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Mettre en regard les discours scientifiques

PARTIE II – ABORDER LA RELATIVITE DU SENTIMENT D’URBANITE

Chapitre 4 – Une approche théorique complémentaire

I. Faire discuter des chercheurs sur l’urbanité

2. Mettre en regard les discours scientifiques

i. Une grille d’entretien constituée de trois blocs thématiques

Ces entretiens ont permis de recueillir 25 heures et 41 minutes d’enregistrement, pour des entretiens de 1h12 en moyenne. 19 entretiens sur 21 ont pu être exploités de manière satisfaisante. Certains sont assez brefs, moins d’une heure, d’autres sont beaucoup plus longs, plus d’une heure quarante-cinq. Mais tous ont été réalisés à partir de la même base et du même guide d’entretien. Cette grille d’entretien s’articulait autour de 11 questions réparties en 3 grands blocs thématiques. Un premier bloc centré sur le terme d’urbanité en lui-même, un second bloc associé au possible caractère opératoire du terme urbanité et un troisième bloc associé à des liens théoriques entre cette notion d’urbanité et d’autres thématiques urbaines. Les numéros indiquent ici l’ordre dans lequel les questions étaient posées, la question 11 étant la dernière posée mais relève bien du premier bloc thématique.

Premier bloc thématique : Représentation de l’urbanité :

1- Qu’évoque pour vous la notion d’urbanité ? (1a) Comment la définiriez-vous en 5 mots ? (1b)

2-Est-ce que cela évoque des lieux ou situations spécifiques ? Lesquel-le-s ? 3- Comment l’étudiez-vous ? Pourquoi ?

11-Pourriez-vous me citer 2 ou 3 auteurs clé (ou textes faisant référence) sur la notion d’urbanité ?

Deuxième bloc thématique : Comment rendre cette notion « opérationnelle » :

4-Comment la rend-on opérationnalisable (autrement dit comment l’observer, l’éprouver dans la recherche urbaine) ?

5-Quels indicateurs imaginez-vous ?

Troisième bloc thématique : L’urbanité face aux évolutions des sociétés contemporaines : 7- Comment envisagez-vous le rapport urbanité/mobilités ?

8- Comment envisagez-vous le rapport ruralité/urbanité ?

9- Comment envisagez-vous le rapport urbanité/virtualité (numérique)? 10-Comment envisagez-vous le rapport urbanité/société ?

Chacun des trois blocs thématiques permet d’envisager les thématiques fondamentales autour de la question de l’urbanité :

 La question théorique de sa définition même et de la représentation du terme chez les chercheurs, qui est fondamentale ici dans la mesure où le terme d’urbanité pouvait recouvrir des réalités conceptuelles différentes selon les chercheurs.

 La question du caractère opératoire de la notion, et par conséquent de sa mesure potentielle.

 La question du lien entre cette notion et d’autres grandes notions traversant le champ des sciences sociales aujourd’hui. D’autres grandes notions qui peuvent, par certains aspects, être complémentaires de cette notion d’urbanité et sur lesquelles se concentre aussi un certain nombre de travaux au sein des sciences sociales travaillant sur la question urbaine.

La construction de ces trois blocs thématiques s’inscrit aussi dans la lignée des grands débats théoriques touchant à cette notion d’urbanité et que nous avons évoqués dans une première partie.

Les entretiens avec les chercheurs dans le cadre suédois étaient basés sur la même grille d’entretien, traduite en anglais comme suit.

First block - Urbanity representation :

1 - What evokes the word urbanity for you? How would you define it in five words? 2 - Does it evoke specific places or specific situations? Which ones?

3 - How do you study it? Why?

11 - Could you quote me two or three key authors (or reference texts) on the topic of urbanity? Second block - How to operate the notion of urbanity :

4 - How can it be operating (how to observe it in urban studies)? 5 - What indicators can you imagine?

6 - Evoke the idea of “shades of urbanity” (“gradient d’urbanité”). What do you think about this idea? Is some ideas like that exist in Sweden?

