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Le hajj avant le « choc colonial »

B. Le hajj comme expérience anthropologique

L’arrachement et la route : quand le pèlerin se fait étranger

Comme l’écrit Alphonse Dupront, tout départ en pèlerinage est un arrachement. Arrachement à son environnement quotidien tout d’abord. Le départ en pèlerinage est en effet un moment solennel où le pèlerin prend congé, parfois pour plusieurs années, de sa famille, de ses affaires quotidiennes. Aussi, revêt-il l’aspect d’un deuil pour l’entourage. Le pèlerin indien Amir Ahmad Alawi retrace ce moment avec un certain pathos alors qu’il s’apprête à quitter sa qasba pour partir en pèlerinage, le 31 janvier 1929 :

« Je quittai ma maison le jeudi à 8 heures du matin. Une vingtaine de membres de ma famille remplissait le quartier des femmes. Toutes, qu’elles me soient apparentées ou non, paraissaient tristes. Ma mère leur avait ordonné de ne pas pleurer. D’où le calme stoïque de ce silence. Je me sentis maussade mais arrivai à me contrôler. J’essayai de parler de choses et d’autres mais personne ne voulait me regarder dans les yeux ou me parler. (…)

Afin de mettre un terme à cette scène poignante, je me levai, fis mes ablutions et prononçai deux

rakat. Puis je pris congé, d’abord de ma mère, suivie de mes parents. Ma fille cadette se dressait

devant la porte. Elle s’accrocha à moi et sanglota. Ses pleurs incitèrent les autres à faire de même. Tout le monde y alla de sa larme. Je la consolai aussi bien que je pus, contrôlai mes propres pleurs, et sortis en direction du quartier des hommes. Ici aussi des amis, des parents et des voisins s’étaient assemblés. Je confiai chacun à la garde d’Allah et m’approchai de la voiture. Mon benjamin, Nawab, qui me ressemble physiquement et m’est donc plus cher que les autres, et qui a vécu dix ans avec moi, se tenait devant la voiture. Il me vit et s’éloigna. Je lui fis signe de se rapprocher. Il s’exécuta sans me regarder. Je n’oublierai jamais ce geste. Comme lui, je restai calme et montai dans la voiture »114.

Car, plus encore qu’un arrachement temporaire à ses proches, le départ en pèlerinage s’apparente à une rupture plus radicale à l’égard de sa communauté d’appartenance qui semble, comme le montre cet extrait, ne plus reconnaître le pèlerin comme l’un des siens. Retraçant l’histoire des premiers pèlerinages orientaux, avant la conquête musulmane, Pierre Maraval rappelle ainsi que le mot latin « peregrinus » désignait à l’origine « l’étranger » par opposition au

114 A. Ahmad Alawi, Journey to the Holy Land. A Pilgrim’s Diary, Oxford, Oxford University Press, 2009, pp. 89-

38 « civis », le sédentaire qui a droit de cité115. Car, quel que soit son mode de locomotion, le pèlerin est d’abord un vagabond, un gyrovague, qui voyage à travers champs (per ager) et traverse les frontières (per eger)116. Comme le rappelle son étymologie arabe – « hadjadj » que les lexicographes arabes traduisent par « se rendre à » – la route est constitutive du pèlerinage117. D’où l’importance toute particulière que revêtent les modes de déplacement, à commencer par la marche qui se confond avec la figure traditionnelle du pèlerin. Or si un hadîth vient rappeler le caractère méritoire du pèlerinage à pied118, le texte coranique ne semble pas privilégier un mode de locomotion particulier119. Ainsi le pèlerinage peut très bien s’effectuer sur une monture (rahila)120, à condition toutefois que le pèlerin en soit propriétaire. Quant à la voie maritime, ce n’est jamais sans réticences que le pèlerin l’emprunte121. Menace d’une mort prochaine, la mer est la marque d’une punition à l’instar du « Grand Abyme » ou encore du Déluge de la tradition biblique122. Mais l’océan peut aussi évoquer, comme l’écrit Alain Corbin, la dimension pénitentielle, et par conséquent méritoire, qui imprègne l’univers du pèlerinage :

« L’océan parle aux âmes pieuses. Ses grondements, ses mugissements, ses colères abruptes peuvent être perçus comme autant de rappels de la faute des premiers hommes, voués à l’engloutissement ; son seul bruit, comme une invitation permanente au repentir ; une incitation à suivre la voie droite » 123.

