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Le pèlerinage à La Mecque, une menace pour les empires

C. Le développement d’un imaginaire morbide autour des rites de pèlerinage

2. La menace panislamiste

A cette menace sanitaire vient s’ajouter une menace plus politique également liée au hajj : le panislamisme. Il s’agit moins ici de retracer l’histoire du mouvement331 que de montrer comment la crainte d’un soulèvement des Musulmans, instrumentalisée par le sultan et les confréries, a pu travailler l’imaginaire des empires jusqu’à rejaillir sur la conception même que ces empires se font de leurs pèlerins musulmans.

328 Ibid., p. 82.

329 Ibid. p. 84.

330 A. Dupront, Du Sacré, op. cit., p. 414.

331 S.Deringil, The Well Protected Domains. Ideology and the Legitimation of Power in the Ottoman Empire, 1876–

1909, Londres and New York, I. B. Tauris, 1998; K. Karpat, The Politicization of Islam, Oxford University Press,

2001 ; J.Landau, The Politics of Pan-Islam. Ideology and Organization, Oxford, Clarendon Press, 1990 ; W. Ochsenwald, Religion, Society and the State in Arabia. The Hidjaz under Ottoman Control 1840-1908, Ohio State University Press, 1984 ; N.Qureshi, Pan-Islam in British Indian Politics, Brill, Leiden, 1999.

107 A. Le panislamisme, une idéologie anti-impérialiste ?

Arafat, manifestation de l’Islam rassemblé

En même temps qu’il accentuait le risque sanitaire pour l’Europe, le développement de la navigation à vapeur a contribué à rapprocher les Lieux Saints des pèlerins.

La centralité religieuse de La Mecque devait s’en trouver renforcée comme le sentiment d’unité et de solidarité des Musulmans au sein de l’umma. Plus accessibles, les Lieux Saints semblent connaître alors un regain de fréquentation. Cependant, jusqu’à la mise en place de statistiques sanitaires à compter du milieu de la décennie 1870, les observateurs européens ne peuvent que se fonder sur une évaluation de visu des pèlerins rassemblés à Arafat.

Ainsi, alors que Burton évalue, en 1853, à 50 000 le nombre de pèlerins rassemblés au Mont de la Miséricorde, ceux-ci auraient été 90 000 lors du hajj de 1865, 110 000 en 1869, avant d’atteindre des records dans les années de « grand pèlerinage » : 200 000 en 1870, 300 000 en 1888, ou encore 370 000 en 1893 – record absolu pour le siècle – lorsqu’éclate la grande épidémie de choléra.

Si cette méthode d’évaluation, reposant sur des critères empiriques et des extrapolations hasardeuses, est des plus contestables, elle n’en traduit pas moins une prise de conscience par les Européens du caractère massif de cette manifestation religieuse et laisse poindre une certaine inquiétude.

Car Arafat est ce lieu par excellence de manifestation de la « communitas » où les pèlerins de toutes origines se côtoient et renouent avec la « Nation » musulmane par-delà leur appartenance géographique. Comme l’écrivent les pèlerins anglo-indiens Hadji Khan et Wilfrid Sparroy lorsqu’ils évoquent la communion des Musulmans à Arafat :

« Il se peut qu’un jour un rêve [celui de l’unité de l’islam], qui est déjà une vérité spirituelle, du moins très certainement chez les esprits éclairés d’aujourd’hui, devienne un fait politique aux yeux du monde entier.»332

Aussi, à compter de la décennie 1870, la cérémonie Arafat et, partant, le pèlerinage à La Mecque, commencent pour les empires à faire figure d’« états généraux de l’Islam » et, avec eux émerge la menace d’une possible récupération politique.

Désireux de renouveler l’expérience de Léon Roches, le photographe Jules Gervais- Courtellemont se voit confier, en 1894, une mission de renseignement à La Mecque par le

332 Hadji Khan, W. Sparroy, With the Pilgrims to Mecca. The Great Pilgrimage of AH 1319 (AD 1902), John Lane,

108 gouverneur général de l’Algérie Cambon. Or, lorsqu’il visite les locaux de la toute nouvelle imprimerie nationale de La Mecque, il ne peut réprimer sa crainte :

« Qui sait ce que ces presses imprimeront un jour, à l’heure de la guerre sainte si elle éclate jamais !

