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Les concepts d’intervention de la coopération allemande.

Sortir de l’insécurité alimentaire

A. Les concepts d’intervention de la coopération allemande.

La coopération allemande est depuis longtemps présente au Ouaddaï. Elle y bénéficie d’une image positive, en raison du sérieux de son travail et parce que « l’on ne lui attribue pas d’autres intérêts que ses objectifs en matière de coopération au développement »1. Les

Ouaddaïens n’oublient pas que l’Allemagne a permis la croissance d’Abéché – son existence en tant que centre urbain, pourrait-on dire – par le financement au début des années 1990 d’un réseau d’adduction d’eau potable à partir du Ouadi Bithéa, à 35 kilomètres au sud de la ville. Depuis lors, les orientations politiques impulsées par l’Allemagne influencent les choix politiques nationaux.

Son intervention en faveur du développement s’insère en effet à la fois dans un cadre de priorités nationales définies par les instances internationales (réduction de la pauvreté ; sécurité alimentaire ; protection de l’environnement) et dans une évolution vers la décentralisation largement encouragée par le gouvernement allemand2. Le projet en cours de

la coopération allemande pour les régions du Ouaddaï et du Wadi Fira est un Programme de développement rural décentralisé, et l’un de ses principaux objectifs est d’appuyer le processus de décentralisation engagé au Tchad. Le Fonds de Développement Décentralisé (FDD) représente la première composante du PRODABO3. Il doit permettre aux populations

1 Ministère fédéral des affaires étrangères, Relations politiques avec le Tchad, Situation en juin 2005 (site

Internet du Ministère).

2 Voir Chapitre V, 1. B.

3 PRODABO : Programme de Développement Rural Décentralisé Djourouf Al Ahmar – Assoungha – Biltine –

Ouara. Il est financé par la Banque allemande pour le développement (KfW) et l’agence technique pour la coopération allemande (GTZ). Le montant du projet est de 5, 576 milliards de FCFA pour la période 2003-2006

et aux collectivités territoriales décentralisées qui les représentent de prendre en charge le développement de leur territoire.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : de promouvoir un développement par la base, en amenant les populations à s’organiser pour améliorer leurs conditions de vie. En d’autres termes, et une fois encore, le PRODABO vise à « renforcer les capacités du monde rural »1.

Le développement recherché, pour être durable, doit conjuguer croissance de la productivité agricole et protection des ressources naturelles.

Pour parvenir à ces objectifs, la coopération allemande se donne les moyens de la durée. Avant le PRODABO, elle intervient entre 1989 et 2003 dans le cadre d’un Projet d’Aménagement des Ouadis* (PAO). Le PAO entend remédier au problème de la dégradation des terres cultivables consécutive à l’assèchement climatique, et aux déséquilibres qui résultent du déplacement des populations vers les vallées des ouadis*. Son unité d’intervention est l’ensemble du bassin versant d’un ouadi*, dont il s’agit à la fois de protéger les terres contre l’érosion et d’améliorer l’utilisation des ressources en eau. Le projet touche 72 villages de 10 bassins versants. Son avancement fait l’objet d’évaluations tous les deux ans, qui donnent lieu à des réajustements constants.

Comme le projet Almy Bahaïm, mais dans un domaine plus vaste, le PAO puis le PRODABO ont rassemblé une volumineuse somme de connaissances sur la région, qui continue d’être enrichie d’études et de rapports dont la communication ne demeure pas confidentielle : c’est une philosophie d’échanges, d’ouverture et d’autocritique qui permet à la coopération allemande d’être l’animatrice de tous les débats sur le développement au Ouaddaï.

Ce dernier est conçu dans sa globalité. Les projets sont multisectoriels. Le bilan de dix années d’intervention du PAO dans le bassin versant du Haut-Bouboula, près d’Am Zoër, illustre la diversité des actions menées : reboisement, aménagement de digues filtrantes, de diguettes et de cordons pierreux ; fourniture de semences améliorées ; formation de brigades villageoises de lutte antiacridienne ; désenclavement des villages par création de pistes ; réalisation de puits, surcreusement de mares pour l’abreuvement des animaux et la culture du riz sauvage. Mais encore : achat d’un moulin à mil, formation d’accoucheuses traditionnelles à l’hôpital d’Abéché, construction de foyers améliorés, fabrication de savon et de pommade, alphabétisation des femmes… L’approche participative semble ici avoir fonctionné.

