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L’histoire de la post-colonie en République centrafricaine ne peut se détacher des années sombres de dictature sans visage et de populisme de Jean-Bedel Bokassa. Capitaine de l’armée coloniale française, ayant pris part aux guerres d’Indochine et d’Algérie, Jean-Bedel Bokassa, prédestiné antérieurement à la prêtrise, a été révélé par son cousin, David Dacko. Ce dernier, devenu président de la République, l’avait élevé au grade de colonel de l’armée centrafricaine avant de lui confier l’organisation de l’armée. Devenu chef d’état-major par la suite, il s’est abstenu de déjouer une tentative de coup d’État et s’est emparé lui-même du pouvoir le 31 décembre 1965. Dès lors a commencé une période d’asservissement du peuple centrafricain, caractérisée par un populisme triomphant. Il a même réussi à faire passer, dans l’opinion, des slogans mobilisateurs comme « l’empereur paysan » ou le « fermier de

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Banque de France, Les monographies économiques : Centrafrique, Rapport annuel de la Zone franc, 2012, p. 212 ; https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/Eurosysteme_et_inter- national/2._Centrafrique.pdf, consulté le 10 août 2016.

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Ch. B. Gounebana, « Les conséquences des troubles sociopolitiques sur le système éducatif centrafricain de 1991 à l’an 2001 : Situation de l’enseignement primaire », thèse pour l’obtention du doctorat en Sciences de l’éducation, Institut de Recherche sur l’Éducation, Sociologie et Économie de l’Éducation, Université de Bourgogne, 2006, p. 157.

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Banque de France, Les monographies économiques : Centrafrique, Rapport annuel de la Zone franc, 2012, p. 207 ; https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/Eurosysteme_et_interna- tional/2._Centrafrique.pdf, consulté le 10 août 2016.

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Berengo ». Plus tard, pour s’attirer les faveurs de Mouammar Kadhafi, il s’est converti à l’islam pour devenir Salah Eddine Ahmed Bokassa.

Il a séduit le peuple et a polarisé l’attention sur sa propre personne. Dès 1972, il a moulé sa personnalité dans celle de Barthélemy Boganda, son illustre prédécesseur, à qui il faisait régulièrement référence pour capter le capital de sympathie des masses paysannes. Dans une démarche faite de pression psychologique et d’instauration de la peur, il s’est fait homme providentiel, père de la nation et sauveur du peuple centrafricain. Tribun peu raffiné, Bokassa — un « soudard » selon le général de Gaulle —, a su donner un profil exploratoire à ses thuriféraires, ingénieux dans l’élaboration des litanies et des éloges. Louis Kpadou, son ministre de l’Intérieur, lui rendait un vibrant hommage en ces termes :

Je rends un vibrant hommage au Père de la Nation, et l’assure de notre indéfectible attachement. Il est le digne continuateur de la pensée du président Boganda. Nous le soutiendrons jusqu’au bout, comme les apôtres avaient suivi Jésus-Christ. M’adressant plus particulièrement à Monsieur le Président, Son Excellence Monsieur Jean-Bedel Bokassa, je lui dis : le peuple centrafricain, de Bambouti à N’Gamboula, de Batangafo à Mougoumba, vous demeure et demeurera reconnaissant à jamais pour les grandes réalisations qui se créent dans le pays sous votre dynamique impulsion. Pasteur, vous êtes aussi éducateur et bâtisseur. Le pays vous doit toute la sollicitude pour l’œuvre de la reconstruction nationale que vous avez entreprise corps et âme248.

Lors de la présentation des vœux en janvier 1978 à l’empereur Bokassa, devenu Sa Majesté impériale, Ange-Félix Patassé, alors Premier ministre, non moins apologiste, déclarait :

Votre auguste personne n’est pas sans savoir que l’Afrique est la terre de prédilection des empires, et, dans sa mutation actuelle, vibre en écho aux grands empires qui furent ceux du Ghana, du Songhaï, du Mali, du Congo… La naissance de l’empire centrafricain se situe donc bel et bien dans la plus pure tradition africaine, et traduit aujourd’hui plus que jamais la volonté souveraine du peuple centrafricain de refaire son histoire, sauvagement liquidée par plus de soixante-dix ans de colonisation. Oui, Majesté Impériale, vous êtes le plus illustre de ces Héros de la grande famille des hommes, Symboles de leur temps, et dont le destin se confond avec le destin de leur nation249.

Dès lors, le pays s’est retrouvé dans un cirque de violence politique inouïe, perpétrée par les services de sécurité. La restriction des droits de l’homme pour cause de basculement dans l’empire, le sacre « napoléonien »250 et la personnification du pouvoir251 ont abouti à la révolte des lycéens de 1979252.

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E. Fatrane, Terre africaine, no 119 du 19 mars 1966, repris par D. Bigo, Pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Karthala, 1988, pp. 62-63.

