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Cadre méthodologique

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 91-96)

Dans ce travail nous abordons le discours de la persuasion afin d’identifier les stratégies persuasives utilisées par les terroristes. Cela implique une étude du fonctionnement de la persuasion dans le discours oral. Nous développons cette thèse à partir d’un corpus audio religieux1

qui sera défini par la suite. Nous définirons aussi la méthode adoptée pour la collecte des données, la taille du corpus utilisé, et les difficultés rencontrées tout au long du travail. S’agissant du cadre méthodologique, nous exposerons les procédures qui ont orienté nos pensées.

Recueil des données : corpus religieux-vidéo

La période de recueil de données s’est déroulée en juin 2017, soit pendant une période d’une semaine. Nous avons en moyenne recensé un total de 06 discours d’environ 2h30 minutes d’enregistrements vidéo. Les données ont été recueillies sur le site Internet : https://www.dailymotion.com/.../x1ymjo9_le-discours-du-leader-

bokoharam2. Ce site Internet met à disposition des discours appartenant au leader de Boko Haram lors de leur sortie médiatique qui vise soit à séduire l’auditoire, soit à lancer des menaces à l’endroit des hommes politiques occidentaux et africains, et soit enfin à la revendication des crimes perpétrés.

Transcription

1 Nous qualifions de ce discours de religieux puisque les leaders présentés dans ces

vidéos font des prêches simulables aux prêches d’imams dans les mosquées à la seule différence que le contenu des prêches des imans a une vocation de tolérance et de paix tandis que ceux de leaders de Boko Haram sont extrémistes

Les transcriptions constituent une partie importante d’un travail de recherche. Ce sont elles qui rendent possible l’utilisation d’un corpus oral. Mais comment réaliser cette transcription ? La transcription phonétique n’est pas très lisible et n’est pas nécessaire ici. La meilleure façon de transcrire est celle qui suit les chemins de la cohérence. Elle doit tout simplement être la reproduction de ce qui a été dit. Il faut noter que la transcription en français dont nous avons hérité se trouve sur le même site internet supra. Tout compte fait, au regard de ce qui précède, nous avons présenté les notions, les fondements et les principes préliminaires de notre article. Reste maintenant à entrer de plein pied dans l’analyse de la rhétorique extrémiste proprement dite.

Discours persuasif : analyse du discours de Boko Haram En nous fondant sur les présupposés théoriques étudiés auparavant, nous développerons l’analyse du corpus qui consistera à décrypter la rhétorique religieuse de Boko Haram et comprendre comment cette rhétorique peut produire la construction du sens. Nous cherchons à identifier des éléments persuasifs dans le discours du leader de Boko Haram et expliquer quels effets ils produisent au point de séduire de manière radicale les auditeurs.

Choix lexical

Un discours est composé de mots qui ne sont jamais choisis au hasard. Il est connu que le choix lexical est une procédure énonciative déterminante pour la configuration du discours et aussi pour la construction de l’ethos, c’est-à-dire, l’image du locuteur. Le champ lexical varie d’un discours à l’autre et peut laisser transparaître des informations importantes à propos de l’orateur, de son milieu social, de ses idées et convictions politiques et religieuses. Le locuteur ne réalise jamais ses choix de vocabulaire depuis un système linguistique abstrait et vierge. Il est vrai que dans un discours un mot analysé individuellement n’a pas beaucoup d’importance. Le sens des mots ne réside pas dans le vocable lui-même, mais il est construit par rapport à un contexte discursif. Ce sont les idées et le message que le locuteur a voulu transmettre qui ont de l’importance. Néanmoins lors de l’analyse d’un discours le choix lexical n’est pas négligeable.

Partons des phrases suivantes tirées du discours du leader de Boko Haram :

a. « Nous « combattons aussi les Chrétiens » car tout le monde est au courant de ce qu’ils nous ont fait « subir » et du sort qu’ils

réservent aux musulmans. Pas une fois, pas deux fois, mais de nombreuses fois, ce qui nous amène à « adopter » cette position. Ils ont tué plusieurs de nos frères musulmans et ont détruit nos mosquées en nous chassant, en nous délogeant et malgré cela, on continue à nous capturer et à nous tuer. Mes frères, il n’y a pas de repos, « sortez, tuez, égorgez ! C’est ça la religion. Nous, nous souhaitons combattre, être blessés, nous souhaitons que notre sang coule » ».

