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L’humanitaire entre urgence et développement A Des commencements dans l’urgence.

Sortir de l’insécurité alimentaire

1. L’humanitaire entre urgence et développement A Des commencements dans l’urgence.

Avant les grandes sécheresses des années 1980, les interventions humanitaires dans l’est du Tchad sont des réponses d’urgence à des crises ponctuelles. Livraisons de vivres en 1959, et de nouveau en 1966 alors que la famine menace au Ouaddaï et au Soudan. L’aide d’urgence présente déjà les travers qu’on lui connaît depuis :

« Pour palier à un début de famine, des C 130 Hercules de l’U.S. Army avait livré au cours des deuxième et troisième trimestres [1966] du mil à Abéché. Par manque de connaissance des coutumes et us du Tchad, les Américains avaient livré du mil rouge (sorgho) lequel (…) n’est pas consommé par les populations musulmanes du Nord. (…) Le sorgho avait dû être bradé, faute d’acheteur et le club hippique avait pu, à bas prix, se constituer une réserve de nourriture destinée aux chevaux du club »1.

Les institutions internationales prennent bientôt la relève de l’aide bilatérale. En 1967, le PAM conduit sa première opération d’urgence au Tchad2. Mais c’est à partir de 1981 que

l’intervention des agences de l’ONU prend de l’ampleur. En mars, une mission est chargée d’évaluer les besoins humanitaires « résultant de la guerre civile et de la sécheresse »3. Une

campagne d’aide d’urgence en 1982-1983 se traduit par la livraison de 24 000 tonnes d’aide alimentaire au Tchad4. A Abéché, un centre régional est créé pour prendre en charge la

logistique nécessaire à la distribution des vivres. En novembre 1984, « la sécheresse est décrite comme la pire enregistrée depuis un siècle »5, et l’aide alimentaire explose : alors que

le déficit céréalier est estimé par la FAO à 280 000 tonnes au terme de la récolte de 1984, 168 000 tonnes de céréales sont livrées au Tchad entre le 1er novembre 1984 et le 1er octobre

1985. A cette date 105 000 tonnes ont été distribuées. Hélas, note le rapport de l’UNDRO, « l’arrivée tardive des vivres fait coïncider les programmes de distribution avec l’offre des premières récoltes sur les marchés ». Par conséquent : « Mesures à l’étude pour réduire effets néfastes de l’aide alimentaire sur commercialisation des produits locaux »6...

Ce qui apparaît clairement dans la description des interventions des années 1980, c’est que le lien y est déjà fait entre l’urgence et le développement, les institutions internationales

1 Témoignage de l’épouse du Colonel LE CHEVOIR daté du 1er décembre 1966 à Abéché (LE CHEVOIR 1999 :

205).

2 PAM, Projet de programme de pays. Tchad 10478.0 (2007-2010), Rome, 11 mai 2006, p. 7.

3 UNDRO (United Nations Disaster Relief Organization), « Tchad : Opération d’urgence résultant de la guerre

civile et de la sécheresse », Rapport de situation n° 1, 26 novembre 1981.

4 UNDRO, idem, Rapport de situation n° 31, 30 novembre 1983.

5 UNDRO, « Tchad : sécheresse et guerre civile », Rapport de situation n°1, 2 novembre 1984. 6 UNDRO, idem, Rapport de situation n°12, 9 octobre 1985.

se chargeant des deux. Ce « contiguum urgence-développement » – le fait de mener conjointement des actions d’urgence et de développement – résulte de deux évidences : « Le mal-développement précède et prépare les crises, crises qui ne peuvent, elles, jamais être résolues sans l’adoption de solutions durables »1. Dans un Tchad anéanti par la guerre civile,

tout est à reconstruire. Dés 1981, outre les distributions alimentaires, des interventions sont envisagées dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage et des transports. En novembre 1983, le gouvernement tchadien lance un appel pour financer des « projets de développement agricole d’urgence » pour reconstruire et réparer des puits et des barrages dans les préfectures du Lac, du Kanem et du Ouaddaï2. En avril 1984, les projets Vivres Contre Travail du PAM

