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Le nouveau partenariat de la France avec les pays africains (dont la République centrafricaine) est centré sur la paix, la sécurité et la promotion d’un environnement politique stable et démocratique, et viserait, en théorie, à démanteler les 24 régimes militaires416 sur le continent en 1990. Ce principe référentiel contenu dans le discours de la Baule a été inscrit comme objectif fondamental, à l’article 1 de l’accord de Cotonou du 23 juin 2000. François Mitterrand, se voulant fraternel et solidaire de la situation économique de l’Afrique, dissipait imparfaitement son injonction et la conditionnalité démocratique en ces termes :

« Puis-je me permettre de vous dire que c’est la direction qu’il faut suivre ? Je vous parle comme un citoyen du monde à d’autres citoyens du monde : c’est le chemin de la liberté sur lequel vous avancerez en même temps que vous avancerez sur le chemin du développement. On pourrait d’ailleurs inverser la formule : c’est en prenant la route du développement que vous serez engagés sur la route de la démocratie. »

La référence à la démocratie comme élément central de la coopération entre la France et l’Afrique a été, plus tard, reprise par Jacques Chirac avec la même vigueur. Lors d’une allocution prononcée le 18 juillet 1996 à Brazzaville, devant le Parlement réuni en congrès, il déclarait :

« Nous n’avons pas à lui [à l’Afrique] donner de leçon de démocratie. Tout au plus pouvons-nous lui inspirer, lorsque c’est nécessaire, un désir de démocratie, lui montrer les voies qui s’ouvrent à elle et les progrès qu’entraîne naturellement l’ouverture démocratique […] La démocratie c’est un état d’esprit, ce sont des comportements, des réflexes. C’est le fruit d’un long apprentissage, celui de l’intérêt général, de la tolérance, de l’acceptation des différences. C’est le seul moyen d’être libre et le remède le plus honnête que l’on puisse opposer aux maux de la société. »

Lors de la conférence de presse clôturant les assises de la Baule, le 21 juin 1990, François Mitterrand, répondant à un journaliste, reprécisait sa pensée en ces termes : « L’aide

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En effet, on dénombrait : Algérie (Chadli Bendjedid), Bénin (Mathieu Kérékou), Burkina Faso (Blaise Compaoré), Burundi (Pierre Buyoya), Congo (Denis Sassou-Nguesso), Egypte (Hosni Moubarak), Éthiopie (Mengistu Hailé Mariam), Ghana (Jerry Rawlings), Guinée Conakry (Lansana Conte), Guinée Équatoriale (Teodoro Obiang Nuema Mbazogo), Liberia (Samuel Doe), Libye (Mouammar Kadhafi), Madagascar (Didier Ratsiraka), Mali (Moussa Traoré), Mauritanie (Maaouya Ould Taya), Niger (Ali Saibou), Nigeria (Ibrahim Babanguida), République centrafricaine (André Kolingba), Rwanda (Juvénal Habyarimana), Sierra Léone (Joseph Momoh), Somalie (Syad Barré), Soudan (Omar Hassan El Béchir), Togo (Gnassingbé Eyadema) et Zaïre (Mobutu Sesse Seko).

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traditionnelle, déjà ancienne, sera plus tiède en face des régimes qui se comporteraient de façon autoritaire, sans accepter l’évolution vers la démocratie, et elle sera enthousiaste pour ceux qui franchiront ce pas avec courage et autant qu’il leur sera possible. » Aussi, la méprise des réalités socioanthropologiques locales et la rigidité des oligarchies monolithiques a-t-elle hypothéqué l’espoir démocratique suscité en 1990.

En conséquence, aucun critère de mutation politique et aucun calendrier de mise en place des réformes n’ont été précisés, rendant illusoire et équivoque l’appropriation africaine des « injonctions » mitterrandiennes de la Baule. Ceci traduit l’inachèvement factuel du discours de François Mitterrand, qui déclarait : « J’ai naturellement un schéma tout prêt : système représentatif, élections libres, liberté de la presse, indépendance de la magistrature, refus de la censure. »417 L’échec des transitions démocratiques dans plusieurs pays africains (Gabon, Cameroun, Sénégal, etc.) ainsi que des conférences nationales, sorte d’initiation à la démocratie, ont plutôt donné lieu à un nouvel ordre constitutionnel différemment labellisé : marxisme-léninisme au Bénin et au Congo-Brazzaville ; libéralisme communautaire au Cameroun, etc.