7 - What do you think about the relationship between urbanity and mobilities? 8 - What do you think about the relationship between urbanity and rurality?

9 - What do you think about the relationship between urbanity and virtuality (in a numeric sense)?

10 - What do you think about the relationship between urbanity and society?

Il est intéressant de noter quelques éléments généraux sur le contexte suédois avant d’aller plus loin dans l’analyse des résultats de ces entretiens. D’abord, il faut noter que la plupart des débats qui agitent le champ des études urbaines en France, notamment la question de la quantification de l’urbanité et donc des gradients d’urbanité, n’existe, pour ainsi dire pas, dans le champ des études urbaines en langue anglaise. La question principale de débat dans ce champ linguistique est la question de l’urbain global, de ses implications et de sa réalité (Brenner, 2014, Brenner, Schmidt, 2015, Merrifield, 2014). Ce qui fait que certaines questions de la grille d’entretien en anglais sont un peu « tombées à plat » dans la mesure où les chercheurs étaient incapables de répondre à une question dont ils ne maîtrisaient pas véritablement les tenants et les aboutissants (Q4, Q5, Q6). Il est aussi à noter que, par le biais d’Erik Clark, qui était notre référent au département de Géographie de Lund, nous avons rencontré un certain nombre de chercheurs se déclarant ouvertement d’une approche marxiste, soit une tendance pas forcément représentative des chercheurs anglophones. Toutes les questions n’étant pas nécessairement pertinentes, a posteriori, dans le cadre de ces entretiens avec les chercheurs suédois, seules les intéressantes ont été traitées. Soit la question 1 sur la définition de l’urbanité, les questions sur son opérationnalisation et la question des références mobilisées par les chercheurs (question 11).

ii. Une méthode d’analyse à la croisée d’approches qualitatives et

quantitatives

Certaines questions permettaient ici d’extraire des réponses hiérarchisées dans le discours des chercheurs, notamment les questions 1, 2, 5 et 11. La méthode de collecte, basée sur la recherche de représentations sociales associées au terme urbanité, s’inspire des techniques de recueil des représentations sociales souvent mobilisées en psychologie sociale. Pour ces questions précises, l’ordre d’apparition des réponses est un indicateur d’analyse du discours qui permet, selon la méthode structurale des représentations sociales (Vergès, 1992), de procéder à une analyse en termes de fréquences et de pondération des termes associées aux mots inducteurs mobilisés dans la question. Cette méthode, associée à un codage thématique des réponses (sur lequel on reviendra) a permis de faire ressortir des fréquences avec lesquelles certains termes ou idées

étaient citées. En nous inspirant librement de la méthode proposée par les auteurs de la théorie du noyau central (dont Vergès, 1992) pour analyser la structure centrale/périphérique des représentations sociales, nous avons pu mettre en lien la fréquence et le rang de citation des réponses des chercheurs. Ce qui donne une fréquence classique, mais aussi une fréquence cumulée, un rang moyen et une fréquence moyenne. Il faut préciser ici que cette méthode est utilisée de manière préférentielle sur des échantillons plus importants, et qu’il peut sembler surprenant d’utiliser cette méthode sur des échantillons aussi réduits. Nous assumons néanmoins ce parti pris, il s’agit ici de s’inspirer de cette méthode, non de produire une véritable analyse « prototypique » (du noyau central) des représentations.

Pour la question de savoir ce qu’évoque l’urbanité pour les chercheurs, cette analyse nous donne le tableau suivant (cf. tableau 5). Il faut préciser que l’analyse proposée dans le tableau ci- dessous est basée sur des catégories thématiques qui sont issues d’une première analyse de contenu des réponses.

Tableau 5 : analyse des réponses à la question « Qu’est-ce qu’évoque pour vous la notion d’urbanité ? Comment la définiriez-vous en 5 mots » ?

