnett Newman, l’un des chefs de file de l’expressionnisme abstrait américain386. Le coût d’acquisition a fait bondir l’opinion publique et a engendré des débats dans l’ensemble du pays. En effet, des journalistes et des représentants parlementaires, justifiant leur colère par la supposée facilité de reproduction de la toile, se sont insurgés du fait qu’un tel montant a été alloué à l’achat d’une œuvre d’art abstrait dont la composition se caractérise par une épuration stricte des formes et des tons. Ainsi, ce qui devait être une nouvelle d’ordre culturel est devenu un débat sur les finances publiques au Canada, le tout illustrant les dislocations que provoque parfois la difficile cohabitation de l’art contemporain, de la politique et de l’opinion publique.

Outre les commentaires d’ordre financier reliés à l’ouverture de Pour la suite du Monde, les propos d’accessibilité s’observent par l’emploi de champs lexicaux associés à la proximité du Musée avec ses visiteurs. À cet effet, le directeur, Marcel Brisebois, décrit la présence de l’institution au centre-ville comme un « pas vers la communauté »387 tandis que d’autres affirment que le nouveau MACM s’est donné une mission de « centre culturel »388. Par les deux expositions inaugurales et avec Pour la suite du Monde précisément, le Musée s’affiche comme agent de démocratisation de l’art et allègue que l’établissement

385 Ibid.

386 Pascal Normandin, Autopsie d’un scandale. L’acquisition de Voice of Fire de Barnett Newman par le Musée des beaux-arts du Canada, mémoire de maîtrise, Montréal, Université de

Montréal, 1997, p. 7 et 9.

387 Marcel Brisebois, « Origines, Départ », Le Journal du Musée d’art contemporain de Montréal, vol. 3, n° 1, op.cit., p. 3.

muséologique, tout comme l’artiste, ont leur place dans les débats de société. « […] [L’] exposition […] se trouve à souligner également la position de l’institution, dont le rôle, historiquement, a toujours paru quelque peu isolé dans la communauté »389. Dans Le magazine la Place des Arts, dont une section est consacrée au MACM, on parle du Musée comme d’un logis. Liza Frulla-Hébert, dans son « Message de la Ministre »390, soutient que « l’art contemporain exprime ce que nous sommes individuellement et collectivement »391 et que le Musée est un « lieu accueillant […] [et] une nouvelle maison »392. De plus, la journaliste Francine Montpetit parle la « maison de l’art vivant »393. À ce propos, lors de la tenue de la fin de semaine d’activités gratuites, le journaliste Bruno Dostie de La Presse souligne que les citoyens, qui ont payé le Musée avec leurs impôts, sont conviés au « tour du propriétaire »394. Ainsi, ces différents textes évoquent à la fois confort et appartenance civique.

Une seconde stratégie d’intelligibilité de l’art contemporain et de l’exposition réside dans une campagne promotionnelle dans les vitrines des grands magasins du centre-ville. L’objectif est de séduire « […] la clientèle des événements culturels dits à “grosse visibilité”, et [d’]effectue[r] une percée chez les jeunes et les étudiants que l’art contemporain devrait, en théorie, intéresser »395. Malgré l’accent mis sur cette tranche de la population, la visée est d’interpeller des publics diversifiés, de façon à ce que les visiteurs locaux et étrangers, québécois, américain, européen et asiatique, reconnaissent les noms des artistes dont les œuvres figurent dans l’exposition. Ainsi, l’exercice consiste à saisir l’attention des acheteurs et d’assimiler l’expérience muséale à celle de la consommation et à une familiarité qui lui est associée. Contrairement à cette suggestion, la visite

389 Gilles Godmer et Réal Lussier, « Expositions. Pour la suite du monde », op.cit., p. 5. 390 « Message de la Ministre », Le magazine de la Place des Arts, op.cit., p. 37. 391 Ibid.

392 Ibid.

393 Francine Montpetit, « Des liens chaleureux entre l’œuvre et le public », Le magazine de la Place des Arts, op.cit., p. 56.