En (a), le mot « combattons » et le groupe de mots « aussi les Chrétiens » renvoient a priori à une bataille idéologique et religieuse contre les autres religions, en l’occurrence le christianisme qui semble être une cible privilégiée de ce mouvement terroriste. Combattre une religion écarte toute idée de paix, de tolérance, d’œcuménisme religieux. Pourtant l’orthodoxie religieuse, semble-t-il, prône la cohésion et l’harmonie entre les différentes religions dans le monde. Pour justifier cette radicalisation, ce leader prétend que les chrétiens sont à l’origine de leur mal être social voire de leur malheur, raison pour laquelle il compte se venger. Le mot subir illustre fort bien nos propos. Le verbe adopter dénote la rancœur, la revanche envers les chrétiens a priori innocents.

Dans la même lancée, l’appel du leader de Boko Haram à une guerre sans merci est déclaré contre les chrétiens – nous pouvons le voir dans ce groupe de mots : « Mes frères, il n’y a pas de repos, sortez, tuez, égorgez ! C’est ça la religion. Nous, nous souhaitons combattre, être blessés, nous souhaitons que notre sang coule ». Cette posture se comprend sous prétexte que ces chrétiens ont assassiné les musulmans et ont détruit leurs édifices culturels. C’est ce qu’il laisse croire dans ces groupes de mots. « Ils ont tué plusieurs de nos frères musulmans, détruits nos mosquées ». Il s’agit d’une simple spéculation de ce djihadiste ; on dirait une hantise de radicalisation, une volonté d’exterminer les chrétiens qu’il trouve mécréants et qui sont contre son idéologie mortifère. Ces déclarations à l’endroit de l’auditoire dont les cibles peuvent être les musulmans modérés pourraient susciter une sorte de révolte, de revenge et provoquer un djihad contre les chrétiens du monde entier. Les fidèles musulmans qui prêtent allégeance à cette idéologie mortifère reçoivent une éducation coranique désorientée. Ils subissent un lavage de cerveau dont les conséquences les plus graves sont des meurtres et des assassinats perpétrés tel que dit dans le discours. Tel est l’objectif visé par ce leader. Son rôle est de séduire ou de persuader tout musulman susceptible de céder à ses déclarations mentionnées plus haut.

b. « C’est ainsi que moi, en tant que chef de cette communauté, je te demande juste de te convertir, c’est le premier appel que je te lance. Les Chrétiens, convertissez-vous, c’est l’appel que je vous fais. Ce travail que nous faisons, ce n’est pas le nôtre, c’est le travail de Dieu. Soumettez-vous à Dieu, suivez le Coran, suivez la religion du prophète. Nos actions visent ceux qui profanent la religion de Dieu. Si vous vous soumettez à Dieu, si vous vous joignez à nous afin que l’on pratique la religion de Dieu et que l’on ramène l’humanité chez les hommes et les femmes, que l’on pratique la loi de Dieu ; alors à ce moment-là, vous êtes nos frères, vous êtes des nôtres ». « Mais pas au nom de la démocratie, au nom de l’école occidentale, au nom de la constitution ».

Le leader extrémiste dont nous parlons ici fait montre d’une radicalisation à outrance dans la mesure où il impose aux chrétiens de s’islamiser. Le vocable convertir est une illustration probante et que cette islamisation a une origine divine et non la sienne d’où ces extraits ce n’est pas le nôtre, c’est le travail de Dieu, suivez le Coran. Pour lui, la véritable religion est l’islam qui a des vertus cardinales prônées par le Coran et quiconque obéit à cette orientation spirituelle est considéré comme un des siens. Cependant toute personne qui suivra l’impérialisme occidental n’intégrera pas ses rangs d’où l’emploi de cette conjonction de coordination mais – dans cette phrase : mais pas au nom de la

démocratie, au nom de l’école occidentale, au nom de la constitution –

qui permet de matérialiser la réorientation thématique du discours. Le choix lexical du leader de Boko Haram correspond à son idéologie religieuse. C’est une rhétorique guerrière que nous pouvons constater en observant la thématique de ce discours. Il n’est pas étonnant que ces mots qui dénotent l’extrémisme religieux aient été les plus utilisés. Ils sont insérés dans le champ d’une rhétorique guerrière. Mais ils ont été choisis parmi tant d’autres vocables qui intègrent ce champ lexical de la religion. Le choix des locuteurs est tourné vers des mots positifs. Ils auraient pu utiliser le mot « diable » autant de fois que le mot Dieu. C’est pourquoi nous voyons ici que les mots et groupes de mots que nous avons analysés sont des discours positifs et que les orateurs cherchent l’adhésion de l’auditoire par la séduction, de même qu’il le fait à travers les métaphores.

