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Mesures d’impact et tentatives de restauration.

La guerre du Darfour et l’aggravation des tensions

C. Mesures d’impact et tentatives de restauration.

Cela fait partie des obligations du HCR et des ONG partenaires, qui « s’engagent à ce que soit évalué sans tarder l’impact de la présence [des réfugiés] sur la zone dans laquelle ils se trouvent et à ce que des mesures soient prises en temps voulu pour minimiser les effets négatifs de cette présence sur l’environnement et la population de l’endroit »1. Obligation

respectée : une mission HCR rend dès mars 2004 les conclusions d’une première étude environnementale. A quoi bon, puisque ses recommandations – déplacer les camps du nord de 200 à 300 km vers le sud ; ou, comme c’est impossible, ne pas dépasser l’effectif de 6000 réfugiés par camp au nord – ne seront pas suivies ? Le mérite de cette étude est de prévoir les destructions à venir. Autour des camps de Touloum, Iridimi, Milé et Kounoungou, la quantité de bois disponible est évaluée à 1 à 3 m3 par hectare. Si l’on considère qu’une personne utilise

½ m3 de bois par an en zone sahélienne, 10 000 personnes (un effectif déjà dépassé dans

chacun de ces camps en août 2004) provoquent le déboisement de 1600 à 5000 ha par an. Et si elles sont amenées à rester plusieurs années… L’étude préconise en conséquence d’identifier des zones où collecter du bois, d’élaborer un programme de reboisement privilégiant « une approche participative » et de vulgariser la production et l’utilisation des foyers améliorés2.

Ces missions reviennent aux ONG chargées de la gestion des camps et à celles dont la vocation est spécifiquement environnementale. Action for Greening Sahel (AGS) est une ONG japonaise présente dans la zone centrale, à Adré, Farchana et Hadjer Hadid. Elle fait partie des « partenaires » du HCR auxquels sont confiées les pépinières créées dans chaque camp en vue du reboisement. 20 000 plants de Balanites aegyptiaca, d’acacias, de Calotropis procera, de nimiers, de jujubiers, de Prosopis, et d’arbres fruitiers (papayers, manguiers, citronniers, goyaviers) sont élevés avec soin dans chaque pépinière par un personnel spécialisé avant d’être confiés aux réfugiés, aux populations locales et aux organisations humanitaires. Plutôt que d’un « reboisement », qui supposerait qu’au moins 100 arbres soient replantés par hectare, il est plus juste de parler d’une « plantation d’arbres ». Dont les résultats sont incertains. Parce qu’ils dépendent à la fois des disponibilités en eau, et de la bonne volonté des uns et des autres. Comment peut-on espérer que les réfugiés consacrent le peu d’eau dont ils disposent au nord à l’arrosage des plants ? Et ailleurs, peut-on garantir que

1 HCR, Partenariat : Un manuel de gestion des opérations pour les partenaires du HCR, Appendice A1, V, 15,

mars 2004.

2 Compte-rendu de la réunion de présentation de l’étude environnementale ayant eu lieu le 18 mars 2004 au siège

ces plants seront protégés suffisamment longtemps de l’appétit des animaux pour avoir une chance d’arriver à maturité ? Dans leurs campagnes de sensibilisation, les ONG font preuve d’imagination, en suggérant par exemple à chacun de faire les ablutions rituelles de l’islam sous un arbre près de sa maison : une façon de garantir un arrosage régulier…

Mais les vraies questions sont ailleurs. A qui revient la restauration de l’environnement dégradé par les réfugiés ? Si l’on envisage que ceux-ci rentreront au Soudan, les bénéficiaires de ces plantations sont les seuls autochtones. Beaucoup de réfugiés ne comprennent pas que les ONG « qui les ont amenés là » les enjoignent de s’impliquer dans les actions de restauration.

Intéressant à cet égard est le comportement des réfugiés de Farchana. Le 13 juillet 2004, ils refusent d’arroser les plants de la pépinière, se prétextant « trop vulnérables pour entretenir des arbres ». Ils refusent tout ce qui est présenté comme activité « communautaire » ou « créatrice de revenu » par les ONG : cultiver, utiliser des foyers améliorés, collecter du bois... Derrière cette attitude, il y a le souvenir d’un précédent : à partir de 1998, à la suite de troubles visant la communauté massalit au Darfour, des milliers de réfugiés soudanais parviennent dans la région d’Adré. Farchana est déjà identifié comme un site possible pour l’aménagement d’un camp mais la population locale s’oppose à ce projet. Les réfugiés sont assistés pendant une première phase « d’urgence », puis le SECADEV les organise en groupements paysans, leur fournit outils et semences… puis plus rien. Les réfugiés rentrent tous au Soudan. Et certains d’entre eux sont aujourd’hui à Farchana. Ils se souviennent qu’ « on les a laissés tomber ». Ils incitent les autres réfugiés à refuser la phase « de développement », parce qu’elle signifie selon eux – et ce n’est pas faux – le désengagement à terme des organisations humanitaires. Et puis planter des arbres, c’est construire l’avenir au Tchad et renoncer à l’espoir de rentrer chez soi1.