Que de revendications sociales en sortiront peut-être pour se répandre aux quatre coins du monde et réclamer impérieusement aux usurpateurs de l’Occident l’affranchissement et la liberté de l’Islam. »333

Dans un récit de pèlerinage fictif, Albert Le Boulicault, décrit en des termes très durkheimiens le sermon d’Arafat :

« On pressent, dans tous ceux qui sont là, fanatisés par l’idée religieuse, une force latente, inconsciente de sa puissance, à l’heure actuelle, mais prête pour une terrible invasion, le jour où une énergique volonté la lancerait au nom d’Allah, contre l’Europe incroyante et divisée.»334

Car si les facilités liées aux nouveaux moyens de transport ont sans aucun doute stimulé les flux pèlerins, elles ne sont pas la seule raison de cette affluence, la majorité des pèlerins continuant encore à emprunter les voies de terre. En effet, comme l’écrit Gervais-Courtellemont :

« Le nombre de fidèles accourus au pèlerinage augmente tous les ans, d’abord grâce aux facilités de communication et à l’ouverture des voies maritimes, ensuite parce que la religion musulmane gagne tous les jours du terrain en Afrique, aux Indes et en Chine. »335

Se pose ici l’hypothèse d’un « réveil » musulman concomitant à la relance de l’impérialisme européen en terre d’Islam, dont nous avons observé les prémisses au milieu des années 1850.

En juillet 1873, un mémorandum communiqué au ministre britannique des Affaires étrangères Earl Granville par le comte Bylandt signale qu’« une tendance provoquée par la portion la plus exaltée des populations musulmanes paraît se propager depuis quelque temps en vue de ramener ces diverses populations vers l’unité et le raffermissement de l’autorité en matière religieuse »336. Il prend à témoin les agissements du gouvernement d’Atchin en Indonésie dans sa lutte contre l’occupant hollandais. Ce gouvernement aurait envoyé un émissaire à Constantinople afin de solliciter l’intervention militaire du calife et, au retour, celui-

333 J. Gervais-Courtellemont, Mon Voyage à La Mecque, Paris, Desclée de Brouwer, 1990, p. 94.

334 A. Le Boulicaut, Au Pays des Mystères. Pèlerinage d’un Chrétien à La Mecque et à Médine, Paris, Plon-Nourrit

et Cie, 1913, p. 102.

335 Ibid., p. 143.

109 ci aurait fait étape à La Mecque afin d’exciter les passions religieuses des hajjis, particulièrement nombreux cette année. Alerté, Whitehall lance une enquête à l’échelle de ses différents postes d’Orient relative à la nature de ce « revival » politique et religieux. Les réponses, étalées entre septembre 1873 et janvier 1874, font apparaître un bilan contrasté d’un bout à l’autre de l’Empire ottoman. A Tunis, le consul Wood signale la présence de sociétés secrètes prônant le

djihâd et l’extermination des Chrétiens et dont les émissaires se rencontrent périodiquement à La

Mecque pour recevoir et donner des informations. Depuis l’introduction de la navigation à vapeur, ces émissaires seraient désormais à même d’agir simultanément et il ne fait nul doute que la Grande Mutinerie de 1857 a été programmée depuis cette ville337. A contrario, le consul du Caire souligne qu’étant donné la nature despotique du régime, il y a peu de chance qu’un mouvement politico-religieux puisse s’organiser338. Certes l’occidentalisation des élites est mal vécue en Egypte, écrit pour sa part le consul d’Alexandrie Stanley, et a pu susciter un certain réveil religieux caractérisé par une plus forte affluence dans les mosquées et la montée en puissance d’une presse religieuse publiant des vies du Prophète et des commentaires du Coran. Mais il serait hasardeux de parler de fanatisme339. Même constat s’agissant des Musulmans de Suez qui vivent en partie de l’économie du pèlerinage et dont la foi plus démonstrative serait plus une protestation contre les vapeurs du khédive qui leur aurait enlevé leur gagne-pain340. Aucune manifestation de fanatisme n’est en revanche signalée à Tripoli, à Jérusalem ou à Trébizonde tandis qu’à Erzeroum le consul Taylor relève que l’Islam est pratiqué de manière très laxiste, dans l’ignorance des rudiments les plus fondamentaux341. Enfin, de son côté, le consul général Longworth croit bon de signaler la grande tolérance religieuse qui règne dans la capitale de l’Empire depuis la fin de la guerre de Crimée. Avant d’ajouter cependant qu’il n’y aura de vrai réveil musulman « que si les Turcs se sentent humiliés »342.