(Sources : PRODABO et Cellule permanente du suivi du secteur rural au Tchad).

Organisés en 15 groupements regroupés en association, les quelques 2660 habitants du bassin versant gèrent et entretiennent leurs infrastructures1.

La coopération allemande est ambitieuse, mais ses ressources ne sont pas illimitées. La démarche du PAO est lente et coûteuse. En 2003, l’équipe et le nom du projet changent ainsi que la démarche : le PRODABO n’intervient plus à l’échelle du bassin versant, mais à l’échelle cantonale. La zone d’intervention s’étend : elle couvre 30 cantons, regroupant plus de 480 000 habitants dans environ 2000 villages. Mais les dépenses prévues sont moindres, parce qu’il s’agit de mutualiser les infrastructures à l’échelle du canton. En fonction de critères préétablis par le PRODABO (conformité aux objectifs du projet, utilité sociale et économique, respect de l’environnement, capacités financières du demandeur…), les représentants de plusieurs groupes de villages formulent en commun des projets qui servent à élaborer un plan de développement local. Celui-ci doit être validé au niveau cantonal par un comité local d’action, puis soumis à un comité départemental d’action pour validation officielle du plan cantonal au niveau départemental. Le FDD aide à la réalisation des projets acceptés mais ne les finance pas dans leur globalité, les populations elles-mêmes et éventuellement d’autres bailleurs étant appelés à contribution. En 2004, sur 30 cantons, six ont adopté un plan de développement, six autres sont en cours de planification2.

L’arrivée des réfugiés soudanais offre alors de nouvelles perspectives au PRODABO. Les conditions de vie des populations des cantons de Molou et de Bardé sont lourdement affectées par l’impact de l’implantation des camps de Farchana, de Bredjing et de Tréguine3.

Le HCR en est conscient, et cherche à partir de 2005 à atténuer cet impact et les tensions qu’il fait naître par la réalisation de projets à destination des populations locales. Une concertation s’établit entre les cadres de l’agence onusienne et ceux du PRODABO. La planification cantonale n’est pas achevée dans les cantons Molou et Bardé, mais le PRODABO dispose de données qui lui permettent de faire émerger rapidement les besoins des communautés. Des projets de construction d’écoles, de magasins de stockage, de pistes… que le FDD ne pouvait pas financer peuvent l’être par les 5 % du budget du HCR destinés aux populations locales. Pour les responsables du PRODABO, la collaboration avec le HCR permet d’échanger dans un intérêt mutuel les atouts des programmes d’urgence et de développement : le HCR, qui a

1 PAO-GTZ, Bilan de dix années d’appui. Bassin versant de Haut-Bouboula, 1992-2001, Ministère de

l’Environnement et de l’Eau, Abéché, N’Djamena, 2001. Il est à noter que ce bilan très positif est antérieur aux troubles que connaît la région d’Am Zoër en 2006.

2 Documents PRODABO et entretiens avec des responsables du projet à Abéché en 2004 et 2005.

3 Voir l’étude d’impact commandée par la coopération allemande (GTZ/KfW) : PRODABO, 2005. Etude sur les

besoin d’agir vite, bénéficie de la capacité du PRODABO à formuler des projets aboutis, et lui fait bénéficier en retour de ses ressources financières1.

Les objectifs et la mise en œuvre de la coopération allemande reposent sur des présupposés. Le premier d’entre eux est la raison d’être de cette coopération : l’Etat est faible ; ses services techniques sont inopérants. C’est pourquoi le développement n’est pas attendu de son action, mais de celle des populations organisées. Il est précisé dans la littérature GTZ du PAO : « Compte tenu de l’insuffisance des ressources tant humaines et matérielles que financières des services techniques, il a été jugé préférable de renoncer à la méthode traditionnelle qui prévoit un soutien aux structures étatiques chargées de l’exécution (…). Ainsi, l’Etat est déchargé de tâches pour lesquelles son intervention n’est pas indispensable. La durabilité doit être obtenue au niveau des groupes cibles »2. On renonce

donc à renforcer les capacités de l’Etat. Mieux, l’Etat est évacué du processus de développement. Il s’avère cependant que les groupes cibles, autrement dit les populations, ont parfois des difficultés à conduire eux-mêmes ce processus. Ce n’est pas l’Etat qui est alors susceptible de leur venir en aide, mais des prestataires du secteur privé. Dans une langue approximative, un rapport du PRODABO reconnaît :

« L’idéale serait que les organisations de la population font le travail eux-même. En partie cela se fait déjà.