Ainsi c’est avec une certaine appréhension qu’Alawi, cet « Indien de l’intérieur », s’embarque pour le grand voyage depuis le port de Bombay. D’autant que le pèlerin voyageur n’est jamais à l’abri d’une tempête, un classique du récit de pèlerinage depuis Ibn Jubayr à la fin du XIIème siècle, ou d’un accident comme le rappellent aujourd’hui encore certains faits divers

115 C’est seulement après l’apparition des premiers déplacements vers les Lieux Saints de Jérusalem sous Constantin

que le peregrinus devient pelegrinus. Cf. P. Maraval, Lieux Saints et Pèlerinages d’Orient. Histoire et Géographie

des Origines à la Conquête Arabe, Paris, Cerf et CNRS Editions, 2011 (2e éd.), p. 9.

116 J. Chélini et H. Branthomme (dir.), Les Chemins de Dieu. Histoire des Pèlerinages Chrétiens des Origines à nos

Jours, Paris, Hachette, 1982, p. 18.

117 M.-H. Vicaire, « Les trois itinéraires de pèlerinage aux XIIIe et XIVe siècles », in Le Pèlerinage, Toulouse,

Privat, 1980, p. 19.

118 Al-Ghazâli cite à ce sujet ‘Abd Allâh Ibn ‘Abbâs : « Faites le pèlerinage à pied car le pèlerin pédestre a pour

chacun de ses pas sept cents bonnes actions parmi celles accomplies en terre sainte ! », op. cit., p. 239.

119 Le Coran, versets 27-28 de la sourate XXII « Le Pèlerinage » : « Appelle les hommes au pèlerinage / ils

viendront à toi, / à pied ou sur toute monture élancée. / Ils viendront par des chemins encaissés / Pour témoigner des bienfaits qui leur ont été accordés ». Le Prophète fit lui-même son Pèlerinage d’Adieu sur une chamelle.

120 El-Bokhârî cite le hadîth suivant : « Ne sangle pas la selle de ton chameau sauf (pour aller) à trois mosquées : la

Mosquée sacrée (de la Mecque), la Mosquée de Jérusalem et la Mosquée (à Médine). », L’Authentique Tradition

Musulmane, choix de hadîths traduits par G.-H. Bousquet, Paris, Sindbad, 1964, p. 122.

121 X. de Planhol, L’Islam et la Mer. La Mosquée et le Matelot, VIIe-XXe siècles, Paris, Perrin, 2000.

122 Cette hantise est d’autant plus surprenante que l’eau revêt une connotation positive dans la cosmogonie coranique

où elle est fréquemment associée à la mer qui porte les bateaux, à l’eau fécondante, voire aux rivières du Paradis. D. Urvoy, Histoire de la Pensée Arabe et Islamique, Paris, Le Seuil, 2006, pp. 41-42.

39 tragiques124. Car, à l’instar de toute existence humaine, la route de pèlerinage est parsemée de dangers, physiques ou moraux, lorsque le pèlerin musulman, craignant pour le salut de son âme, est amené à voyager avec des infidèles. En effet, une fois quittée sa terre natale, le pèlerin se trouve vite confronté aux « épreuves du chemin »125. De récit d’errance, le récit de pèlerinage se fait souvent récit d’aventures où les vexations des douaniers ou des transporteurs le disputent aux attaques de brigands. Ces dangers de la route – où le pèlerin semble jouer sa vie à tout moment – suscitent chez ce dernier un vif désir de protection. La chrétienté médiévale a ainsi permis la définition d’un véritable « statut de pèlerin » visant à faciliter le déroulement de son voyage, son hébergement dans les hôtelleries et la protection de ses biens et de sa famille pendant son absence126. Le pèlerin musulman n’est pas en reste : il choisit de préférence les voyages en caravanes, souvent armées, trouve à s’abriter dans des ribat, des « tekkiés » (tekke) ou des

zâwiyat de confréries et peut se voir accorder certains privilèges douaniers selon le territoire

qu’il traverse.

