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Manifestations de l’ethnicité dans les deux Églises (UEEC et EFLC)

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 194-200)

Les confrontations ethniques sont manifestées par plusieurs actes dans les Églises protestantes du Nord-Cameroun. Parmi ces actes, se comptent les bras de fer entre les pasteurs des chapelles locales et les responsables d’Églises, les affectations punitives des pasteurs affiliés aux minorités, l’exposition des autorités des Églises par des lettres ouvertes et des publications diverses dans les réseaux sociaux.

Les bras de fer entre les minorités et les majorités des deux Églises

Le bras de fer est entendu dans le cadre de ce travail comme une rude compétition opposant deux personnes ou deux groupes, déterminés chacun à vaincre l’adversaire. Dans les deux églises évoquées, le bras fer s’est manifesté par des actions offensives et défensives entre les responsables d’Églises incarnant la voix des majorités et les groupes des pasteurs qui estiment être lésés. Les actions des responsables d’Églises portant la voix des majorités ethniques des deux dénominations ont consisté en l’exclusion temporaire ou définitive des pasteurs et des laïcs jugés rebelles (Cf. Lettre du 17 février 2007 adressée à Caré Isaac et Koumai Joseph par le bureau du président de l’EFLC), le blocage des dossiers de continuation des études théologiques ou de sollicitation des subventions y afférentes desdits pasteurs, les affectations punitives, et la « mise en quarantaine » des églises locales et paroisses impliquées dans la contestation des décisions venant de leur hiérarchie. Ces « forces de frappe » des majorités ethniques sont liées à leurs prérogatives de leaders d’Églises. C’est à ce titre que certains présidents d’Églises disent qu’ils ont des griffes sont plus longues que ceux de leurs collaborateurs pasteurs (Cf. Lettre ouverte aux CE, Districts, Paroisses, adressée au Comité Exécutif de l’UEEC le 28 Octobre 2014 par le président de la paroisse de Yaoundé).

La mise sous discipline est une sorte de punition qui consiste à provoquer l’arrêt temporaire ou définitive des activités des pasteurs. La principale conséquence de cette punition est la coupure des subsides1. Plusieurs pasteurs de l’EFLC impliqués dans les revendications et le mémorandum ont subi cette sanction. Une des lettres adressées par le conseil d’administration de l’EFLC aux pasteurs licenciés2 stipulait que : « nous vous rappelons, conformément aux résolutions du conseil général de l’EFLC tenue à Garoua les 18 et 19 décembre 2003, […] la décision de perte de qualité des membres de l’EFL signée le 19 Août 2004, […] vous avez été exclus de l’église » (Cf. Lettre du 17 février 2007 adressée à Caré Isaac et Koumai Joseph par le bureau du président de l’EFLC). À l’exclusion des membres du clergé, s’ajoute le blocage de leurs privilèges et la mise en quarantaine des églises enrôlées par les minorités contre la hiérarchie.

Le blocage des privilèges est l’une des actions énergiques que les présidents des deux églises prennent pour mettre en péril les projets engagés par des pasteurs jugés rebelles. Le plus souvent, ces actions consistent à dénigrer ceux-ci auprès des autorités administratives ou à bloquer leur projet de continuation d’études, par le refus de leur accorder des lettres de recommandation aux instituts théologiques (Cf. Lettre ouverte aux CE,

Districts, Paroisses, adressée au Comité Exécutif de l’UEEC le 28 Octobre

2014 par le président de la paroisse de Yaoundé, pp. 7-8 et 11). À ce titre, les minorités de l’UEEC ont déploré l’affectation à Maroua d’un pasteur de Yaoundé qui aurait eu l’autorisation de s’inscrire en thèse de Doctorat à l’Université Protestante d’Afrique Centrale de Yaoundé (UCAC) (Ibid.). Pourtant, les majorités ethniques justifient cette affection par le fait que ce pasteur ne peut être en même temps pasteur d’une Église et Étudiant. Or, la plupart des pasteurs de cette dénomination ecclésiastiques, résidant à Yaoundé, ont été étudiants et pasteurs dans les instituts théologiques tels la Faculté de Théologie Évangélique du Cameroun(FACTEC).

