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b – L’achat-vente de la sécurité (fréquents soupçons de corruption)

La gouvernance sécuritaire, dans la plupart des pays africains, est plus portée sur la sécurisation des dirigeants et sur la « désécurisation »390 des dirigés. La praxéologie sécuritaire, dans ce cas, est articulée à la fois autour de la protection présidentielle et de la volonté plus

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Th. Mouctar Bah, « L’Armée, l’État et la problématique du développement en Afrique : bilan critique, 1963- 2005 », p. 3 ; www.codesria.org/IMG/pdf/thierno_bah.pdf?1404/

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R. Luckham, « Militarization in Africa » in SIPRI Yearbook, (ed.), World Armaments and Disarmament, London, Philadelphia, Taylor & Francis, 1985, p. 306, repris par C. Thiriot, « La place des militaires dans les régimes post- transition d’Afrique subsaharienne : la difficile resectorisation », Revue internationale de politique comparée 2008/1, Volume 15, p. 19.

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Ce concept a été largement étudié par Chantal Pélagie Belomo Essono. Selon elle, « la "désécurisation" suppose une décomposition et une recomposition de l’ordre sécuritaire. La décomposition ne se conçoit pas comme le chaos. Elle est l’œuvre d’un système de magnificence et de mystification de la sécurité des dirigeants. Ceci suppose une expropriation, voire un détournement de la sécurité publique. La recomposition se détermine comme un éclatement de la sécurité. Ce qui implique un marché sécuritaire fait de l’offre et de la demande. Cette recomposition se caractérise également par l’existence d’un champ sécuritaire qui se compose d’acteurs publics, privés, internes et internationaux. L’usage du champ se traduit par l’existence d’interactions et de conflits en vue de la capitalisation des ressources économiques et sécuritaires. Le capital sécuritaire ressortit du contrôle et de l’imposition d’un ordre, et par conséquent induit de la puissance et de la domination. La dialectique entre "désécurisation" et nouvelle forme de gouvernance doit être appréhendée d’une part dans une logique de dualité entre la sécurité des dirigeants et l’insécurité des dirigés. D’autre part, cette nouvelle gouvernance sécuritaire laisse apparaître un champ où interfèrent plusieurs acteurs et des enjeux multiformes. » Lire Chantal Pélagie Belomo Essono, « Sécurité et ordre politique au Cameroun : entre dynamiques internes et connexions internationales », Revue africaine des relations internationales, Vol. 12, Nos. 1 & 2, 2009, pp. 56-57.

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affirmée d’adoubement de l’armée par le politique. Bien que planifiée par les gouvernants africains (du moins la plupart) pour une reproduction éternitaire ou pérenne du statu quo politique, cette « présidentolatrie »391 doublée du « glacis présidento-sécuritaire »392 relève plutôt de la structuration d’un « État mou »393 dont parle fort opportunément Myrdal Gunnar394.

La protection présidentielle et l’adoubement de l’armée par le pouvoir, articulation éclectique de la praxéologie sécuritaire, sont des facteurs prépondérants de la reproduction éternelle de plusieurs régimes africains, autocratiques pour la plupart. Dominique Bangoura, dans une autopsie générale, fait cette remarque : « Les dirigeants politiques préfèrent recruter des éléments fiables qu’ils peuvent contrôler et manipuler. De plus, les structures et les moyens manquent pour héberger, nourrir, former et équiper tous les jeunes gens en âge d’accomplir leur service militaire. »395 De ce fait, la règle qui prévaut pour le recrutement, et plus encore pour l’encadrement des forces armées africaines, est celle du clientélisme politico-ethnique.

Autant dire que la gouvernance sécuritaire laisse apparaître un processus hégémonique marqué par une domination et un clivage entre dirigeants et dirigés. Cela est consécutif à la fois de la caractérisation de l’« État mou » africain et de la crise néopatrimoniale. Cette dernière se manifeste par l’incapacité de l’État à fournir des prestations sécuritaires, à fabriquer des politiques en dehors de politiques coercitives ; en définitive à remplir convenablement les fonctions régaliennes qui sont les siennes. En conséquence apparaissent des acteurs sociaux qui œuvrent dans la production sécuritaire, plus ou moins garantie, avec l’avènement des sociétés privées de gardiennage. François Soudan396 explique cela par l’échec des armées africaines, car,

selon lui, la motivation et le sens de la mission sont les principales valeurs qui leur manquent.

391 Il s’agit, selon Hans De Marie Heungoup Ngangtcho, de l’adoration de la personne du Président. 392

A. Z. Tamekamta, « Cameroun : piliers de la présidence Biya et perspectives », Note de recherches (NDR), no 14, Thinking Africa (Abidjan), novembre 2014, p. 3 ; consultable sur www.thinkingafrica.org/V2/cameroun-piliers-de- la-presidence-biya-et-perspectives/

393 Un « État mou », selon Myrdal Gunnar, est un État caractérisé par : une absence de discipline qui se caractérise par des carences législatives ; l’absence d’obéissance aux règlements et directives édictés par l’autorité ; de fréquentes collusions entre cette autorité, les individus puissants et les groupes de personnes qu’elle devrait contrôler ; une fréquente tendance, dans toutes les couches de la population, à résister au contrôle de l’autorité publique et à ses voies et moyens.

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M. Gunnar, « L’État "mou" en pays sous-développé », Tiers-Monde, tome 10, n° 37, 1969, pp. 5-24.

395 D. Bangoura, « État et sécurité : des idéologies sécuritaires à l’insécurité ou l’incapacité de l’État à assurer ses fonctions de défense et de sécurité », p. 155 ; www.gemdev.org/publications/cahiers/pdf/24/ cah_24_Bangoura.pdf

396 F. Soudan, « Armées africaines : pourquoi sont-elles si nulles ? », www.Jeuneafrique.com, 17 décembre 2012 à 9 h 50.

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Au demeurant, les forces de défense et de sécurité centrafricaines (FACA), dans leur genèse et leur structuration, ne sont pas différentes des autres armées nationales, issues d’un mélange entre troupes coloniales et éléments indigènes. Calquée au départ sur le modèle de l’armée métropolitaine, l’armée centrafricaine s’est peu à peu déstructurée sous les différents régimes militaires et civilo-militaires qui se sont succédé à la tête de l’État. Le contrecoup regrettable, en dépit des textes réglementaires visant l’efficacité opérationnelle des FACA, a été finalement l’invention d’une armée de mouvement, peu investie de ses missions régaliennes de sécurité du territoire et de protection des institutions étatiques. Ayant sous-traité avec des acteurs privés, les FACA ont peu à peu constitué le talon d’Achille de la sécurité, de la stabilité, de la paix et du développement dans le pays. C’est pourquoi les conditionnalités et tensions liées à la démocratie post-guerre froide ont accru la vulnérabilité sociopolitique et institutionnelle de la Centrafrique.

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CHAPITRE II