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Impact du discours de Boko Haram sur les comportements des individus

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 96-104)

Sous le regard de récentes attaques terroristes dans le monde, les chercheurs en sciences sociales ont cherché à comprendre ce qui séduit autant les individus dans les discours des organisations telles que Boko Haram.

Discours de Boko Haram : un discours autoritaire ?

Le concept d’autoritarisme a été introduit dans les typologies de régimes politiques, afin de prendre en compte un nombre important de régimes – pour la plupart non occidentaux – qui n’entraient pas dans la catégorie des démocraties et pour lesquels le qualificatif de régime totalitaire ne s’appliquait pas en toute rigueur (Linz, 1975).

C’est fondamentalement un mécanisme d’exclusion et de limitation du pluralisme politique. Cette dernière notion, introduite en réponse aux analyses « réalistes » de la démocratie – les gouvernés ne font que choisir, par élection, des représentants légitimes au terme d’une lutte concurrentielle – et aux critiques « démocratiques » – la seule démocratie est totalement participative ou n’est que l’ombre d’elle-même –, interprète l’évolution des systèmes politiques comme la possibilité de contestation institutionnalisée des décisions prises par les élites politiques dans un contexte de pluralisme social, c’est-à-dire d’expansion numérique et de diversification sociale de la participation (Dahl, 1989).

Classer le discours du leader de Boko Haram dans un registre de discours autoritaire revient à mettre en lumière un mode d’exercice du pouvoir qui interdit l’expression publique du désaccord et qui, de ce fait, pratique un abus inconditionnel d’autorité1.

L’autorité dont il est question ici se manifeste par cette forme d’incitation à la guerre, à la rébellion, dont l’objectif est de combattre les chrétiens avec qui les membres de la secte islamiste ne partagent pas la même idéologie. Ces derniers ou tout autre groupe qui ne s’alignent pas sur la vision prônée par Boko Haram sont considérés comme des ennemis qu’il faut détruire. Le combat apparait ainsi comme une mise en œuvre collective et coercitive, se traduisant par le recours excessif de la

1 Il peut s’agir d’un rapport entre gouvernants/gouvernés ou mieux, entre des partisans

de la dite secte et les individus reposant sur la force, mais aussi et surtout sur la persuasion. Il peut également s’agir d’une tendance à abuser de son autorité, à l’exercer avec rigueur et par la suite à chercher à l’imposer.

violence et de la force armée, occasionnant de nombreuses pertes en vies humaines et biens matériels.

Il convient de noter une fois de plus que l’aspect autoritaire des discours ne peut avoir d’effets que, soit sur des individus en non- conformité avec la société, soit sur ceux au vécu quotidien difficile et dans ce cas les contrains de se convertir, à adhérer au mouvement qui, selon le leader Shekau, est un appel à la communion avec Dieu (Apard, 2015). Cette conversion est perçue également comme un processus volontaire par lequel un individu endosse une nouvelle identité religieuse. Les travaux de sociologie de Danièle Hervieu-Léger (1999 : 120) s’appuient sur le fait que, dans les sociétés libérales contemporaines, des individus peuvent se convertir plusieurs fois au cours de leur vie en endossant des identités successives ou, si l’on peut le dire, en construisant progressivement une identité personnelle et religieuse

Ainsi, cet aspect autoritaire du discours ravive d’une certaine manière un sentiment d’injustice et provoque un désir de vengeance contre les exactions commises à l’égard de certains membres de la communauté musulmane. La mort en 2008 de son premier chef de file Mohammed Yusuf apparaît comme une incitation à la révolte pour ces individus et ce, par désir de rendre justice. Critiquer le régime démocratique en place, qui, assimilé à une école occidentale, dont les individus agissent tous sous l’emprise des mécréants (leaders de la démocratie non croyants) apparait comme l’une des visions prônées par ce discours.

Relevons une fois de plus que le caractère captivant des communications sert d’invitation à la révolte sociale, dont l’objectif est de déstabiliser les autorités, le pouvoir et la religion en place. La raillerie et l’usurpation sont connues comme les modes d’expressions courantes pour calomnier ceux qui sont considérés comme des esclaves de la démocratie occidentale.