La mise en quarantaine est pour sa part une tactique utilisée pour ignorer, déconsidérer ou mépriser les chapelles qui perpètrent des attaques contre la hiérarchie. Cette tactique consiste à ne pas visiter ces chapelles, ne pas répondre à leurs correspondances offensives, limiter les entretiens avec les

1La coupure des subsides consiste en la confiscation du salaire, des denrées alimentaires ou de

toute aide permettant aux pasteurs et les membres de leurs familles de gérer les besoins essentiels.

2 Cf. Lettre de diagnostic et de bilan adressée le 12 Décembre 2011 au président de l’EFLC par

responsables desdites Églises, ne jamais solliciter de leur service et les laisser en débandade. Cette tactique a permis à un président de l’UEEC de sauver l’Église d’un éventuel schisme, au moment où les minorités perpétraient des menaces contre leur hiérarchie en vue de stimuler la vengeance et les affrontements. La chapelle de l’UEEC de Yaoundé Bastos a connu cette mise en quarantaine suite à la contestation de l’affectation de leur pasteur entre 2013-2017.

Les affectations punitives quant à elles, constituent l’une des armes efficaces tenues par les majorités ethniques groupées autour des leaders des Églises. Ces leaders utilisent ce pouvoir pour discriminer, favoriser, ou régler les comptes des minorités selon qu’ils soient des alliés, des rebelles ou des contestataires (Cf. Lettre ouverte aux CE, Districts, Paroisses, adressée au Comité Exécutif de l’UEEC le 28 Octobre 2014 par le président de la paroisse de Yaoundé). À l’UEEC comme à l’EFLC, les minorités ont dans la plupart des cas, déploré les lieux d’affection de leurs alliés. Il s’agit généralement des villages enclavés où on note d’une part, la rareté des infrastructures éducatives et sanitaires, et d’autre part, l’inadéquation entre l’effectif numérique de la famille des pasteurs et leurs logements et salaires. Certains pasteurs sont même réduits en des nomades à cause de leurs mutations intempestives qui ne tiennent pas compte des mandats définis dans les textes. C’est à juste titre qu’un pasteur affecté à la suite d’un différend l’opposant à certains fidèles affiliés à la majorité ethnique a pu dire :

« La possibilité donnée aux membres du CE (Bureau du District, Bureau de la Paroisse) de pouvoir affecter les serviteurs […] semble être utilisée dans de nombreux cas par eux, comme une arme pour punir les uns, terroriser les autres, mettre les éventuels concurrents en difficultés, placer ses amis et ses frères à des postes dits « juteux » et « stratégiques », déplacer ceux qu’on ne veut pas voir à la tête de certaines églises, paroisses ou districts, sans tenir compte de leurs mandats électifs bien que prévus par nos textes et tant pis pour ceux-là qui n’ont pas des frères, d’amis ou ne faisant pas partie du réseau, de leur réseau » (Ibid).

Lors des affectations de 2017 par exemple, les Guiziga de l’UEEC ont déploré l’affectation de leur frère de Ngong à Godigong (Cf. entretien avec Yougouda Elisée, fidèle de l’UEEC, le 20 juillet 2017 à Yaoundé) et les Moundang de l’EFLC se sont interrogés sur les motivations qui ont débouché aux mutations de deux de leurs frères dont l’un muté de Ngaoundéré à Nkoteng et l’autre de Garoua à Tcholiré (Dama Epenetus, entretien du 30 juillet 2017). Ces mutations à connotation disciplinaire ont pour principal objet, la mobilisation d’un bon électorat, par les jeux de règlement des comptes, du

clientélisme et du tribalisme (Cf. Lettre de diagnostic et de bilan adressée le 12 Décembre 2011 au président de l’EFLC). Dans ce contexte, les pasteurs qui veulent garantir leur place dans les chapelles juteuses sont tenus à être dociles et ne doivent rien réclamer, rien suggérer, rien critiquer et surtout se faire compter parmi les électeurs des leaders des églises (Ibid.). Pour faire face à leurs adversaires, les pasteurs indignés et les minorités ont farouchement secoué leur hiérarchie. Leurs actions ont consisté en l’insubordination, la dénonciation des vices des présidents d’Eglises et des plaintes auprès des autorités administratives et judiciaires.

