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La Libye, au départ sous colonisation italienne, a été placée, dès janvier 1943, sous administration militaire française et britannique par l’accord Montgomery-Leclerc. Ainsi, la France occupait la région désertique de Fezzan, tandis que la Grande-Bretagne prenait pied en Tripolitaine et en Cyrénaïque. Cette occupation, expression d’une mise à l’écart de l’Italie pendant la Seconde Guerre mondiale, a été confirmée par le traité de Paris du 10 février 1947, qui met fin à la domination italienne en Libye. Ce traité énonce que :

Les Gouvernements des États-Unis d’Amérique, de la France, du Royaume-Uni de Grande- Bretagne et d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques soviétiques socialistes conviennent de déterminer, par une décision prise en commun, dans un délai d’un an à partir de l’entrée en vigueur du Traité de Paix avec l’Italie portant la date du 10 février 1947, le sort définitif des possessions territoriales de l’Italie en Afrique, sur lesquelles l’Italie renonce à tous ses droits et titres en vertu de l’article 23 du présent Traité194.

Dès 1945, les revendications nationalistes libyennes, rejetées par la France, étaient devenues très vives. La position du général français Catroux, à ce sujet, était contenue dans un rapport en ces termes :

Il n’est pas contestable en effet que nos populations soient largement plus évoluées que celles de la Libye, et que la Tunisie et le Maroc soient des entités politiques séculaires organisées en États, alors que la Tripolitaine et la Cyrénaïque ne sont encore que des assemblages de tribus sans gouvernement propre et sans unité économique et territoriale. Serait-il possible de refuser à ces États l’indépendance qu’on consentirait à de simples provinces et de garder sous tutelle des pays peuplés, bien pourvus en ressources naturelles et déjà économiquement équipés, tandis qu’on libérerait des régions à populations clairsemées, désertiques et très incomplètement outillées ? Pour mon compte, je réponds par la négative, et comme je mesure d’autre part la force du courant qui porte depuis quelques années nos populations musulmanes

194 Traité de paix avec l’Italie, annexe XI, cité par Julien Genevois, « La France et le règlement du conflit libyen. 1945-1949 », Cahier Thucydide, no 13, juin 2013, p. 43.

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à réclamer l’indépendance, je suis convaincu que si — dans l’hypothèse considérée — nous la refusions, nous provoquerions des révoltes très lourdes de conséquences195.

En dépit des oppositions, la Libye est devenue indépendante en 1951, après une houleuse session de l’Assemblée générale de l’ONU du 21 novembre 1949. La résolution 289 (IV), qui en découlait, autorisait l’accession à l’indépendance de la Libye, après une infructueuse campagne française du « Non ». Maurice Couve de Murville, diplomate et homme politique français, à ce sujet, cachait à peine son amertume dans un discours, en ces termes :

L’indépendance véritable est chose fort respectable et enviable. L’apparence de l’indépendance est chose fort différente, marquée en général par l’arbitraire ou par les interventions de l’étranger. Le but de la résolution pour la Libye, c’est la réalité de l’indépendance dans l’ordre et le respect de soi-même. La France y est intéressée directement parce qu’elle est voisine de la Tripolitaine et du Fezzan et qu’elle ne redoute rien de plus que le désordre à ses portes. Elle y est intéressée plus encore parce qu’il s’agit d’une décision des Nations Unies et que nous sommes passionnément attachés au succès de notre Organisation. Elle est enfin intéressée, peut-être surtout, au succès d’une expérience qui engage l’avenir de plus d’un million d’êtres humains. (…) Les opinions des quatre enquêteurs coïncident entièrement, à savoir qu’aucun des territoires qui constituaient le domaine colonial de l’Italie n’est prêt pour l’indépendance, qu’il s’agit de territoires pauvres, incapables de se suffire à eux-mêmes et dont l’éducation politique est rudimentaire. (…) En ce qui concerne la délégation française, elle sera amenée dans le vote final à s’abstenir sur l’ensemble de la résolution. Mais, conformément aux engagements qu’il a pris dans le traité de paix avec l’Italie, le gouvernement français acceptera le verdict des Nations Unies et apportera tout le concours qui sera requis de lui196.

Contrainte d’accepter l’indépendance de la Libye, la France a dû faire plein emploi de ses services secrets pour contrecarrer, à partir de sa mobilisation politico-militaire au Tchad, le déploiement stratégique et les ambitions annexionnistes de la Libye au nord du Tchad. La France, dans ce registre, a joué un grand rôle politique et militaire, à la fois salvateur et belligène, autant que d’autres pays. Jusqu’en 1990, la France avait mené cinq interventions militaires souvent compromettantes au Tchad. En 1968, face à la menace rebelle du FROLINAT (Front de libération nationale) qui contrôlait déjà la bande d’Aouzou, François Tombalbaye dut faire appel à la France. En avril 1969, Paris avait envoyé plus de 2 500 hommes dans le cadre du combat contre les rebelles du Nord. Après le putsch de 1975 et face à la menace des FAN (Forces armées du Nord), le général Félix Malloum, qui reprochait aux Français de négocier directement avec les rebelles pour la libération de Mme Claustre, normalisa ses relations avec Paris. Sur sa demande, est déclenchée le 4 février 1978 l’opération « Tacaud », suivie de

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Général Catroux, note sur les colonies italiennes, 17/09/1945, in Documents diplomatiques français, 1er juillet - 31 décembre 1945, Paris, PUF, 2000 repris par Julien Genevois, « La France et le règlement du conflit libyen. 1945- 1949 », Cahier Thucydide, no 13, juin 2013, p. 28.

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l’opération « Manta » qui s’achève le 7 novembre 1984. En février 1986, l’opération française « Épervier » apporte une aide substantielle, permettant à Hissène Habré de faire face à la force militaire libyenne au nord du Tchad197.

Pendant que la France soutient officiellement des régimes tantôt rebelles, tantôt d’union nationale, la Libye s’est déployée dans le nord du Tchad, soutenant militairement198 Goukouni Ouaday. Autour de ces deux pays étrangers sont venus se greffer d’autres pays soutenant l’un ou l’autre des belligérants. Jusqu’à sa défaite en 1982, bien qu’ayant continué les combats dans le désert du Nord, Goukouni Ouaday a bénéficié de l’aide matérielle et morale de l’Algérie, de l’Éthiopie, du Zimbabwe, du Congo, du Nigeria et du Bénin199. Hissène Habré, allié stratégique de la France, bénéficiait de l’appui du Soudan, d’Israël, de l’Égypte et des États- Unis200. Quoi qu’il en soit, ces alliances ainsi que les différents accords conclus à Kano en 1978 et 1979 n’ont pu arrêter la saignée au Tchad. Ni la méditation des Présidents Dénis Sassou- Nguesso, Omar Bongo et Gnassingbé Eyadema n’a fait prévaloir un règlement politique, ni la force interafricaine de maintien de la paix de l’OUA en 1981 n’a stoppé la logique guerrière201. Le renseignement français à partir de Bangui a ainsi joué, accessoirement, un rôle déterminant dans le déploiement stratégique de la France au Tchad.