• Aucun résultat trouvé

Le changement de dénomination du pays est l’œuvre de Barthélemy Boganda. En effet, l’appellation « Oubangui-Chari » découle des ajustements territoriaux de 1910, lors de la création de l’AEF. En 1958, l’Oubangui-Chari164 est devenu République centrafricaine (RCA).

Né le 9 avril 1910 à Bobangui dans la Lobaye, Boganda est accueilli en 1921 par le père Herriau165, qui l’emmena à Betou. Brillant élève, il fut transféré plus tard à la mission Saint-Paul de Bangui, où il fut baptisé le 24 décembre 1922 et confirmé le lendemain. Il reçut le prénom de Barthélemy et rêvait de devenir prêtre. Jusqu’en 1932, il effectue des études à Brazzaville, auprès des spiritains français, et à Kisantu auprès des jésuites belges. Retourné à Bangui, il est ordonné prêtre le 17 (27 selon certaines sources) mars 1938 à la cathédrale Notre-Dame de Bangui.

Une fois baptisé, Barthélemy Boganda s’est fait son opinion de l’avenir sacerdotal, en ces termes :

Le 24 décembre 1922, je devenais chrétien. J’avais douze ans. Être chrétien signifiait pour moi s’émanciper des coutumes ancestrales, devenir frère de l’humanité. J’ai été tellement déçu depuis. Le 25 décembre, après la première communion et la confirmation, je me présentai chez Mgr Calloc’h pour lui exprimer ma volonté de faire tout ce qui dépendait de moi, de me soumettre à toute sorte de discipline, pour pouvoir, un jour, sortir mon pays et mes frères de la situation où ils se trouvaient. Une seule porte pouvait m’être ouverte rendant possible cet

164 Cette appellation fait référence à deux grands fleuves qui coulent dans le pays : l’Oubangui à la frontière Sud et le Chari au Nord.

165

Le Père Gabriel Herriau (1885-1965), envoyé par le préfet apostolique, Mgr Grandin, pour parcourir le sud du Tchad du 13 août au 8 octobre 1928, à la recherche d’un point propice pour l’ouverture d’une mission catholique, a fondé (en compagnie de Simon Takouba et Pierre Ngoumani, deux catéchistes centrafricains) la Mission Sainte- Thérèse de l’Enfant Jésus, à Kou, le 29 mars 1929.

57

idéal : le sacerdoce. Encore, je n’en étais pas sûr, n’ayant jamais entendu dire qu’il existait des prêtres de ma couleur. Je me hasardai : « Monseigneur, je veux travailler pour mon pays et mes frères. » Il connaissait déjà mes idées et mes dispositions. La réponse fut sèche : « C’est dur et c’est très long ». J’ai timidement répliqué : « Je serai dur pour moi-même et je mettrai les bouchées doubles. » Et je le fis.166

Les raisons de la rupture de Barthélemy Boganda avec la hiérarchie catholique sont nombreuses et peuvent se résumer en ces termes : « Le christianisme, propagé par les missionnaires à l’époque coloniale, qui contribua largement à asseoir l’hégémonie française et la puissance coloniale, possédait sa propre contradiction interne : la parole salvatrice se trouvait minée de l’intérieur par l’ethnocentrisme et la domination du Blanc. L’attitude du clergé missionnaire à l’égard de la culture africaine fut faite d’incompréhension, de mépris et de rejet de la culture autochtone. »167 Pendant ces huit années de sacerdoce, notamment à la mission Saint-Paul des Rapides de Bangui (durant cinq ans) et dans l’Ouaka, Boganda s’est inspiré des instructions du Pape Benoît XV, contenues dans une lettre intitulée Quo Efficacius :

Les missionnaires veilleront à éviter d’introduire parmi les populations en cours d’évangélisation les lois et usages particuliers à leur patrie personnelle [...]. Ils auront grand soin au contraire qu’en tout et partout ce soit la discipline ecclésiastique telle qu’elle est en vigueur dans l’Église universelle qui soit introduite et fidèlement observée. Les missionnaires auront également souci de bannir toute idée de préparer la voie parmi les populations qui leur sont confiées à une pénétration politique de leur nation, afin de ne pas passer pour rechercher le bien de leur patrie terrestre, non celui de Jésus-Christ et du royaume céleste.168

Compte tenu des dispositions psychologiques du peuple oubanguien, marqué par plusieurs décennies de répression fiscale et de violences physiques, Boganda, l’une des milliers de victimes collatérales, s’était fait une idée de sa mission sacerdotale : l’évangélisation par l’école et l’école pour l’évangile. C’est à Grimari, où ses activités sacerdotales étaient très intenses et appréciées de la population (messes, confessions, catéchismes, animations diverses, création des plantations de manioc et de bananes, création d’ateliers de fabrication de meubles en rotin, etc.) que vint sa déchéance, orchestrée par l’« administrateur-Dieu », chef de la subdivision de Grimari et vicaire général, le père Hemme. Ce dernier réussit, de façon arbitraire, à l’affecter à Bangassou, contre le souhait de Monseigneur Grandin, évêque de Bangui. Dès lors, les rapports de Boganda avec le père Hemme, la congrégation des Spiritains

166 Barthélemy Boganda, repris par P. Kalck, Barthélemy Boganda, 1910-1959, élu de Dieu et des

Centrafricains, Saint-Maur-des-Fossés, Éditions Sépia (« Sépia poche »), 1995, p. 43.