L’insubordination des pasteurs se traduit par le refus catégorique des instructions de la hiérarchie. Parmi les marques de cette insubordination, on peut énumérer la contestation des mutations et le refus d’assister aux réunions convoquées par les hiérarchies. En 2014 par exemple, deux pasteurs de l’UEEC ont, avec la complicité des anciens d’églises déterminés à combattre la hiérarchie, refusé de rejoindre leur poste de mutation (Cf. Lettre ouverte aux CE, Districts, Paroisses, adressée au Comité Exécutif de l’UEEC le 28 Octobre 2014 par le président de la paroisse de Yaoundé). Ces anciens d’église ont, par une correspondance adressée à leur hiérarchie, défendu mordicus que leur pasteur ne se déplacera pas, et celui qu’ils sont censés recevoir n’est pas le bienvenu. Il s’agit là, d’un défi qui met la hiérarchie dans l’impasse en raison de l’autonomie financière des églises locales.

La dénonciation des vices de la hiérarchie est le deuxième moyen par lequel les minorités défient les majorités occupants les postes dans les directions générales des églises. Refusant ces dénonciations, les majorités déplorent l’exposition des différends qui les opposent au sein des Églises, sous prétexte qu’il s’agit des problèmes internes. Réagissant à un des ultimatums y relatif, un jeune de la partie minoritaire de l’UEEC affirme : « peut-on empêcher la fumée d’échapper d’une marmite effervescente ? N’est-il pas bon de vomir ce qui nuit l’organisme ? Je vais dénoncer pour ne pas m’étouffer et attendre le changement » (Entretien du 21 mars 2017 avec Djouldé Martin à Yaoundé). Les actes dénoncés sont entre autres, le tribalisme, les détournements, les abus de pouvoir, l’adultère et la magie (Cf. Lettre de diagnostic et de bilan adressée le 12 Décembre 2011 au président de l’EFLC). Parlant du tribalisme, les minorités décrient le comportement par lequel les responsables d’Églises issus des ethnies majoritaires interviennent promptement dans les affaires des églises locales pour soutenir leurs frères. L’intervention partisane d’un responsable de l’UEEC dans une affaire opposant les Mafa aux responsables de l’église de Yaoundé, à propos de la gestion d’une caisse d’épargne et développement, le prouve à suffisance (Cf. Lettre du 28

Octobre 2014 adressée au Comité Exécutif de l’UEEC par le président de la paroisse de Yaoundé).

Les plaintes portées auprès des autorités administratives et judiciaires par les minorités constituent un autre défi allant dans le sens du bras de fer entre les deux groupes. Par ces plaintes, les minorités veulent démontrer aux majorités en général et aux présidents des Églises en particulier, que les bons arbitres des litiges qui les opposent sont à l’extérieur de l’église. À l’EFLC, les minorités regroupées autour du mouvement appelés Comité de Gestion des Lettres Ouvertes et du Mémorandum (COGELOM), constitué des pasteurs et des laïcs lésés (minorités) de l’EFLC, ont porté plaintes plusieurs fois contre le président de l’Église dans les Tribunaux de Garoua et adressé leur doléances aux sous-préfets, préfets et Ministre de l’Administration Territoriale (Cf. Lettre N°030/L/GRA du 20 Août 2004, adressée au Sous-préfet de l’arrondissement de Kaélé). Cette astuce adoptée par les minorités est perçue comme un mépris de la personnalité des leaders d’églises. Car, selon ces leaders, ils devraient être les seuls habilités à trancher les différends liés à la vie des Églises quel que soit leur complexité. La plainte auprès des autorités administratives n’ayant pas toujours permis aux minorités d’avoir gain de cause, celles-ci ont opté pour l’exposition de leurs leaders d’Églises.

