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La guerre du Darfour et l’aggravation des tensions

A. Quand l’aide déstabilise la société.

L’est du Tchad devient en quelques mois, début 2004, un « humanitaire-land »1

une trentaine d’organisations2, au-delà des discours sur la nécessité d’une coordination, se

livrent une concurrence féroce pour s’attribuer des secteurs d’activités et des « bénéficiaires ». « Quand la vraie guerre s’arrête, la guerre humanitaire commence », plaisante un expatrié, mais c’est à peine une plaisanterie.

Les sommes engagées représentent un enjeu d’autant plus important dans une région aux ressources rares. En 2004, le budget du HCR pour le Tchad est d’environ 100 millions de dollars. Il est diminué de moitié en 2005. Entre le 1er juillet 2005 et le 31 décembre 2006, le

PAM livre près de 90 000 tonnes de vivres aux réfugiés soudanais et aux populations de l’est du Tchad, pour un coût de 87 millions de dollars3. En 2006, l’Appel Global pour la mise en

œuvre de 43 projets par 17 organisations s’élève à 167 millions de dollars, dont 74 pour le HCR et 44 pour le PAM4.

L’utilisation de ces fonds bouleverse la région aidée. Pour les Tchadiens, elle est promesse d’emplois, de marchés, et ils sont nombreux à affluer de toutes les régions du pays vers Abéché, centre des opérations, mais aussi vers Goz Beïda, passée de 7000 à 10 000 habitants entre mars 2004 et mars 2005, ou Hadjer Hadid, où sont arrivés dans la même période 2000 ruraux, 500 agents travaillant pour les organisations humanitaires et environ 600 ouvriers au service d’entrepreneurs venus d’Abéché5.

4 Cette formule est d’Ellen P. BROWN (1983). Elle correspond au titre d’une étude de la société nar (sud du

Tchad) dans laquelle le don de nourriture fait et défait les liens sociaux.

1 BRUNEL 2006 : 145.

2 En mai 2005, les ONG gestionnaires des camps sont InterSOS (Goz Amir et Djabal), le SECADEV (Farchana

et Kounoungou), CARE (Milé, Am Nabak, Touloum et Iridimi), la Croix Rouge Tchadienne et la Fédération Internationale de la Croix Rouge (Bredjing et Treguine), International Rescue Committee (Ouré Cassoni) et Africare (Gaga). Les autres organisations – gouvernementales ou non – présentes sont : ACTED, AGS, CCF, EEMET, OXFAM et OXFAM Intermón, THW, ACF, HELP, COOPI, CORD, GTZ, IMC, JRS, MSF, NCA, BCI/INADES et Première Urgence, en plus des agences onusiennes (HCR, PAM, UNICEF).

3 PAM, Projet EMOP 10327.1 : Assistance aux réfugiés soudanais et aux communautés hôtes de l’est du Tchad,

1er juin 2005-31 décembre 2006. A la valeur d’une tonne de vivres (25 % du total nécessaire pour l’acheminer

jusqu’à destination, lequel est d’environ 1000 dollars), il faut ajouter les autres coûts dont celui du « transport

terrestre, entreposage et manutention (TTEM) » qui est passé au Tchad de 152 dollars par tonnes de vivres en

1999, à 405 dans le cadre de ce programme pour l’est tchadien.

4 Ces chiffres disponibles sur ReliefWeb comprennent les fonds destinés aux réfugiés de l’est du Tchad ainsi

qu’aux 42 500 réfugiés présents dans le sud du pays, et aux populations locales affectées par leur présence.

5 Chiffres fournis par les autorités locales : préfet adjoint de Goz Beïda, sous-préfet d’Hadjer Hadid, en mai

L’accroissement de la demande qui résulte de ces migrations et de la présence d’un personnel expatrié à haut niveau de vie provoque une flambée des prix. Le prix du koro* de mil est multiplié par deux ou trois, et c’est encore plus vrai à proximité des camps où les réfugiés vendent le sorgho qui leur est distribué pour acheter du mil pénicillaire. Les cours de la viande s’effondrent localement là où les réfugiés bradent leurs animaux, et augmentent en ville.