Ce besoin – quasi-biologique – de protection coïncide également avec un désir de sacralisation de l’espace. Comme le rappelle Alphonse Dupront, c’est par la décision même de partir en pèlerinage, que « s’amorce, le processus de sacralisation qui consacre la geste pèlerine »127 . Ainsi la marche du pèlerin musulman est-elle ponctuée par la récitation permanente de versets du Coran, formules de bénédiction et autres aumônes. Pour Al-Ghâzâli, il n’est aucune étape de la route qui ne soit ponctuée par des prières. Au moment de partir, le pèlerin récite une prière composée de deux raka’at, suivie de la première sourate (« L’ouverture ») – manière de préciser que le pèlerinage est aussi un voyage symbolique à l’intérieur du texte sacré –, puis de la cent neuvième (« Des incrédules »), qui vient instituer une frontière symbolique entre dâr al-islâm –ou territoire de l’Islam– et dâr al-kafr –territoire des infidèles– ou dar al harb –territoire de la guerre. Le franchissement du seuil, le chevauchement de la monture font également l’objet de prières spécifiques, au même titre que l’arrivée à l’étape ou le franchissement d’un promontoire.

124 Mentionnons ici la catastrophe du navire « Al-Salam 98 » qui coula dans la nuit du 2 au 3 février 2006, entraînant

la mort de près de 1 000 passagers, principalement égyptiens : « Nombre de navires qui assuraient la liaison entre l’Arabie Saoudite et l’Egypte, notamment pendant la période du pèlerinage à La Mecque qui vient de s’achever, ne répondent pas aux normes de sécurité. Fatigués, mal entretenus, ils ne sont pas préparés à affronter des conditions de mer difficiles (…) De nombreux naufrages ont eu lieu dans cette région truffée d’ilots et de récifs de corail. Cela avait été le cas en 1991, lorsqu’un ferry assurant la liaison entre Djeddah et Safaga s’était échoué sur un récif, provoquant la mort de près de 500 passagers ». Article « Catastrophe maritime en mer Rouge » in Le Figaro des 4 et 5 février 2006, p. 3.

125 D. Julia, Gilles Caillotin, Pèlerin. Le Retour de Rome d’un Sergier Rémois, Rome, Ecole Française de Rome,

2006, pp. 325-368.

126 P.-A. Sigal, Les Marcheurs de Dieu, Paris, Colin, 1974, pp. 54-58. 127 A. Dupront, Du Sacré, op. cit., p. 373.

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« Pendant son voyage, écrit Antoine Galland, il [le pèlerin] fera plus de prières qu’à l’ordinaire car conformément au Coran, les prières du voyageur sont toujours exaucées »128.

Le sacré se manifeste aussi pendant les haltes du pèlerinage : dans les zâwiyat des confréries où les pèlerins de passage sont hébergés, auprès du tombeau d’un saint de l’Islam129, dans les villes savantes comme Le Caire où certains pèlerins séjournent parfois jusqu’à plusieurs années pour parfaire leur éducation religieuse. Car, en même temps qu’il est épreuve du corps, le

hajj est conçu comme une épreuve morale, la réalisation d’un grand djihâd130, ou effort sur soi-

même dirigé contre le Mal131.

Figure familière de l’Islam au même titre que le marchand, le pèlerin n’en demeure pas moins l’Etranger essentiel. S’il apporte la paix dans la demeure de son hôte, il constitue toujours une menace potentielle à l’instar du vagabond ou du brigand avec qui il partage son caractère ambulant. On l’accuse tantôt de vol, tantôt de porter avec lui des maladies comme s’il avait été à sa façon contaminé par les dangers de la route. Pour les sociétés qu’il traverse sa mobilité même est une menace pour la stabilité de l’ordre établi et il représente un facteur d’entropie – pour reprendre l’expression de Georges Balandier132. En termes anthropologiques, cette menace figurée par le pèlerin appelle nécessairement un processus de purification.

128A. Galland, Recueil des Rites et Cérémonies du Pèlerinage de La Mecque, Paris, Desaint et Saillant, 1754. 129 Dans cette dernière hypothèse, certains pèlerinages locaux peuvent avoir une valeur substitutive au hajj,

notamment pour les pèlerins pauvres ou affaiblis : c’est le cas de la ziyâra à la tombe du marabout Sidi Bosgri dans l’Atlas ou encore de celle de Benda Nuwâz à Kalburga en Inde. I. Goldziher, « Veneration of Saints in Islam » in

Muslim Studies, Londres, G. Allen & Unwin Ltd, vol. II, 1971, pp. 286-290.