Les ONG comptent sur l’exemple donné par des individus motivés, et sur l’effet d’entraînement d’un camp ou d’un village à l’autre. Dans le sud, la demande d’arbres fruitiers est importante. Dans le nord, certains souhaiteraient cultiver des dattiers. « Même à Bahaï, il y a des gens courageux qui veilleront sur leur arbre comme sur un bébé », dit un optimiste du HCR, bien conscient toutefois des contraintes que le milieu naturel fait peser sur la réussite de l’entreprise.

L’autre axe de la politique environnementale vise à réduire la consommation de bois par l’utilisation d’énergies alternatives ou de foyers améliorés. Dans le camp le plus septentrional, celui d’Ouré Cassoni, l’impossibilité de trouver du bois alentour a conduit à

utiliser des réchauds à pétrole. 0,2 décilitre de pétrole par jour et par personne, cela coûte 100 dollars par personne et par an1. Si on généralisait cette solution à quelques 200 000 réfugiés,

cela pèserait trop lourd dans le budget du HCR. Il faut chercher autre chose.

Derk Rijks est un « fou d’Afrique »2. Cet agro-météorologue consacre son temps libre

à diffuser au Tchad l’utilisation de cuiseurs solaires de type CooKit mis au point par l’ONG néerlandaise KoZon3. Tout est pensé dans ce projet, de l’approvisionnement en matériaux

(essentiellement aluminium, carton, gomme arabique, sacs en polypropylène) à leur recyclage ou leur élimination écologique. Des démonstrations dans les camps et dans les villages voisins en 2005 montrent l’intérêt manifesté par les femmes pour une technique non salissante, non irritante pour les yeux car sans fumée, et qui, tout en dispensant de la corvée de bois, dégage du temps pour d’autres activités pendant que le soleil cuit doucement la « boule ». Les cuiseurs peuvent être fabriqués par les réfugiés et leur prix de revient est faible.

Le projet est mis en oeuvre dans le camp d’Iridimi en 2005-2006. Compte tenu des conditions climatiques (jours de poussière entre décembre et février, périodes nuageuses en saison des pluies), les cuiseurs solaires sont utilisés 330 jours par an. Un foyer amélioré reste nécessaire pour chauffer le petit déjeuner. Le repas de midi est ensuite préparé avec le cuiseur solaire, et gardé au chaud jusqu’au soir dans un « panier thermos ». La consommation de bois est ainsi inférieure à un quart de ce qu’elle est habituellement. En novembre 2006, sur 4669 femmes inscrites pour être formées à l’utilisation de l’énergie solaire, environ la moitié l’est. 4000 cuiseurs sont utilisés dans le camp. 1000 peuvent y être fabriqués par mois si les matières premières sont disponibles.

Derk Rijks est présent au Tchad durant trois semaines tous les deux ou trois mois pour former des Tchadiens qui reprendront intégralement le projet4. « J’aime bien me rendre

superflu » m’écrit l’Européen, et cela résume le personnage.

Il rencontre cependant des difficultés : lenteurs administratives ; interruptions du transport des matières premières depuis N’Djamena. Mais ce qui est plus surprenant, c’est le peu d’empressement des « partenaires » à encourager un tel projet alors qu’on connaît dès le début le risque de dégradation. Dans plusieurs camps, on préfère procéder à l’essai d’une invention allemande : « Save 80 », un foyer de cuisson amélioré dont le coût à l’unité est d’environ 100 $. Tant pis s’il n’y en a pas pour tout le monde5.

1 Chiffres fournis par le HCR, Abéché, mai 2005.

2 Selon l’expression de Jean DE LA GUERIVIERE (2001).

3 Ces cuiseurs solaires ont déjà été expérimentés ailleurs au Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal). Voir le

site : http://www.kozon.org

Fin 2006, soit presque trois ans après l’ouverture du premier camp, le HCR demande à Derk Rijks une « stratégie » pour étendre l’utilisation des cuiseurs solaires à Iridimi, Touloum et Am Nabak. En octobre 2007, une évaluation menée par huit organisations sur l’utilisation des cuiseurs solaires à Iridimi conclut encore à la nécessité d’étendre l’expérience dans les autres camps1. Fin août 2008, sous prétexte de lutter contre la déforestation, les

autorités tchadiennes interdisent la commercialisation du charbon et du bois sur les marchés locaux, et les pénuries de combustible qui s’ensuivent provoquent de l’agitation sociale2.

Faut-il attendre l’épuisement des ressources pour se lancer de la mise en œuvre de solutions alternatives ?

Il y a des mots à la mode dans l’univers des organisations internationales. A défaut d’empêcher la dégradation de l’environnement, le HCR envisage dès 2004 de collaborer avec le CIRAD pour se doter d’un outil de « monitoring », autrement dit de suivi de l’impact des réfugiés à moyen et long terme dans l’est du Tchad3. Créer des indicateurs, qui pourront être

utilisés sur d’autres terrains : ce traitement du réel – qui prévaut aussi dans l’approche de la pauvreté – équivaut à établir des états des lieux en se dispensant d’apporter des solutions aux problèmes.

5 Thibault MAYAUD, « “Save 80”, l’économie d’énergie au service de l’environnement », SECADEV Abéché,

3 juillet 2006.

1 Jewish World Watch, « Solar Cooker Project. Evaluation », Iridimi Refugee Camp, Chad, October 2007, 17 p. 2 WFP, Hunger’s global hotspots, 3 September 2008.

3. Nourrir les gens, nourrir les haines .4