Le panislamisme, idéologie d’un régime en crise

C’est pourtant à la Guerre de Crimée que l’historiographie fait aujourd’hui remonter l’origine du « panislamisme », défini comme un courant de pensée cherchant à promouvoir le regroupement des Musulmans de toutes confessions et de toutes origines sous une même autorité politique. Cette idéologie serait le fait de certains « Jeunes Ottomans » émigrés en Europe où ils auraient été marqués par les succès du panslavisme. A partir de 1872, le journal Basiret se fait

337 Ibid., dépêche du 4 octobre 1873. 338 Ibid., dépêche du 24 septembre 1873. 339 Ibid., dépêche du 29 septembre 1873. 340 Ibid., dépêche du 29 septembre 1873.

341 Ibid., dépêches du 17 septembre, 11 octobre, 25 septembre 1873 et du 13 janvier 1874. 342 Ibid., dépêche du 8 septembre 1873.

110 l’écho de ce courant de pensée, qu’il envisage comme réplique à l’expansionnisme européen et au déclin de l’empire. Le sultan Abdülaziz (1861-1876) est alors l’un des premiers à utiliser ce thème du repli sur des valeurs religieuses fédératrices contre la politique modernisatrice – dite des Tanzimat 343de ses prédécesseurs. Mais c’est sous son fils, le sultan-calife Abdülhamid II

(1875-1909) que cette idéologie rencontre le plus vif succès. Elle est la conséquence d’une triple crise, financière, militaire et coloniale traversée par l’Empire.

En 1875 en effet, l’Etat ottoman subit une banqueroute et il est placé sous la tutelle financière de la Banque Ottomane dominée par les Français et les Anglais. Deux ans plus tard, suite à la répression par l’armée ottomane d’une révolte fiscale dans les Balkans, la Russie déclare la guerre à La Porte. Sans l’intervention diplomatique de l’Angleterre et de l’Allemagne, l’Empire aurait été sur le point de s’effondrer sous le coup des armées russes prêtes à s’emparer d’Istanbul, cette « troisième Rome » du panslavisme. Or, à la différence de la guerre de Crimée, aucune puissance européenne ne s’est engagée militairement aux côtés des Ottomans. En effet, craignant les agissements russes en Asie centrale dans le cadre du « Grand Jeu », l’Angleterre a choisi le camp de la neutralité. Ce non-engagement britannique est d’autant plus mal vécu à Constantinople que la Grande-Bretagne est en proie à une vague de turcophobie orchestrée par le libéral Gladstone depuis la répression des Chrétiens des Balkans344. Pour les Ottomans, la « trahison » britannique devient patente lorsqu’à l’occasion du Congrès de Berlin de 1878 – qui consacre pour l’Empire la perte définitive de la majorité de ses territoires européens –, Londres prend part au partage des dépouilles de l’Empire en établissant son protectorat sur Chypre345. L’arrivée au pouvoir de Gladstone en 1880 ne fait que détériorer les relations entre les deux pays.

En l’espace de deux années, l’Angleterre, d’alliée essentielle, devient l’ennemie par excellence ; hostilité renforcée par la relance de l’impérialisme européen dans l’Empire ottoman, avec l’instauration du protectorat français en Tunisie en 1881 et l’occupation de l’Egypte par les armées britanniques l’année suivante.

Dans ce contexte d’« humiliation » de La Porte – pour reprendre les termes mêmes du consul Longworth –, le « panislamisme » fait figure d’idéologie anti-européenne. De par son

343 La période des « Tanzimat » correspond à la vague de réformes impulsées par l’Empire ottoman, sous la pression

des Européens, lors de la première « Question d’Orient » à partir de 1839.

344 Voir à ce sujet le pamphlet de Gladstone publié en 1876 : Bulgarian Horrors and the Question of East, Londres,

J. Murray, 1876.

345 Le Traité de Berlin du 13 juillet 1878 vient entériner la perte définitive de la Roumanie, de la Serbie et du

Monténégro - qui disposaient déjà d’une large autonomie et se voient reconnaître une indépendance définitive -ainsi que de la Bosnie et de l’Herzégovine dont l’administration est confiée à l’Autriche-Hongrie. La Bulgarie reste sous suzeraineté ottomane mais se voit reconnaître une large autonomie. En Turquie d’Asie, la Russie reçoit quant à elle les localités de Kars, Batoum et Ardahan.