Mais la réalité est qu’il y a toujours besoin d’utiliser l’expertise de tiers. L’Etat n’a pas les moyens de le faire.

Il ne reste que le secteur privé : - les ONG

- les bureaux d’études

- les organisations de la population. »3

Il faut s’interroger sur la viabilité à long terme d’un projet – forcément appelé à se retirer – qui entend ainsi privatiser le processus de développement, dans un pays où la carence même du secteur public empêche l’émergence de compétences individuelles. Cette position,

1 Entretien avec les coordinateurs national et allemand du PRODABO à Abéché, le 10 juin 2005. Dans les faits,

cette collaboration prend la forme d’un projet en partenariat entre le HCR, le Ministère fédéral allemand pour la coopération économique et le développement (BMZ) et la GTZ, financé à la fois par le HCR et l’Allemagne (UNHCR, UNHCR-BMZ Partnership Program, 2007). La GTZ dispose alors de « fonds EON » (« Entwicklungsorientierte Nothilfe » : « Aide d’urgence orientée vers le développement ») qui disent bien l’entre-deux où évolue désormais l’intervention humanitaire.

2 ROOS 1997 : 7.

3 PRODABO, Rapport de mission d’appui au PRODABO, Annexe 4 : Présentation ateliers prestataires, février

en marginalisant les agents des services techniques de l’Etat, achève de dévaster la fonction publique au Ouaddaï.

Non moins digne d’interrogation est la réalité du choix qui est laissée aux groupes cibles dans la formulation de leurs projets. La coopération allemande intervient comme si le territoire et la société étaient homogènes dans l’espace national. Le PRODALKA, programme de développement rural décentralisé mis en œuvre dans les régions des Mayo-Kebbi Est et Ouest, dans le sud du Tchad, a les mêmes objectifs et les modes opératoires que le PRODABO1. Les demandes formulées par les groupements villageois en vue du

développement de leur territoire doivent figurer dans une liste d’« infrastructures éligibles » éditée par le PRODABO. Tout se passe comme s’il ne s’agissait finalement que de mettre en place un réseau homogène d’infrastructures, ce qui rend finalement superflu la consultation des populations. « Le projet a déjà l’idée de ce qu’il veut faire, mais on fait croire aux paysans qu’ils décident eux-mêmes » me disait le responsable d’un bureau d’études prestataire de services du PRODABO2. L’investissement des communautés recherché par le projet n’a

pas pour objectif qu’elles créent leur propre mode de développement, mais qu’elles prennent en charge la diffusion d’un modèle de développement préélaboré.

Ce qui est incertain enfin, c’est la capacité des groupements à accomplir durablement les multiples tâches qu’impose la conception des projets de la coopération allemande. Ceux-ci sont en même temps très exigeants dans ce qu’ils attendent des populations, et indispensables tout au long du processus enclenché, ainsi que le montre l’énumération des tâches incombant à chacun dans le PAO (Document 4).

Peut-on imaginer que des communautés aux prises avec des exigences quotidiennes de survie puissent disposer des ressources humaines et économiques nécessaires à la réalisation de ces tâches ? Le PRODABO annonce honnêtement qu’il n’est pas éternel, dans une fiche d’information à destination des populations : « Le PRODABO ne va pas rester pour toujours mais le développement de votre région est un processus qui ne s’arrêtera jamais »3. Le projet

apporte un lourd soutien technique, financier, logistique aux groupements engagés dans la planification. A son retrait, le monde rural sera-t-il doté des capacités garantissant son autonomie ?

1 PRODALKA : Programme de Développement Rural Décentralisé du Mayo-Dala, du Lac Léré et de Kabia.

Financement KfW/GTZ. Montant pour la période 2003-2006 : 6,326 milliards de FCFA (Source : Cellule permanente du suivi du secteur rural au Tchad).

2 Bureau Consult International (BCI), Abéché. Entretiens réalisés à Abougoudam en février 2004. 3 Fiche d’information PRODABO Abéché du 29/01/2004.

Document 4 : Définition des tâches des acteurs du PAO.