Rang 1 Rang 2 Rang 3 Rang 4 Rang 5 Fréquence Fréquence Cumulée Rang Moyen (R) Fréquence Moyenne (F) Diversité - sociale - commerciale etc 2 3 3 0 0 8 31 3,88 10,13 Rien - pas de sens 2 0 1 0 0 3 13 4,33 3,8 Interactions - lieux d'interactions 7 7 3 2 3 22 79 3,59 27,85 Mouvement 0 0 2 4 4 10 18 1,8 12,66 Densité 4 1 0 1 1 7 27 3,86 8,86 Qualité de vie - comme construction historique 5 4 4 5 1 19 64 3,37 24,05 Morphologie - façon de construire la ville 0 3 1 1 0 5 17 3,4 6,33 Total réponses (comprenant les non classé) 20 18 15 14 12 79 257 3,46 13,38 79 (dont 74 classées)

Selon l’approche structurale des représentations sociales, ce type d’analyse permet de faire émerger une structure à plusieurs niveaux, de représentation sociale sur un « objet thématique » à enjeux.

- Ce qui est au centre des représentations sociales, ce qui en constitue le noyau central. Cette partie est alors associée (d’après les théories structurales de la représentation sociale) à qui est le plus stable, le plus ancré et donc proches des normes et valeurs d’un groupe social donné.

- Et ce qui est au contraire le plus périphérique, renvoie à des éléments plus soumis aux effets de mode notamment ou aux effets de conjoncture, plus contextualisés voire individualisés (Vergès, 1992 et 1994, Abric, 1994, 2003). Cette logique se base sur un croisement du rang et de la fréquence moyenne (les deux colonnes les plus à droite du tableau de la figure 2 ci-dessus). Les éléments dits « centraux » sont les termes dont la fréquence et le rang sont supérieurs à la fois au rang moyen (R) et à la fréquence moyenne (F).

- A l’inverse, les termes associés sont dits « périphériques » quand leur fréquence et rang de citation sont inférieurs au rang moyen (R) et à la fréquence moyenne (F). Par exemple pour la question 1 « le mouvement ». Les termes périphériques « expriment le fréquent, parfois l’exceptionnel, mais jamais l’anormal » (Moliner, 1992, p.326).

Ainsi une valeur seuil calculée permet de distinguer les éléments du noyau central des éléments des zones périphériques, autrement dit de nuancer valeurs et normes sociales (NC) et valeurs plus individualisées et contextuelles (cf. tableau 6).

Tableau 6 : exemple de résultats de l’analyse fréquence rang101

Rang Moyen >3,46 Rang Moyen <3,46 Fréquence Moyenne

>13,38

Interactions, lieux d'interactions

Qualité de vie, Urbanité comme construction historique

Fréquence Moyenne <13,38

Diversité sociale, commerciale etc. - Rien, pas

de sens - Densité

Mouvement - Morphologie, façon de construire la ville

101 Dorénavant, et pour tous les exemples de présentation de résultats issus de la méthode fréquence/rang, la

Fréquence Moyenne sera notée FM et le Rang Moyen sera noté RM. Pour le rang moyen comme pour la fréquence moyenne, le chiffre indiqué est une moyenne. Le terme en gras dans le tableau est l’élément le plus central et le plus structurant émergeant du discours des individus.

Ainsi, et pour l’exemple de la question 1, ce qui semble ressortir en premier comme élément central et normatif des représentations liées à l’urbanité ce sont les interactions. La question du mouvement et de la morphologie apparaissent, eux, comme périphériques. Dans cette optique, l’urbanité est perçue de manière normative par les chercheurs comme une manière d’être générant des interactions dans des lieux d’interactions donnés. Alors que le mouvement et les aspects morphologiques relèveraient plus d’appréhension individuelle de l’urbanité, par exemple en fonction des centres d’intérêts majeurs de recherche des chercheurs interrogés. Il nous a particulièrement intéressé de croiser les résultats des questions qui étaient centrales dans notre grille d’entretien. Donc les questions 1, 2 et 11 sur la question de la représentation et les questions 5 et 6 sur la question du caractère opératoire de la notion.

II. Une urbanité relative dans le discours des