111 imprégnation religieuse, il consacre le virage conservateur du nouveau régime, confirmé par l’abolition de la constitution en 1876. C’est en effet à cette époque qu’Abdülhamid II revendique sa double qualité de sultan et de calife, à savoir de protecteur des croyants de tout le monde musulman, qualité reconnue par le droit international aux sultans ottomans depuis le Traité de Küçük-Kaynarca de 1774, lequel reconnaissait le pouvoir spirituel de ces derniers sur les Tatars musulmans de Crimée. Ainsi, comme il l’écrit dans ses mémoires :

« Toujours et partout, il faut insister sur le fait que je suis l’Emir-ul-Muminin (le Prince des Croyants), mon titre de Souverain des Osmanlis ne doit venir qu’en deuxième ligne ; car notre religion est la base même de tout l’édifice politique et social de notre Etat »346.

Cette qualité de chef des croyants peut devenir une arme de représailles face aux puissances européennes qu’il accuse de soutenir les Chrétiens de l’Empire, et plus particulièrement les Grecs et les Arméniens qui « aujourd’hui encore font cause commune avec les puissances chrétiennes dont la Croisade contre le Croissant ne cesse jamais »347. Cette obsession du complot se double, chez le sultan, d’un véritable complexe obsidional. Celui-ci se sent encerclé de puissances hostiles : la Russie qui ne rêve que d’« étendre le panslavisme jusqu’au Bosphore »348, l’Italie qu’il accuse dès 1892 d’avoir des visées sur la Tripolitaine ou encore et surtout les Anglais, à ses yeux les plus perfides des adversaires. Contre ces derniers, il aime jouer de la menace du djihâd :

« Point n’est besoin d’être très intelligent pour comprendre que moi, le Calife, le Commandeur des Croyants, je pourrais d’un seul mot faire courir un grand danger à la domination anglaise dans l’Inde ».349

Afin de diffuser cette idéologie, Abdülhamid mobilise des moyens traditionnels comme les associations religieuses ou l’envoi d’émissaires – il est vrai facilité par le développement des moyens de communication à l’intérieur de l’empire – mais s’appuie également sur le potentiel de mobilisation de la presse écrite. Au début des années 1880, plusieurs titres, subventionnés par ses soins, constituent alors les vecteurs de cette idéologie, parmi lesquels le Vakit ou l’Osmanli en langue turque, le quotidien de langue arabe al-Jawa’ib délocalisé à Tripoli pendant la crise tunisienne et surtout le Peïk Islam, publié en turc et en ourdou à partir de 1881 puis supprimé après les récriminations du Foreign Office. La plupart de ces articles en appellent à la nécessaire

346 Ali Vahbi Bey, Pensées et Souvenirs de l’ex-Sultan Abdul-Hamid, Paris and Neufchatel, Altinger Frères, 1908, p.

172.

347 Ibid., p. 87. 348 Ibid, p. 146. 349 Ibid., p. 136.

112 union des Musulmans face au danger que représentent les appétits expansionnistes des puissances chrétiennes350. Ainsi un article du 26 mai 1881, intitulé « un nouveau succès du califat musulman » et publié dans l’Osmanli, célèbre la bannière du calife flottant sur La Mecque tout en appelant celui-ci à protéger les Musulmans contre les puissances chrétiennes351.

Le « Sultan-calife » a par ailleurs largement recours à l’instrument diplomatique. Ainsi plusieurs consulats sont-ils ouverts en Inde et en Afrique du Nord avec des missions de propagande. Sous l’influence de Jamâl ad-Dîn al-Afghani, une mission est même envoyée en Perse en 1896 afin d’étudier les modalités d’un rapprochement entre Sunnites et Chiites352. Mais, de tous ces moyens de propagande, le plus symbolique, et sans doute le plus efficace, reste le pèlerinage à La Mecque.

Une instrumentalisation du hajj à des fins politiques

A l’instar de ses prédécesseurs, Abdülhamid ne s’est jamais rendu en pèlerinage. Mais ce « prince des croyants » entend bien exercer pleinement sa qualité de « Serviteur des Deux Villes Saintes » (hadim el-Haremeyn el-Muhteremeyn). La protection des Lieux Saints constituant l’un des fondements de la légitimité califale, il y voit un moyen de resacraliser sa fonction impériale en gagnant à sa cause les milliers de pèlerins musulmans. Au Hedjaz, la propagande par l’écrit va dès lors tenir une place non négligeable353. En 1881, Süleyman Hasbi fait ainsi parvenir à

Abdülhamid un manuscrit intitulé « Traité sur l’Union pour le Bonheur du Millet islamique » où il insiste sur le hajj comme facteur d’unification et d’obéissance au calife354. Plus de deux cents opuscules à la gloire du nouveau sultan-calife auraient ainsi été publiés entre 1880 et 1908355.

