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La présence d’une armée coloniale française structurée en Afrique remonte à la fin de la pacification ; c’est-à-dire après la guerre de 1914-1918. Cela était d’autant plus urgent que les territoires d’outre-mer de la France et la métropole totalisaient une proportion démographique de près de 100 millions d’individus, selon les propos du général Mangin, grand officier et recruteur de la Force noire315.

Auparavant, pendant la période préliminaire de conquête et d’établissement de l’autorité française dans l’Afrique, des essais réussis ont été faits. Ainsi, sur sa demande, le commandant et gouverneur militaire du Sénégal, le général Faidherbe — convaincu de l’hostilité du climat et des maladies tropicales sur la troupe française — a obtenu, par décret impérial du 21 juillet 1857, le recrutement des tirailleurs sénégalais. Les procès-verbaux du Conseil supérieur de la guerre du 8 novembre 1872 et 28 février 1874 en ont dessiné les contours. Le premier procès-verbal, celui du 8 novembre 1872, contient la demande interrogatoire du général de division, duc d’Aumale, en ces termes : « Est-ce qu’il ne conviendrait pas qu’un des corps d’armée prît le nom de corps d’outre-mer et fût composé de zouaves, tirailleurs indigènes, troupes de la marine et de toutes les troupes, en un mot qui occuperaient les colonies et l’Algérie et où les troupes de ligne ne seraient plus employées en temps ordinaire ? »316

Par la suite, le premier et seul régiment a été créé en 1884 et est devenu, en 1900, le premier régiment de tirailleurs sénégalais. Mais le premier contingent de tirailleurs sénégalais, constitué uniquement des Noirs, a été formé par le commandant Archinard en 1891. Cette force lui a permis de mettre pied en terre africaine, du Niger à Tombouctou. Toutefois, la généralisation du recrutement des troupes noires est subséquente non seulement à la constitution, dès 1895, de l’AOF, mais surtout à l’incidence de Fachoda317 du 18 septembre

315 Pour un aperçu plus détaillé, lire M. Michel, « Colonisation et défense nationale, le général Mangin et la Force noire », Guerres mondiales et conflits contemporains, no 145, janvier 1987, pp. 29-30.

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La Défense sous la IIIe République, t. I : Vaincre la défaite, 1872-1881, documents présentés par le Pr Guy

Pedroncini, SHAT/IHCC, 1988, p. 400, repris par Ch. Antier, « Le recrutement dans l’empire colonial français, 1914- 1918 », Guerres mondiales et conflits contemporains 2/2008, n° 230, p. 25.

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1898318. Ainsi, le décret du 9 octobre 1915, commis pour mobiliser les indigènes de 18 ans, a officialisé le « recrutement volontaire, non forcé et méthodique des indigènes de nos colonies. Mais l’âge du contractant sera apprécié approximativement ». Par la suite, le décret du 19 juillet 1919 a rendu obligatoire le service militaire en Afrique noire française.

La participation de l’Afrique aux deux guerres mondiales est indéniable. Plusieurs décennies avant la guerre de 1914-1918, les Européens ont recruté et mis en place des troupes « indigènes », certes équipées et entraînées pour le combat, mais au départ affectées à des tâches subalternes de maintien de l’ordre dans les colonies. Un large débat s’est ouvert en France en 1902, lorsque le ministre français, Gaston Doumergue, alors président du Comité consultatif de défense des colonies, a ordonné la création des « réserves indigènes », dont la mission serait de former une force militaire susceptible de servir d’appui à une action militaire extérieure. Le colonel français Mangin319 s’est chargé de mettre en exécution ce projet, notamment en sillonnant l’AOF, dès 1910, pour constituer ce qu’il a appelé la « force noire ». Ainsi, la France a pu mobiliser, avant les hostilités, près de 16 000 « volontaires » et 50 000 entre 1915 et 1916. Les Britanniques, en revanche, après maintes hésitations320, ont autorisé par décret de 1915 le recrutement dans les colonies de l’Afrique orientale (15 000 hommes au Nyassaland, 10 000 en Ouganda, etc.).

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, contrairement au conflit précédent, l’Afrique n’a pas été épargnée par la bataille. Les facteurs se sont conjugués, dès le début de la guerre, mais plus encore à partir de juin 1940. Les assauts de l’armée allemande en Europe et le projet hitlérien (Mittelafrika) de reconquête de l’Afrique noire ont pu affaiblir les puissances coloniales présentes en Afrique. Le coup de massue demeure la capitulation française, symbolisée par la communication (17 juin 1940) du maréchal Philippe Pétain, annonçant son intention de signer avec l’Allemagne l’armistice, qui est intervenu le 22 juin 1940 à Rethondes. Les puissances coloniales, à deux reprises, se sont tournées vers leurs empires pour y puiser les appuis stratégiques, militaires et économiques qui leur faisaient défaut. La France libre de Charles de Gaulle, portée depuis Londres par l’homme du 18 juin 1940, a demandé et obtenu

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Ce jour, 20 000 Anglais sous la conduite de Lord Kitchener, remontant le Nil, croisent une expédition française (huit gradés et 250 tirailleurs sénégalais) sous commandement de Jean-Baptiste Marchand. Frôlant in extremis une confrontation brutale, Français et Anglais signeront une entente cordiale le 8 avril 1904.

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Mangin, La Force noire, 1910, cité par E. M’Bokolo, (sous la dir.), Afrique noire. Histoire et civilisations du

XIXe siècle à nos jours, Paris, Hatier-AUF, 1992, p. 332.

320 La chambre de Londres s’est opposée au tout début à l’idée de la constitution des soldats indigènes, prétextant qu’ils étaient peu entraînés, peu enclins à tuer, incapables de supporter le climat de l’Europe…

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des adhésions massives321. C’est ainsi qu’« en 1914, près de 200 000 soldats sont stationnés en outremer, dont 140 000 en Afrique du Nord et 60 000 répartis dans les autres colonies. Sur cet ensemble, les indigènes représentent 100 000 hommes, dont 33 000 Algériens, 9 400 Marocains, 7 000 Tunisiens, 24 000 Noirs de l’AOF, 6 000 Noirs de l’AEF, 14 000 Annamites et 6 300 Malgaches »322. Au total, entre 1914 et 1945, plus de 250 000 soldats ont été recrutés dans les colonies africaines de la France, 146 000 en Afrique de l’Ouest britannique, 280 000 en Afrique de l’Est britannique et 137 000 en Afrique du Sud323. De même, l’Afrique a servi de point stratégique (allusion non exhaustive faite à l’Afrikakorps du général allemand Rommel en Afrique du Nord) et de point d’approvisionnement des troupes en mines et en aliments divers.

Il faut comprendre ce prélèvement, parfois excessif, d’Africains pour des fins de constitution de l’armée indigène, par une volonté métropolitaine d’exiger un retour sur « investissement » en Afrique. Ceci a d’ailleurs été révélé par Adolphe Messimy, député de la Seine, dans une déclaration dans le journal Le Matin : « L’Afrique nous a coûté des monceaux d’or, des milliers de soldats et des flots de sang ; l’or, nous ne songeons pas à le lui réclamer. Mais les hommes et le sang, elle doit nous le rendre avec usure. »324