249 Ibid.

250 Hervé Bourges et Claude Wauthier décrivent la cérémonie du sacre « napoléonien » du 4 décembre 1977 avec une éloquence parfaite : « L’empereur n’avait pas lésiné sur les moyens. Mobilisant bijoutiers, couturiers et

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La postérité a retenu, entre 1974 et 1979, la jouissance démesurée, consacrée par l’exhibitionnisme de 1974 qui avait institutionnalisé la violence politique et l’adoubement de l’armée. En effet, le 4 décembre 1977, Jean-Bedel Bokassa transformait la République centrafricaine en un empire. Devenu Bokassa 1er, cette cérémonie aurait coûté le quart du budget du pays, soit près de 7 milliards de FCFA. Après s’être fait introniser empereur le 4 décembre 1974, il est évincé le 20 septembre 1979 par « l’opération Barracuda »253. Son sacre impérial, au départ agréé par la France, a été organisé autour du décalquage napoléonien dans la cour de Barengo254. Son bilan, après quatorze ans de gestion napoléonienne, s’est réduit à l’assèchement total des caisses de l’État.

artistes parisiens, Bokassa 1er avait décidé d’égaler Napoléon ; modèle dont il s’inspirait fièrement : une lourde couronne de 6 000 diamants, dont l’un de 82 carats, une tunique de 785 000 perles et de 1 300 000 brillants de cristal et boutons d’or, une traîne de velours rouge de plusieurs mètres, bordée d’hermine et brodée d’or, une épée et un sceptre sertis de diamants. Des ornements identiques mais moins luxueux pour l’impératrice Catherine. Un somptueux carrosse n’ayant rien à envier à celui de la reine Élisabeth, et un gigantesque trône en forme d’aigle aux ailes déployées, haut de 3 mètres, large de 4 mètres, tout doré et pesant près de 3 tonnes. Quelques chiffres encore : 200 voitures, grosses cylindrées de luxe Peugeot ou Mercedes, et 200 motos BMW ; 100 chevaux du Tchad et 100 de Normandie pour une garde impériale aux costumes napoléoniens ; 40 000 bouteilles de vin ; 24 000 de champagne et un gâteau haut de 1 mètre et demi arrivés directement de France pour un banquet monstre de 1 500 couverts ; des milliers de fleurs, de la verdure et 200 kilos de pétales de roses pour la décoration, venus directement de la France ; et même, dans ce pays de forêts, des poteaux de pin, amenés des Landes par avion, pour accrocher les oriflammes et les aigles de plastique doré le long de la voie impériale. » Lire H. Bourges, C. Wauthier, Les 50 Afriques : Afriques des grands lacs, Afrique australe, Océan indien, Paris, Seuil, 1979, p.90. 251

Lire E. Chauvin, « Rivalités ethniques et guerre urbaine au cœur de l’Afrique - Bangui (1996- 2001) », Enjeux, 2009, 40, pp. 30-38 ; Ch. Emmanuel, Ch. Seignobos, « L’imbroglio centrafricain. État, rebelles et bandits », Afrique

contemporaine 4/2013 (n° 248), pp. 119-148.

252 Au sujet de cet incident, voici une description faite par Apolline Gagliardi-Baysse : « Les événements de 1979 sont déclenchés par la tentative d’imposition du port de l’uniforme aux élèves centrafricains. En octobre 1978, le climat social dans la capitale centrafricaine est tendu. En juillet de la même année, Bokassa enjoint Henri Maïdou, alors vice-Premier ministre chargé de l’Éducation nationale, de rendre obligatoire le port de l’uniforme pour les écoliers, élèves et étudiants, à partir de la rentrée scolaire d’octobre 1978. Le jour de la rentrée, peu d’élèves portent la tenue règlementaire, en effet "du fait des arriérés de salaires dans la fonction publique, les parents d’élèves n’avaient pas les moyens financiers de faire face à cette charge nouvelle". La plupart des fonctionnaires n’a pas touché de salaire depuis deux à trois mois. Ils ne peuvent donc pas acheter des uniformes coûtant environ 100 francs CFA. En janvier 1979, le jour de la reprise des cours, les élèves ne portant pas l’uniforme ne sont pas autorisés à entrer au lycée Boganda. Quelques jours plus tard, le 18 janvier 1979, une manifestation des élèves du lycée se dirige vers le centre-ville, leur slogan est clair : "payez nos parents et nous pourrons acheter des uniformes". Les élèves des autres lycées de Bangui les rejoignent. La manifestation est rapidement dispersée mais dans l’après-midi les étudiants se joignent au mouvement. Le lendemain, ils défilent à nouveau tous ensemble dans les rues de Bangui et dans la soirée les militaires chargent. "Le premier mouvement de révolte après treize années de dictature s’achève néanmoins dans un bain de sang, le lendemain matin, lorsque la garde impériale s’empare de la capitale, tirant à vue, ses chars entrant dans les quartiers insurgés", on dénombre une centaine de morts ». Lire A. Gagliardi-Baysse,, « Dynamiques de formation et de reproduction des élites politiques centrafricaines », mémoire en vue de l’obtention du master 2 recherche en Science politique, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, UFR de Science politique, septembre 2009, pp. 86-87.

253 Opération menée par la France. 254

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