130 On retrouve cette symbolique du pèlerinage comme effort sur soi-même dans le christianisme. Ainsi le Puritain

anglais John Bunyan, auteur d’un Voyage du Pèlerin, est-il également l’auteur d’un autre ouvrage intitulé Guerre

sainte où il compare la foi du Chrétien à un combat armé. Sur ce point, voir P. de Robert, « Les camisards et la

tradition biblique » in P. Cabanel et P. Joutard (dir.), Les Camisards et leur Mémoire 1702-2002, Actes du colloque de Pont-de-Montvert des 25 et 26 juillet 2002, Montpellier, Les Presses du Languedoc, 2002, pp. 53-60.

131 Selon un hadîth, Muhammad aurait dit « Le meilleur des djhâds, c’est un pèlerinage pieusement accompli », El-

Bokhârî, op. cit., p. 123.

132 Georges Balandier définit l’ordre politique comme « ce qui résulte, pour toute société, de la nécessité de lutter

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Liminarités : le hajj comme mort à soi-même et rite de purification

A l’approche du périmètre sacré, le pèlerin se défait temporairement de son identité sociale et culturelle pour revêtir un vêtement sacré (irhâm). Composé de deux bandes d’étoffe blanches – la rida‘ qui se porte sur l’épaule et l’izar qui recouvre le bas du corps – cet irhâm a une signification eschatologique puisqu’il symbolise le linceul de mort dans lequel chaque homme paraîtra le jour du Jugement Dernier.

Illustration 1. Pèlerins algériens en tenue d’irhâm en 1905

Source : rapport de M. Gillotte, Archives d’Outre-Mer (AOM), Gouvernement Général de l’Algérie (GGA), 18 Fi 54, cliché n°28

Cette mort à soi-même, cette perte assumée d’identité fait du pèlerin un « liminariste »133, un simple passager dans un entre-deux assimilé à une petite mort. En état de sacralisation (muhrim), le pèlerin se voit proscrire toute emportement physique – rapport sexuel, acte de violence – ou verbal – controverses qui pourrait faire obstacle à la libre expression de la pulsion pèlerine qui est élan et rencontre avec le divin. Cet état d’« interdiction à soi-même »134 est matérialisé par le sacrifice de la chevelure et des ongles, coupés au moment de revêtir l’irhâm, ainsi que par la talbiya que le pèlerin prononce en pénétrant dans l’enceinte de la Mosquée sacrée135. A la suite de Victor Turner, les anthropologues ont assimilé ces prescriptions à un rite de passage où le pèlerin se défait de tout statut pour accéder à la « communitas », cette « communauté non structurée ou structurée de façon rudimentaire et relativement

133 L’expression est de Victor Turner, Le Phénomène Rituel. Structures et Contre-Structures, Paris, PUF, 1990 (trad.

française).

134 A. Hammoudi, Une Saison à La Mecque, Paris, Le Seuil, 2005, pp. 123-146.

135 Les paroles de la talbiya sont les suivantes : « Me voilà, ô Seigneur, me voilà. Me voilà, Tu n’as pas d’associé,

42 indifférenciée »136. Si la communitas fait figure de « contre-structure », par opposition à la « structure » que constituent les sociétés organisées, il serait pourtant erroné de l’identifier à une sorte de société religieuse d’où le politique serait banni. Car la « communitas » est précisément ce qui rend possible la structure. En d’autres termes, l’expérience collective du hajj est ce qui vient fonder l’Islam comme communauté politique et religieuse.

L’approche de la Ka‘aba correspond à une nouvelle étape de purification caractérisée par le rituel de circumambulation.

La Ka‘aba constitue le centre de l’Islam. Elle a contribué à faire de La Mecque cette « mère des Cités », ce « nombril du monde » auquel aboutissent de nombreuses voies que les géographes arabes, depuis Le Livre des Routes et des Provinces d’Ibn Khurdadhbih au IXème siècle, se sont efforcés de retracer. Elle est aussi la direction de l’Islam en prière137, cette qibla que l'astronomie mathématique classique cherchait à déterminer par l'application de théorèmes géométriques quand une certaine astronomie populaire lui préférait l’observation empirique des alignements des astres et de la direction des vents138. La Ka‘aba exerce une polarité sur la communauté des croyants qui peut se mesurer en étendue comme en intensité. Pour le pèlerin, elle est le but suprême qui imprime une tension permanente sur sa marche. Pour le mystique soufi, elle constitue la première étape d’une fusion avec la divinité. Ainsi faut-il comprendre la définition que Louis Massignon donne du pèlerinage comme un « mouvement orienté, indéviable, comme un vœu du lieu qu’il vise pour le dépasser »139. Cette pérégrination est donc psychique et spirituelle tout autant que physique ; et la route, de simple sentier, peut devenir la voie intérieure (tarîqa) qui mène à la Vérité. Dès lors, comme l’écrit Christian Jambet, « l’espace n’est donc pas un espace que l’on mesure, mais un espace où l’on pérégrine »140, un espace qualitatif, un lieu de croisement entre la terre et le ciel, un pôle cosmique141. Ainsi le rite de circumambulation (tawâf) est-il censé reproduire la ronde des anges autour du temple céleste, ou la rotation des sphères autour de la Terre142. Dans l’Islam populaire, le rite de circumambulation