Les prix consentis par les organisations humanitaires faussent toutes les règles du jeu. A Goz Beïda, les responsables d’une agence de l’ONU acceptent en 2005 un loyer mensuel de 500 000 FCFA pour une maison. Les autres propriétaires s’alignent. A Abéché, les fonctionnaires et les étudiants peinent à se loger. Les expatriés ignorent les tarifs locaux, et leur remplacement tous les deux ou trois mois empêche de garder la mémoire des engagements pris. Certains en profitent : des camions sont loués 75 à 100 000 FCFA par jour auprès d’un commerçant puis reloués 200 000 FCFA au HCR, l’essence est vendue aux organisations humanitaires à un « prix spécial » au dessus du prix normal, le boom immobilier donne lieu à des devis fantaisistes…

Les salaires versés par les organisations humanitaires à leur personnel tchadien révèlent un double déséquilibre. Ils sont à la fois très supérieurs aux salaires locaux – normes internationales obligent – et très inférieurs aux salaires des expatriés travaillant pour les mêmes organisations, conformément à une division du travail au sein de ces organisations.

Un chauffeur du HCR est ainsi payé 135 000 FCFA par mois (sans compter les primes pour les trajets jusqu’aux camps et pour chaque nuit passée en dehors de son domicile) dans un pays où un enseignant en gagne à peine 100 000… quand il est payé ! En janvier 2004 à Abéché, les professeurs sont en grève : ils n’ont pas perçu de salaire depuis quatre mois. La situation des maîtres communautaires, qui enseignent dans près de 70 % des écoles élémentaires au Ouaddaï, est encore plus précaire : ils ne touchent qu’une prime de 30 000 FCFA par mois, qui doit être payée à 90 % par l’Etat depuis 2002 (le reste l’étant par les parents d’élèves). Mais en mai 2005, l’Etat n’a toujours rien donné pour l’année en cours. Rien d’étonnant alors à ce que 37 maîtres communautaires de la région aient la même année déserté leur poste pour s’employer dans l’humanitaire1. Les élèves et les étudiants aussi

tentent leur chance : à Goz Beïda, un élève de lycée est payé 80 000 FCFA en tant que garde pour l’ONG InterSOS. Quand on lui demande s’il va reprendre ses études, il est dubitatif : « Quand tu as trouvé le chemin de l’argent… ».

Mais ces salaires tant convoités sont peu élevés au regard de ceux des expatriés. La majorité des emplois proposés sur place sont subalternes : manutentionnaires, chauffeurs, gardiens, cuisiniers… Les animateurs et les enseignants tchadiens et soudanais qui travaillent dans les camps reçoivent des salaires du même ordre. Une institutrice recrutée par une ONG internationale pour être animatrice dans les camps autour d’Iriba remarquait avec justesse : « Les ONG dépensent en un jour pour la location d’un véhicule ce qu’elles nous donnent pour un mois » : soit 100 000 FCFA. Les « seigneurs de la pauvreté », cette classe privilégiée des fonctionnaires de l’humanitaire dénoncée par G. Hancock, ne sont pas tchadiens1. En

2005, le HCR à Abéché finançait 5914 emplois. 122 étaient occupés par des expatriés – occidentaux mais aussi africains –, 3198 par des Tchadiens et 2594 par des réfugiés soudanais ; le salaire moyen d’un expatrié (3 309 dollars par mois) était alors 24 fois supérieur au salaire moyen d’un Tchadien ou d’un Soudanais (138,6 dollars)2.

Ces écarts ne sont pas une exception et sont proportionnels à la différence de niveau de vie nord-sud. Mais en terrain de pauvreté, ils sont perçus comme un infranchissable fossé qui fait douter de la sincérité de l’engagement humanitaire3.

L’aide est aussi créatrice d’inégalités majeures à l’intérieur même de la société tchadienne.

A plusieurs reprises, des jeunes originaires du Ouaddaï manifestent leur sentiment d’être exclus du recrutement opéré par les organisations humanitaires. On leur préfère, disent- ils, des « sudistes » – ressortissants des régions christianisées du sud du pays – ou des jeunes gens de la capitale. L’ONG CARE semble leur donner raison, quand elle fait venir à Iriba une cinquantaine de jeunes sudistes recrutés à N’Djamena, et ne parlant ni arabe, ni zaghawa. Le Préfet dit alors aux responsables de l’ONG qu’il ne peut pas garantir la sécurité de ces personnes, et CARE les renvoie à N’Djamena.