La symbolique politico-religieuse liée au hajj acquiert, sous Abdülhamid, une importance centrale. A Istanbul, la cérémonie du mahmal transportant les cadeaux des Lieux Saints (surre

alyı), est particulièrement prisée par le sultan.

350 Telle est par exemple la ligne éditoriale du journal Pan-Islam fondé à Londres par l’avocat indien Suhrawardy en

même temps que l’association « Islam » et qui lui vaudra d’être décoré par Abdülhamid. J.Landau, op. cit., p.60.

351 Ibid., p. 57.

352 Ibid. p. 20 et pp. 326-227. Sans une lettre datée de 1892, Al -Afghânî aurait ainsi fomenté le projet d’un

rapprochement entre ces deux Etats et l’Afghanistan afin d’étendre l’influence du califat en Inde et provoquer une évacuation de l’Egypte par les troupes britanniques.

353 Dès 1873, l’ouvrage Ittihad-i Islam d’Esad Effendi, traduit en langue arabe, fut distribué lors du pèlerinage.

L’auteur y développe la nécessité d’union des Musulmans sous l’égide du calife d’Istanbul face aux agressions répétées des puissances chrétiennes. A. Özcan, op. cit., pp 34-37. Ce dernier confirme la présence de nombreux pamphlets et brochures panislamistes dans les archives stambouliotes. Toutefois l’absence de tels documents dans les séries françaises, anglaises ou italiennes que nous avons consultées peut nous conduire à penser que leur diffusion fut en réalité limitée parmi les pèlerins.

354 Ibid., p.24.

113 Illustration 4. La cérémonie du mahmal à Istanbul à la fin du XIXème siècle

Source : Imperial Self-Portrait. The Ottoman Empire as Revealed in the Sultan Abdul Hamid II’s Photographic

Albums. Presented as Gifts to Library of Congress (1893) and the British Museum (1894), Harvard, Harvard

University Press, 1988.

Au son de la marche « hamydié », un dromadaire en livrée dorée transporte dans les rues de la ville un palanquin de velours vert symbolisant l’autorité du calife sur les Lieux Saints356 (illustration 4).

Comme ses prédécesseurs, Abdülhamid contrôle les dons faits aux Lieux Saints par des princes étrangers. En septembre 1881, ordre est donné au gouverneur du Hedjaz de refuser une échelle en argent d'une valeur de 45 000 roupies envoyée par le Nawab de Rampur ainsi qu’une souscription de 40 000 roupies d'un riche Indien destinée à la rénovation de la Grande Mosquée357. Si bien que deux ans plus tard c’est au nom du sultan-calife que les murs sud-ouest de l’enceinte sacrée sont réparés, et une porte Hamidye est érigée. En 1892, celui-ci va jusqu’à faire broder ses initiales sur la kiswa recouvrant la Ka‘ aba.

Dans cette mission de gardien des Lieux Saints, le calife se pose en concurrent direct des chérifs mecquois. Il n’est dès lors pas surprenant que ce réinvestissement califal des Lieux Saints se soit accompagné dans la décennie 1880 d’un projet d’administration directe de la province du Hedjaz, laquelle jouissait jusqu’alors d’une large autonomie358. Tandis que le grand chérif, nommé parmi les représentants des familles hachémites présents à la cour d’Istanbul, est

356S. Deringil, op. cit.. Sur cette réactivation de la symbolique politico-religieuse sous Abdülhamid, voir le premier

chapitre « Long live the Sultan ! » Symbolism and power in the Hamidian Regime, pp. 16-44.

357 FO 195/1415, dépêche du 7 mai 1882. 358 Voir chapitre 3.

114 étroitement surveillé par le gouverneur (vali) de la province, le sultan prend le soin de s’attacher les notabilités arabes du Hedjaz par une politique de subventions. La dépendance financière et politique de la province à l’égard d’Istanbul s’en trouve renforcée359. Par ailleurs, c’est en se posant en gardien de l’orthodoxie, qu’Abdülhamid cherche à se rallier le soutien des oulémas conservateurs. Des pèlerins accusés de mahdisme ou wahhabisme sont alors ostensiblement internés ou exilés360.

Mais ce qui inquiète davantage les puissances européennes, c’est que le sultan s’affiche en protecteur de tous les pèlerins. Dès lors, la protection diplomatique exercée par des puissances