394 Bruno Dostie, « Un musée au centre-ville pour que l'art contemporain fasse moins peur au

monde », La Presse, Montréal, 27 mai 1992, p. C1.

de l’exposition amène une expérience autre, éloignée de ce que l’on associe à une habitude mercantile. Le visiteur est ainsi leurré puisque le projet de Pour la suite du Monde réside dans l’affirmation d’une humanité dont le propre est de s’interroger sur ses dérèglements, ses abus, ses grandeurs et sa petitesse. Le Musée n’hésite donc pas à vivre avec le paradoxe et à assimiler le décodage commercial à celui de l’art.

L’objectif derrière ce discours est manifestement d’augmenter le nombre de visiteurs. Tel que mentionné dans plusieurs textes, l’institution a souffert d’un emplacement peu accessible à la Cité du Havre et son directeur désire voir un élargissement de sa clientèle396. Très exactement, le but est d’accroître l’achalandage du double (de 52 000 à 100 000 visiteurs) lors de la première année de fonctionnement397. Pour ce faire, des ressources considérables ont été allouées au service de l’éducation, ce qui a permis l’embauche d’une équipe d’étudiants afin d’effectuer des visites guidées dans Pour la suite du Monde398. Par ailleurs, plusieurs autres activités didactiques ont été organisées en lien avec l’exposition dont des projections de films, des feuillets explicatifs ainsi que des conférences prononcées par les artistes dans les quatre universités de la métropole399.

Ces médiateurs que sont les animateurs et les diverses activités éducatives permettent de rendre plus lisibles les œuvres de l’exposition. Ils s’intègrent à un effort de vulgarisation « […] au sein d’un public plus rebiffé devant l’art contemporain »400 et dans un désir du Musée d’élaborer une définition de ce type de pratique. Par exemple, le Cahier, premier de deux catalogues d’exposition constitué de croquis et de propos des artistes participants, en est une

396 Jean Dumont, « Le MAC arrive en ville », Le Devoir, Montréal, 11 mai 1991, p. E5. 397 Bruno Dostie, « Un musée au centre-ville pour que l'art contemporain fasse moins peur au

monde », op.cit.

398 Entrevue avec Réal Lussier, op.cit.

399 Danielle Legentil, « CHERCHEZ/TROUVER. Le visiteur et son musée. », Le Journal du Musée d’art contemporain de Montréal, vol. 2, n° 3, août-sept. 1991, p. 3.

400 Marie-Michèle Cron, « Une présence encore timide sur la scène internationale », Le Devoir,

manifestation. D’ailleurs, son objectif est de « […] mieux rendre compte de la manière particulière de travailler de chacun »401, donc de souligner l’importance de décortiquer le travail de l’artiste et d’expliquer sa pratique.

Pour la suite du Monde pousse aussi les commentateurs à expliquer les paradigmes à l’œuvre dans l’art contemporain. Dans le catalogue, Godmer et Lussier font ressortir le caractère percutant, qui force à voir au-delà des idées reçues. « L’art contemporain traite de sujets controversés […] Les artistes posent des questions troublantes, parfois métaphysiques et vont jusqu’à demander quel est le sens de l’art »402. Le journaliste Bruno Dostie donne, quant à lui, l’explication suivante : « […] l’art contemporain est presque par définition dérangeant et provoquant »403. D’autres, comme la commentatrice Angèle Dagenais, soulignent plutôt son interdisciplinarité et son ouverture aux sciences humaines stipulant qu’« [a]ucune expression artistique ne se développe en vase clos […] »404. Finalement, des journalistes tâchent de comparer de façon assez binaire l’art moderne et l’art contemporain. Suivant leur logique, le premier s’inscrirait dans le sillon de la consommation tandis que le deuxième se placerait du côté de la communication405. Ainsi, quand il s’agit de mettre en valeur la constante communicative de certaines œuvres, le travail de Gran Fury peut agir ici à titre indicatif.