Selon l’un des cadres de l’organisation, la « main d’ouvre locale » est peu formée, mais proche des réfugiés, alors que les étrangers à la région sont plus qualifiés mais « plus distants » des Soudanais. Le niveau de qualification est aussi l’excuse donnée par le HCR qui souhaiterait « recruter localement » à Abéché mais qui ne trouve pas toutes les compétences nécessaires sur place, et entreprend d’ailleurs de former hommes et femmes à l’informatique, au secrétariat ou à l’anglais. La nécessité d’avoir au moins le baccalauréat et de parler français

1 HANCOCK 1989.

2 Chiffres fournis par le HCR à Abéché en 2005.

3 Pour une description imagée de la vie du microcosme humanitaire abéchois et une analyse des déséquilibres

engendrés par l’aide, voir la série d’articles du Tchadien Alphonse DOKALYO, « Réfugiés soudanais : la guerre, les humanitaires et nous… », Tchad et Culture n°233, janvier 2005 (dossier en ligne sur le site

ou anglais pour postuler exclut de fait de nombreux jeunes Ouaddaïens qui, venus en ville avec l’espoir d’être embauchés, survivent difficilement et nourrissent d’amers sentiments. La tension ne s’apaise pas. En novembre 2006, le sous-préfet d’Iriba écrit au HCR pour lui demander de ne recruter que des agents issus de la population locale1. A Goz Beïda, les

locaux d’une ONG sont saccagés et dix employés locaux légèrement blessés par une centaine de jeunes gens venus reprocher à l’ONG de ne pas employer d’habitants de la ville2.

Certains ressortissants de la région tirent pourtant remarquablement profit de la situation. Au moment de l’implantation du camp d’Am Nabak, le HCR accepte d’acheter l’eau à Iriba pour approvisionner le camp. Ainsi les trois propriétaires (parmi lesquels le sultan d’Iriba) des jardins à partir desquels l’eau est pompée, dans la vallée du ouadi* au nord-ouest de la ville, sont-ils rémunérés 15 000 FCFA par camion-citerne. Ils bénéficient eux-mêmes de motopompes qui irriguent des cultures prolifiques, et se partagent quotidiennement les 120 000 FCFA des huit voyages vers le camp. C’est peu cependant, eu égard à ce que rapporte le transport de la même eau : 170 000 FCFA par voyage, au profit d’entrepreneurs qui justifient ce coût par l’entretien des véhicules, les salaires du personnel et les risques encourus dans le contexte d’insécurité3.

M.S. est l’un de ces entrepreneurs. C’est, selon l’ONG CARE gestionnaire des camps autour d’Iriba, un « opérateur économique » incontournable. Le seul en vérité, capable d’éliminer tout concurrent car disposant d’un compte en banque et du matériel nécessaire dans tous les domaines : « commerce général » (photocopieuses…), construction, location immobilière, location de véhicules, exhaure et transport de l’eau. Il est en outre président d’un comité de gestion de l’eau qui entend instaurer, après réfection des infrastructures de la ville par les ONG, un abonnement à la distribution de l’eau. En juin 2005 il avoue un milliard de FCFA de chiffre d’affaire réalisé en un an avec les ONG. Sa plus belle réussite, c’est d’avoir remporté le marché du transport du bois collecté pour les camps du nord : 110 000 FCFA par voyage, un à deux voyages par jour vers chaque camp pendant six mois…

Cette opération-là s’inscrit dans une stratégie collective de gestion des ressources naturelles menée par une ONG locale née en 1993, ADESK, dont le nom résume l’objectif : Association pour le développement économique et social du département de Kobé. Ses membres ont dans le passé négocié avec des bailleurs la réfection de bâtiments scolaires ou de l’hôpital, la prise en charge de salaires d’enseignants. Ils sont volontaires pour les activités

1 Compte-rendu de la réunion hebdomadaire de coordination générale du HCR Abéché par le SECADEV, 11

novembre 2006.