L’exposition des autorités d’Églises par des lettres ouvertes et publications diverses dans les réseaux sociaux et les journaux

L’exposition des autorités d’Églises impliquées dans les discriminations est une action entreprise par des minorités ethniques. Elle est l’œuvre des pasteurs oppressés, des jeunes issus des ethnies minoritaires et des intellectuels constitués des enfants d’ex-pasteurs. Les lettres ouvertes aux grands publics, les messages publiés à travers les réseaux sociaux et des propos diffamatoires transmis oralement sont les moyens utilisés par ces minorités pour exposer leurs hiérarchies et partant, revendiquer l’égalité. Pour justifier la nécessité d’invectiver les abus des majorités ethniques en général et celles des présidents d’Église en particulier, un jeune pasteur affirme :

« Nous, ethnies marginalisées de notre Église, n’avons ni force, ni pouvoir face au nombre exorbitant des pasteurs du Mayo Tsanaga et à l’accaparement des postes stratégiques par eux depuis des lustres. Cependant, nous avons les yeux pour voir, les oreilles pour entendre et la faculté de restituer toutes injustices que nous subissons, grâce à nos écrits orientés exclusivement vers la dénonciation du tribalisme, du clanisme et du népotisme. Les réseaux sociaux en vogue de nos jours nous

faciliterons cette tâche » (Cf. entretien avec un pasteur de l’UEEC qui a requis l’anonymat le 27 mai 2017 à Yaoundé).

Dans l’une de ses fameuses lettres, un pasteur de l’UEEC a exposé le président national de cette association religieuse pour le comportement tribaliste qu’il a manifesté dans une affaire interne à une église locale. Cette lettre indique que le mensonge, l’injustice, le tribalisme, la désinformation, les coups bas et l’humiliation des collègues sont les moyens par lesquels ce président abuse de son titre pour punir ses collègues pasteurs qui ne veulent pas s’aligner derrière la volonté de ses frères ethniques dans les églises locales (Cf. Lettre ouverte aux CE, Districts, Paroisses, adressée au Comité Exécutif de l’UEEC le 28 Octobre 2014 par le président de la paroisse de Yaoundé). La version numérique de cette lettre a par ailleurs été envoyée dans les boites mails de plusieurs membres de cette Église. Dans la même logique, une page Facebook, créée d’abord pour d’autres fins par les jeunes de l’Église, a été réduite en une tribune de dénonciation des abus de la direction générale de l’Église, dans un contexte de crises ethniques. Les publications et les commentaires1 postés dans cette page mettent en exergue deux groupes. Le premier est celui des jeunes intellectuels de la classe des minorités et leurs alliés qui, s’alignant derrière un pasteur victime d’abus, dénoncent la confiscation des pouvoirs de l’Église par une ethnie, expose les impérities du leader d’Église et mettent en cause le bureau clanique. Le second groupe est celui des jeunes affilés aux majorités ethniques. Ceux-ci réhabilitent le bureau national et s’insurgent contre les dénonciations faites par leurs adversaires en vue de voiler le comportement malsain des leaders hiérarchiques. Les majorités pour leur part justifient leur abus par des accusations faites contre les pasteurs des Églises jugées rebelles en indiquant qu’ils sont impliqués dans le détournement de faramineuse somme d’argents. C’est à juste titre que, le journal « Œil du Sahel du 19 juin 2019 » indiquait qu’un pasteur de l’UEEC est radié sur fond de scandale financier (Journal Œil du Sahel, N°1228 du 19 juin 2019, p.3-4).

À l’EFLC, les lettres ouvertes ont été une arme utilisée par les minorités contre les majorités. Entre 2003 et 2016, plus de cinquante lettres ont été rédigées en vue de mettre à nu les abus de la hiérarchie (Panya Titus, Ex-porte- parole des églises de Didjoma, dans la crise opposant les Moundang à la hiérarchie de l’Église, entretien du 20 juin 2017). Ces lettres dénoncent les

1 « Journal en marche », 03 mars 2017 et 10 août 2017.

discriminations, les abus de pouvoir, le népotisme, la mauvaise gestion des finances, les détournements etc. (Cf. Lettre de diagnostic et de bilan adressée le 12 Décembre 2011 au président de l’EFLC). Ici, les échanges épistolaires se sont passés entre la hiérarchie et le Comité de Gestion des Lettres Ouvertes et du Mémorandum (COGELOM). Les contenus des lettres adressées à la hiérarchie exposent des récriminations, tandis que ceux de la hiérarchie adressée aux minorités présentaient des justifications militant à prouver leur transparence dans l’administration des hommes et des biens de l’Église.

Les répercussions des crises ethniques dans la vie des églises

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 194-200)