Autant dire que les pressions françaises ont été absorbées par les dynamiques internes de l’Afrique, au rang desquelles l’impréparation des dirigeants et de l’élite politique, la tendance à la conservation des prébendes politiques et rentières. L’inflexion progressive dans le discours officiel des autorités françaises a démontré l’inanité de la démocratie conditionnelle. Ceci transparaît dans le discours assoupli de François Mitterrand, tenu à l’ouverture du 4e sommet de la Francophonie, à Chaillot, le 19 novembre 1991. Il déclarait : « Nombre de pays africains se sont engagés dans un vaste mouvement de réformes démocratiques. Chacun saura, j’en suis convaincu, fixer en toute indépendance les modalités et le rythme qui conviennent dès lors que la direction est prise. »418 Ainsi, la sévérité du discours d’antan a peu à peu cédé au charme des courtisans, dont Paul Biya, Président du Cameroun, a été un chantre, allant jusqu’à revendiquer officiellement, lors d’un échange avec la presse sur le perron de l’Élysée, le statut de « meilleur élève de François Mitterrand en matière de démocratie »419. Bruno Delaye, conseiller à la présidence de la République française (juillet 1992-janvier 1995), quelques années après la Baule, en tirait un bilan somme toute

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Discours de François Mitterrand à la Baule, le 20 juin 1990. 418

François Mitterrand, allocution à l’ouverture du 4e sommet de la Francophonie, à Chaillot, le 19 novembre 1991.

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élogieux : accès au multipartisme des 31 pays d’Afrique subsaharienne ayant participé au sommet, adoption de nouvelles Constitutions dans 17 pays africains et organisation d’une cinquantaine de consultations générales (référendums, élections législatives et présidentielles).

Or, en lieu et place des démocraties escomptées, des démocraties de façade et des démocratures420 se sont rigidement enracinées. Ainsi, l’inscription juridique de la démocratie pluraliste voulue en Afrique a révélé, au bout d’un éprouvant exercice fait de ruse et d’astuce, un kaléidoscope de réalités implacables : Constitutions taillées sur mesure, restauration autoritaire du parti au pouvoir, alternance impossible, règles électorales biaisées, reconversion des ex-dictateurs en néo-démocrates, etc.

En définitive, la démocratie issue de La Baule, une démocratie providentielle421, s’est vite accommodée des contours formels de la Françafrique. La fidélité renouvelée de la clientèle politique africaine envers la France a contraint François Mitterrand à diluer son discours. C’est pourquoi, a conclu plus tard Jean-François Bayart, la France « s’est montrée incapable d’opérer une synthèse entre sa nouvelle doctrine… et la dure réalité des faits, entre le passé et le présent, et enfin entre les différents pays de son précarré »422. Jean Lacouture en fait la conclusion sibylline suivante :

Cette séquence d’avril à juin 1990, qui aurait dû être celle de la décolonisation de la politique africaine de la France, se [muerait] tristement en blocage irrité du Président sur des questions en fin de compte conservatrices. Autant il [avait] su prendre, avec les ruses et les lenteurs inhérentes au pouvoir, son virage allemand ; autant il [manqué] ainsi sa conversion africaine423.

La fin de la charité internationale sans condition, conspuée par la France, a cédé la place à l’aide contre démocratie et à la prime à la démocratie. En outre, les corpus constitutionnels africains, en relation directe, organique et idéologique424 avec celles en vigueur en France, ne renvoyaient pas à la même réalité politique qu’en Occident. Car, la Constitution, en Afrique, est moins un moyen de cohabitation supportable qu’un instrument rationnel et normatif de

420 Il s’agit d’un régime politique qui n’est ni une démocratie, ni une dictature au sens classique du terme. Ce terme a été élaboré par M. Liniger-Goumax, La démocrature. Dictature camouflée, démocratie truquée, Paris, L’Harmattan, 1992.

421 Lire D. Schnapper, La démocratie providentielle. Essai sur l’égalité contemporaine, Paris, Gallimard, 2002. 422

J.-F. Bayart, « France-Afrique : aider moins pour aider mieux », Politique internationale, no 56, été 1992, p. 147, repris par M. Diaw, « Les relations franco-africaines : changement et continuité ? », Situation report (Institute for

Security Studies), 7 novembre 2008, p. 3.

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J. Lacouture, Mitterrand, une histoire de Français, Tome 2, Les vertiges du sommet, Paris, Seuil, 1998, p. 530, repris par G.-H. Lonsi Koko, Mitterrand l’Africain ?, Paris, Éditions de l’Égrégore, 2007, p. 94.

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Lire S. Bolle, « La conditionnalité démocratique dans la politique africaine de la France », Afrilex (Revue d’étude et de recherche sur le droit et l’administration dans les pays d’Afrique de l’Université Montesquieu), no 2, septembre 2001, p. 34, consulté sur www.afrilex.u-bordeaux4.fr/la-conditionnalité-democratique.html.

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gouvernance. En effet, les démocraties matrimoniales425 d’Afrique centrale sont sous l’autorité des chefs d’État, véritables monarques républicains, à la fois capitaines, arbitres, gardiens et garants des Constitutions426 qui changent au gré des saisons politiques427. C’est pourquoi, conclut Pierre Quantin, repris par Stanislas Yves Bédi Etekou428 : « La compétition (politique) voire électorale n’est qu’une façade derrière laquelle la circulation du pouvoir et de la richesse continue de s’effectuer selon les normes antérieures au changement des règles formelles. Les formules "démocratiques" adoptées sont ainsi vidées de leur substance en ce qui concerne l’alternance des dirigeants, la limitation. »429

SECTION II : L’IMPERATIF DE LA DEMOCRATIE