2 UNHCR, point de presse du 1er décembre 2006.

« vivres contre travail » mises en place par le PAM : ils se chargent ainsi du ramassage des déchets en ville ou de la réfection de l’aérodrome d’Iriba contre des distributions de nourriture, « un moyen de désengorger les camps de réfugiés des Tchadiens ( !) », selon le Secrétaire général de l’association, en juin 2005. L’ONG se déclare « à but non lucratif ». Mais en tant que « partenaire », elle négocie en mai 2005 avec CARE un contrat de près de 60 millions de FCFA pour la collecte du bois mort pendant 180 jours. Outre le coût du transport revenant à M.S., cette somme comprend la rémunération de la main d’œuvre (20 000 FCFA par camion), une « taxe forestière » de 2000 FCFA par camion de 7 stères versée à l’Etat par l’intermédiaire des Eaux et Forêts, ainsi que la « supervision » de l’opération par ADESK, soit 35 000 FCFA par jour1

Assurément ADESK est l’une de ces « MONGO »2 qui permettent à un groupe de

capter l’argent de l’aide. « Ce sont ceux qui ont des moyens qui profitent de l’aide », souligne un humanitaire à Iriba. Cela ne favorise pas la cohésion de la société locale. Les profits de la vente de ressources collectives sont concentrés aux mains de quelques individus, jusqu’à épuisement de celles-ci. On comprend mieux le manque d’empressement à trouver des alternatives à la destruction des ressources naturelles locales, malgré la précarisation des plus démunis qui en résulte.

L’afflux de l’aide affaiblit la présence symbolique et effective de l’Etat dans l’est du pays. C’est vrai de l’ensemble des projets de développement mis en œuvre dans la région, j’y reviendrai. Mais la débauche de moyens exigée par la « complex emergency » liée à la crise du Darfour depuis 2003 accélère le processus.

Les agences des Nations Unies (HCR, PAM) rivalisent entre elles pour se donner le maximum de visibilité : un moyen d’assurer leur sécurité (ou de les désigner comme objectifs aux yeux d’individus mal intentionnés !), mais surtout de montrer aux bailleurs en visite ou aux journalistes qu’elles sont bien présentes sur le terrain et qu’elles utilisent à bon escient l’argent de la communauté internationale. Dans les villes où elles s’implantent, cela passe parfois par une appropriation des lieux centraux qui n’est pas sans signification pour la population du pays. A Goz Beïda, en 2005, le PAM est installé dans une grande villa qui a été construite pour héberger la préfecture. Le HCR, avant de faire bâtir sa propre base, a dressé son camp à côté du marché, et le château d’eau de la ville arbore un drapeau au logo de l’agence. Ici comme ailleurs, les 4X4 flambant neufs de toutes les organisations sillonnent les rues poussiéreuses. Pour le sultan du Dar Sila – dont la collaboration avec les humanitaires est

1 Budget du 31 mai 2005 qui m’a été remis par un membre d’ADESK à Abéché. 2 Pour « My Own ONG ». Voir BRUNEL 2006 : 143.

pourtant sans faille – il s’agit ni plus ni moins « d’une colonisation qui ne dit pas son nom »1.

La présence des Occidentaux est perçue comme d’autant moins neutre dans tout le Ouaddaï qu’elle s’inscrit dans une histoire conflictuelle souvent ignorée des étrangers, mais toujours déterminante dans le rapport que la population entretient à leur égard.

L’aide n’est-elle pas un cadeau empoisonné pour le gouvernement tchadien ? D’un côté elle le dispense des investissements nécessaires au mieux-être des gouvernés ; de l’autre elle finit de déposséder les fonctionnaires de leurs missions de service public.