prennent leur essor dans la région Ouaddaï-Biltine3, et un tiers de l’aide distribuée dans le

cadre du programme d’urgence de 1984-1985 va sous cette forme VCT à des communautés engagées dans des projets de développement. Pour l’acheminement des vivres, des infrastructures sont construites : un pont sur le Logone en 1985, des routes d’accès, des radiers4. Tous les acteurs étrangers de l’aide sont déjà là : agences onusiennes, ONG,

partenaires bilatéraux, entrepreneurs. Les organisations internationales conduisent des missions d’évaluation et informent les donateurs sur la situation du pays. Elles ne le quitteront plus.

Elles ne sont pas les seules à être convaincues de la nécessité de conjuguer aide d’urgence et développement.

Dans les années 1960, le père Faure, jésuite, occupe la mission catholique d’Abéché et assiste aux balbutiements de l’aide d’urgence. Vingt ans plus tard, à N’Djamena, il est à l’origine du Secours catholique diocésain qui tâche de venir en aide aux déplacés de la guerre civile. En 1984, l’association prend le nom de Secours Catholique pour le Développement (SECADEV) et s’engage dans des projets de plus long terme : aux victimes de la sécheresse, le SECADEV distribue non seulement des vivres, mais des semences qui permettent d’assurer l’avenir. Puis il tente d’amener les communautés à prendre elles-mêmes leur destin en main, par le biais d’organisations paysannes avec lesquelles il définit des projets échelonnés sur deux ou trois ans. A l’agriculture viennent s’ajouter d’autres secteurs d’intervention : élevage, hydraulique, bâtiment, environnement, octroi de crédits, actions pour la promotion des femmes. Au Ouaddaï le SECADEV bénéficie d’une considération spéciale, qui tient à la fois à l’ancienneté de sa présence et à son caractère véritablement national : quoiqu’initié par la

1 BRUNEL 2006 : 146

2 UNDRO, rapport cité, 30 novembre 1983.

3 UNDRO, Rapport de situation n° 32, 19 avril 1984. 4 UNDRO, Rapport de situation n°11, 22 août 1985.

hiérarchie catholique, il intervient aussi en milieu musulman, et son recrutement est multiconfessionnel.

Dès avant sa reconversion dans la prise en charge des camps des réfugiés à partir de 2003, l’ONG souffre pourtant de deux maux qui réduisent significativement son impact. Le premier est l’insécurité qui prévaut à l’est du Tchad, et qui se traduit par l’impossibilité de mener à leur terme certains projets. Le second concerne les moyens dont dispose le SECADEV : en tant que membre du réseau Caritas, il bénéficie du soutien financier de partenaires internationaux. Ce soutien est insuffisant compte tenu des moyens nécessaires pour couvrir une vaste zone d’intervention, selon les responsables de l’association, à laquelle ses partenaires reprochent des coûts de fonctionnement trop élevés, des méthodes de gestion inadaptées, des projets qui ne correspondent plus aux priorités des institutions internationales1.

L’évolution de l’intervention humanitaire dans l’est du Tchad n’est pas différente de ce qu’elle a été partout ailleurs : elle se manifeste par le passage d’une réponse ponctuelle à des crises espacées dans le temps, à la présence permanente d’institutions internationales qui couvrent tous les domaines : à l’instauration, en somme, d’un « régime humanitaire international », c’est-à-dire d’un système disposant de ses propres acteurs, établissant ses propres règles et principes d’action, et dont les structures identifient les besoins et se chargent d’établir des stratégies de réponse ; une « gouvernance sans gouvernement », pourvoyeuse de services sociaux à l’échelle mondiale. Pour ces acteurs internationaux, le problème n’est plus de trouver les moyens de financer telle opération d’urgence, mais de définir des projets qui permettront de dépenser le montant quasi constant des fonds disponibles2. Sur le terrain, cela

donne lieu à une accumulation d’interventions dont le bien-fondé est la plupart du temps sujet à caution.