Métaphores

La tradition rhétorique soutenait que l’objectif principal de la langue était de décrire le monde tel qu’il est en réalité en priorisant donc

les sens propres des mots. La linguistique ne cesse de questionner cette vision classique. D’ailleurs comment délimiter le trait qui sépare le sens propre du figuré ? Des études dans les domaines de la linguistique montrent que la compréhension du sens figuré est extrêmement complexe. La notion la plus ancienne de métaphore en Occident vient du philosophe Aristote qui la définit comme l’usage d’un mot pour en désigner un autre. Étymologiquement, métaphore vient du grec « metapherein » qui signifie « transférer » ou « transporter ». La métaphore est donc un transport de signification : un mot qui a un sens propre mais est associé à un autre mot par substitution.

La métaphore a une grande importance, pas seulement pour les linguistes et les grammairiens qui l’étudient, mais pour le sujet parlant en général. La métaphore est omniprésente dans notre quotidien, en permettant de structurer notre conception du monde. Nous avons une tendance à concevoir les événements de façon métaphorique car notre pensée agit à travers des métaphores par nature. Quand nous utilisons donc les métaphores dans notre discours, c’est simplement parce que notre aptitude à les utiliser est innée ; elle est un processus fondamental dans notre usage quotidien de la langue. Ces métaphores quotidiennes, nous ne les appréhendons pas comme telles car elles font partie de notre vie. Pour les comprendre, partons des exemples de notre corpus.

c. Certaines personnes qui parlent de nous, disant que nous sommes des traîtres et des ennemis de ce pays qu’on appelle le Nigeria.

d. Oui, toi Sultan de Kano, Sultan de la banque, Sultan de l’argent. Toi Sultan de Kano, c’est comme ça qu’on pratique la religion ? e. La religion de la démocratie, de la constitution, de l’école occidentale !

f. Si vous vous soumettez à Dieu, si vous vous joignez à nous afin que l’on pratique la religion de Dieu et que l’on ramène l’humanité chez les hommes et les femmes, que l’on pratique la loi de Dieu ; alors à ce moment-là, vous êtes nos frères, vous êtes des nôtres.

g. Celui qui suit la démocratie est un mécréant !

h. Repentez-vous à Allah, ou sinon vous allez voir ce que vous allez voir, et vos soldats ne vous aideront en rien, même les soldats de l'Amérique ne vous aideront en rien. Nous sommes les soldats d'Allah.

Dans ces exemples, nous pouvons identifier les métaphores « nous sommes des traîtres et des ennemis ». Cette métaphore lève un pan de voile sur les membres de Boko Haram qui représentent une véritable rébellion à l’endroit des institutions de la République du Nigéria. Car il rejette la légimité de l’Etat laic au profit de l’Etat islamique dans lequel sera appliquée la charia. Cet extrémisme religieux est renforcé par une contestation d’un pouvoir incarné par une élite aristocratique, bourgeoise qui s’est enrichie par la manne pétrolière et laissant certaines populations dans une paupérisation et une misère indescriptibles d’où ces propos « Sultan de la banque », « Sultan de l’argent ». Dans la même optique, la radicalisation dont fait montre les membres de Boko Haram s’appuie sur le rejet de l’école occidentale, ses institutions républicaines et ses religions imposées au Nigéria. Pour eux, ces institutions ont pour rôle une machine de domination sur la religion musulmane qui perd de plus en plus du terrain au profit de l’occidentalisation moderniste contraire aux valeurs de l’islam. Les métaphores suivantes illustrent fort notre argumentation « La religion de la démocratie, de la constitution, de l’école occidentale ! Celui qui suit la démocratie est un mécréant ! » Pour ces membres de Boko Haram la véritable religion est la leur et celui qui s’y adhère est considéré comme un des leurs d’où ces exemples métaphoriques « vous êtes nos frères, vous êtes des nôtres ». Cependant « quiconque s’insurge contre nous va affronter une résistance farouche car nous sommes puissants et nous nous combattons jusqu’à la dernière goute de notre sang puisque nous sommes les soldats d'Allah ».

En substance, les métaphores lient les arguments logiques et émotionnels, le logos et pathos. L’utilisation d’un domaine abstrait (le pathos) pour parler d’un domaine concret (le logos) contribue à permettre l’adhésion à une thèse car la métaphore amplifie la signification de ce qui est en train d’être dit. Quand ce leader dit « celui qui suit la démocratie est un mécréant », il envisage de toucher en profondeur ses auditeurs. Les deux domaines utilisés (démocratie et mécréant) sont liés et par conséquent, les sens de ces deux domaines donnent lieu à une espèce de phénomène d’amplification et d’enrichissement. Et dans un processus persuasif, c’est exactement cette richesse qui est recherchée comme une forte stratégie de persuasion très souvent manifeste dans les comportements des individus.

Impact du discours de Boko Haram sur les comportements

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 91-96)