167

C. Kinata, « Barthélémy Boganda et l’Église catholique en Oubangui-Chari », Cahiers d’études africaines 3/2008, n° 191, p. 553, www.cairn.info/revue-cahiers-d-etudes-africaines-2008-3-page-549.htm.

168 Instruction « Quo Efficacius » de Benoît XV du 6 janvier 1920, citée par M. Merle, (dir.), Les églises chrétiennes

58

ainsi que la hiérarchie catholique, devinrent très tendus jusqu’à sa suspension169, le 25 novembre 1949, par Mgr Cucherousset170, évêque de Bangui. Dans une lettre-réplique, Boganda écrira :

La vraie cause, c’est l’esprit dominateur et esclavagiste de votre congrégation, c’est votre racisme, c’est le fait que vous vous êtes joints à nos oppresseurs pour nous maintenir dans l’ignorance et nous exploiter ; ce sont les scandales nombreux que je vous ai dénoncés ; la vraie cause enfin et toute personnelle celle-là, est le mensonge du Père Hemme me déplaçant de Grimari en me disant qu’il s’agissait d’une décision de l’Évêque ; c’est le Père Morandeau qui m’a volé à Grimari ; c’est Mgr Grandin qui m’écrivait : le Noir n’est pas susceptible d’amélioration ; ce sont les pères de Mbati qui ont raconté à Messieurs F. Serrand et R. Chevalier que les Noirs étaient menteurs, voleurs, paresseux, qu’il n’y avait rien à faire avec eux… J’ai été suspendu par mesures politiques, racistes et arbitraires beaucoup plus que religieuses. Et vous avez ainsi fait le jeu du colonialisme et de la réaction dont nos missions ont toujours été, hélas, le plus ferme bastion. Vous avez été prompt à me frapper de peines canoniques que j’ai d’ailleurs méritées, je l’avoue encore une fois. Mais la responsabilité m’en incombe-t-elle entière ? Si dans nos missions on ne m’avait pas exaspéré par des attitudes, des injustices, des injures dont « sale cochon de nègre » n’est qu’un exemple entre mille, je n’aurais peut-être jamais songé à vivre avec une Française de la métropole pour contrarier mes confrères racistes et ils sont légion.171

En clair, les sujets sur lesquels Barthélemy Boganda ne s’entendait pas avec l’église étaient légion. Outre les sujets de prêche et les interdits de l’Église catholique implantée en Oubangui-Chari (qu’il transgressait au nom de son peuple), il considérait le célibat des prêtres comme une simple loi humaine et non une prescription irréversible de la Bible :

Le Bon Dieu ne nous récompensera pas pour avoir fait des vœux ou fait semblant de les pratiquer. J’estime qu’il est plus digne de vivre avec une femme, que de faire un vœu auquel on manque constamment. Car le peuple aéfien n’est pas dupe ! Nul n’a jamais cru à notre chasteté et il y a certainement plus de scandale à accrocher une femme souvent à l’occasion du ministère de la confession que d’en avoir chez soi, officiellement, au vu et au su de tous.172 

Il décide ainsi de briser le vœu de chasteté en se mariant le 13 juin 1950 devant l’officier d’état civil de Montmorency avec Michelle Jourdain, sa secrétaire. Ainsi, il se retire du sacerdoce sans se retirer de l’Église. Car, dans la réponse à la lettre de sa suspension du 1er décembre 1949, il écrivait : « Pour moi, l’habit ne fait pas le moine, la soutane ne fait pas l’apôtre ni le prêtre. Je reste l’apôtre de l’Oubangui et de l’Église. »173

169

Cette suspension supposait qu’il ne devait ni exercer ses fonctions sacerdotales en public, ni porter de soutane. 170

Après la mort accidentelle de Gradin en 1947, il est remplacé par Cucherousset comme évêque de Bangui. 171 Lettre de Barthélemy Boganda à Mgr Cucherousset, reprise par J.-D. Penel, Barthélemy Boganda, écrits et

discours. 1946-1951 : la lutte décisive, Paris, L’Harmattan, 1995, pp. 241-242.

172 Ibid. 173

Ibid. Pour plus de détails, lire B. B. Siango, Barthélemy Boganda, premier prêtre oubanguien fondateur de la

République centrafricaine, Pierrefitte-sur-Seine, Bajag-Meri, 2004 ; C. Kinata, « Les Administrateurs et les

59