C’est flagrant dans le domaine de la santé. A Birak, l’installation de Médecins sans frontières, qui dispense des soins gratuitement aux réfugiés comme aux populations locales, a fait chuter la fréquentation du centre de santé du village – où la consultation coûte 600 FCFA – de 75 %. Les habitants des villes et des villages à proximité des camps de réfugiés ont l’autorisation de se faire soigner dans les centres de santé construits dans les camps et pris en charge par les ONG. Autour de Goz Beïda, les villageois préfèrent se rendre au « centre sanitaire et nutritionnel » du camp de Djabal, bien pourvu en médicaments et efficacement tenu par l’ONG COOPI, qu’au petit hôpital de la ville – d’ailleurs appuyé depuis plusieurs années par la même ONG. Chaque centre de santé où une ONG n’est pas présente offre le même spectacle d’abandon : absence de médicaments, de matériel médical, de personnel formé. L’aide pharmacien que je rencontre au dispensaire d’Hadjer Hadid en mai 2005 n’est guère occupé. Il n’a d’ailleurs pas reçu d’argent depuis quatre mois. Seulement quelques dons de la Croix-Rouge : des compresses, des aiguilles, des solutés de réhydratation, des armoires. Qu’importe, puisque tous les patients vont maintenant consulter dans les camps de Tréguine et Bredjing. Seule une vieille femme atteinte de la lèpre est allongée sur un grabat. « Les Blancs ont promis de passer, mais quand ? ». Les hôpitaux de la région sont aussi investis par des ONG – COOPI à Goz Beïda, donc, et MSF à Adré, Iriba et même Abéché, où l’ONG prend en charge à partir du 25 novembre 2006 les blessés des combats entre l’armée tchadienne et la rébellion de l’UFDD.

L’arrivée des organisations internationales est également l’occasion de moderniser certaines infrastructures. A Iriba, le pompage dans la nappe du ouadi* pour approvisionner Am Nabak n’affecte pas l’alimentation de la ville, à partir d’un forage plus profond. Mais les réfugiés sont vite rendus responsables des pénuries et coupures d’eau à Iriba, et l’ONG NCA ne peut se contenter d’équiper les camps : elle procède à l’entretien du forage de la ville et adapte son débit à la population en croissance. Des puits ou des pompes manuelles sont installés dans les villages autour des camps, des générateurs et des pompes sont fournis aux

villes par le CICR. De l’avis même du coordinateur de NCA à Iriba, « les ONG se substituent à l’Etat pour approvisionner toute la population en eau potable »1.

L’aide humanitaire d’urgence, contrairement aux opérations « de développement » ne vise pas forcément le « renforcement des capacités locales ». Elle contribue plutôt à les éroder, et à fragiliser d’autant plus les sociétés confrontées aux catastrophes.

B. 5 % pour les populations locales.

Le 4 mai 2005, un cortège de quatre véhicules hard-top blancs quittent Goz Beïda en direction de la frontière soudanaise : les représentants de deux agences de l’ONU (PAM et HCR) et de deux ONG qui travaillent sur place se déplacent en « mission d’évaluation ». Il s’agit à la fois de s’enquérir de la situation humanitaire sur la frontière, où l’insécurité a provoqué le déplacement de milliers de Tchadiens (à Koloy, ils sont déjà 4300 à « camper » autour des arbres du Ouadi Kadja), et de définir avec les populations locales des P.I.R., « projets à impact rapide ». Concrètement, cela consiste à s’arrêter dans les villages pour s’entretenir rapidement avec les autorités locales et dresser la liste des besoins. Sans connaissance préalable du terrain, le HCR propose des projets prédéterminés d’infrastructures : « Que vous faut-il ici ? Un dispensaire ? Une école ? Quelques puits ?... ». Ce n’est pas difficile, puisque chaque localité manque de tout. A peine le temps de se plier aux règles de l’hospitalité, il faut déjà repartir. « On prend bonne note, on reviendra »…

Il est probable qu’on ne soit jamais revenu, pour cause de violence grandissante, dans cette zone entre Adé et Moudeïna victime d’incursions de prétendus janjawid* et de combats entre l’armée et des rebelles tchadiens. Mais l’heure est à la sollicitude. Il faut calmer les esprits.

Bien que négociée à chaque fois entre le HCR et les autorités traditionnelles et administratives, l’installation des camps de réfugiés détériore les conditions de vie des populations vivant alentour. Par respect pour les chefs qui le leur demandent, par réelle solidarité ou en raison des promesses de contrepartie qui sont alors formulées, les communautés d’agriculteurs et d’éleveurs acceptent dans une phase initiale que leurs terres soient occupées par les camps ou les cultures des réfugiés. Mais il s’avère rapidement que l’inhospitalité de l’environnement rend la cohabitation difficile, alors que les promesses tardent à être exaucées.

Les camps de Kounoungou, Tréguine, Bredjing, Goz Amir et Djabal ont été construits