136 V. Turner, op. cit., p. 97.

137 Verset 144 de la sourate II : « Nous te voyons souvent la face tournée vers le ciel / nous t’orientons vers une Qibla qui te plaira. Tourne donc ta face/dans la direction de la Mosquée sacrée. Où que vous soyez, /tournez votre face dans sa direction. »

138 D.A. King, article « Makka », Encyclopédie de l’Islam, op. cit. pp. 164-170.

139 L. Massignon, « El-Hallâj, mystique de l’Islam » (1949), in Sur l’Islam, Paris, l’Herne, 1995, pp 37-38.

140 « Pour une esthétique de l’espace en Islam », in Mohammad Ali Ami-Moezzi, Lieux d’Islam, Paris, Ed.

Autrement, 1996, p. 21.

141 M. Eliade, Traité d’Histoire des Religions, Paris, Payot, 1959, p. 317.

142 « La Ka’ba (au milieu de la mosquée, puis du territoire sacré, puis du Hedjaz, puis des pays musulmans)

symbolise la Terre (au milieu de la sphère de l’air, puis des sphères célestes successives). Les tournées que les pèlerins effectuent autour de la Ka’ba à des allures et des vitesses différentes (mais dans le même but) symbolisent

43 est aussi un moyen de contenir le magnétisme exercé par cette polarité, l’énergie pure et bienfaisante – la fameuse baraka – qui rayonne de la Pierre Noire (al-hadjâr al-aswad). Cette

baraka est l'illustration du caractère contagieux du sacré qui ordonne de tracer une frontière

étanche avec le monde profane143. Une fois la Ka‘aba approchée, c’est en intensité qu’il convient désormais d’appréhender le pèlerinage. Dans Les Révélations mecquoises, Ibn Ârabi oppose le

hadj, mouvement horizontal des pèlerins vers La Mecque, au hidj de la station d’Arafat qui

traduirait une idée de verticalité, d’ascension vers le divin144. Le pèlerin égyptien Al-Batânûnî témoigne de cette intensité :

« Si nous n’avions pas été témoin du mouvement des corps et de l’élévation des mains pendant la prière, des paroles d’humilité, si nous n’avions pas entendu le battement des cœurs devant cette grandeur infinie ; nous nous serions crus transportés vers une autre existence. Et vraiment nous étions à cette heure dans un autre monde : nous étions dans la maison de Dieu et dans la présence immédiate de Dieu »145

Le hajj comme rite de participation et de réintégration

Après les rites mecquois, les cérémonies du hajj proprement dit manifestent la « communitas » dans sa plénitude sous la forme d’une série de « rites de participation ». La Station (wukûf) à Arafat consiste pour les pèlerins à se rassembler près du Djabal Al-Rahmâ – ou Montagne de la Miséricorde – en vue de la rémission de leurs péchés. Ce lieu de rassemblement, où convergent des milliers de fidèles venus des quatre coins du dâr al-islâm, est la manifestation la plus éclatante de l’universalité de l’umma. Quand cette cérémonie tombe un vendredi, le hajj devient hajj al-akbar, – jour de grand pèlerinage. Des bénédictions spéciales se répandent alors sur les pèlerins et l’Islam tout entier. Car, lieu de la re-connaissance – ‘arafa signifie étymologiquement le fait de connaître – d’Adam et Eve après leur expulsion du Paradis terrestre, Arafat symbolise, après la dispersion, le retour à l’état d’origine où les Musulmans se reconnaissent comme frères. Origine et fin du monde, Arafat est le lieu d’un « retour

les rotations des sphères autour de la Terre. Mais elles symbolisent aussi les révolutions des astres (…). Les pèlerins allant vers la Ka’ba ou en revenant symbolisent ainsi les planètes qui tantôt descendent de leur apogée en direction