Impact du discours de Boko Haram sur les comportements des individus

Le discours de Boko Haram vise d’une manière générale la radicalisation1. Les chercheurs en sciences sociales tentent ainsi de lui

donner une signification anthropo-sociologique en déplaçant l’analyse vers la subjectivité de l’individu et les interactions entre le groupe et ce dernier.

En effet, il existe différentes manières de percevoir le phénomène de radicalisation ou de l’extrémisme religieux. Touna Mama, Schouame (2016 : 7), mettent l’accent sur les facteurs économiques et l’exclusion sociale comme principale cause de la radicalisation des jeunes vivants dans les banlieues. Farhad Khosrokhavar (2016) quant à lui souligne les facteurs politiques et en particulier la disparition des utopies dans les sociétés et le rôle de l’islam radical dans la construction d’une nouvelle utopie transnationale. Pour lui, la radicalisation se présente aussi comme un phénomène à plusieurs dimensions dans la mesure où elle permet, renforce et maintient d’une certaine manière chez les jeunes des banlieues, la sacralisation de la haine de la société. Une haine produite à la fois par un sentiment d’exclusion sociale et économique, d’injustice selon eux et d’humiliation (Khosrokhavar, 1997), d’où l’appel à la rébellion

Dans une présentation plus élaborée, dans les années 2010, l’interprétation du processus de radicalisation est proposée par L. Fabius à l’Assemblée Nationale suite à l’attaque de Charlie Hebdo. Celle-ci met en relief trois principales causes du processus de radicalisation classées en trois grands groupes à savoir : les causes sociales nationales dues à l’échec des structures d’encadrement, l’exclusion et la frustration ; les causes dues à l’offre idéologique qui favorisent les conditions de radicalisation (internet/prison) ; et enfin l’environnement international (Lafaye, 2016).

Au Nord-Cameroun également, les arguments pour la radicalisation demeurent complexes. Ces derniers peuvent reposer sur le caractère social ou psychologique des jeunes non encore radicalisés, peuvent également reposer sur des causes qui, selon eux, ont été oubliées

1 Définie comme l’articulation entre idéologie extrémiste et une logique d’action

violente, La sociologie de la radicalisation (entretien avec Farhad Khosrokhavar, 2016). Elle désigne aussi le processus par lequel un individu ou un groupe adopte une forme violente d’action, directement liée à une idéologie extrémiste à contenu politique, social ou religieux qui conteste l’ordre établi sur le plan politique social ou culturel (Ibid.).

par la société. Dès lors, l’enrôlement à la radicalisation s’effectuera par l’écoute emphatique (des prêches /discours), des promesses de solidarité et d’émotions fortes, des hautes mesures de compensation aux individus ainsi qu’à leur famille en guise de remerciement des services et sacrifices rendus. Le cadre socio-économique quant à lui joue un rôle crucial dans la radicalisation des jeunes dans la mesure où beaucoup y voient en l’armée une solution pour remédier à leur situation économique, car ils pensent que l’armée leur sortira de la pauvreté.

Comme effet du discours de Boko Haram sur les individus, il convient de mettre en lumière la dimension séductrice qui, consiste ici à charmer les sens des non radicalisés. Il est question de convaincre ces individus, d’exploiter leurs faiblesses et insuffisances à travers des techniques et termes génériques, les éblouir, les influencer, afin qu’ils soient affectés par le contenu du discours. Ces derniers se présentent par la suite comme des êtres attentifs et donc vulnérables. La séduction dans ce cas vise d’une manière plus précise un phénomène où se mêlent la contrainte et la libre acception, garant, destructeur, ou fédérateur du lien social (Paugam, 2008).

Ces derniers découvrent et accèdent à l’islamisme radical à travers des diffusions sur internet ou au contact avec des jeunes déjà initiés et y trouvent un moyen de mettre fin à la misère en accédant à cette idéologie nouvelle, en se construisant une nouvelle identité et en donnant une légitimité à leur acte de violence. La socialisation dans ce nouveau monde contribue pour une grande part à nourrir la haine de l’autre et à renforcer une vision extrémiste de l’islam mais aussi des idéologies démocratiques.

À cet effet, l’un des principaux objectifs recherchés par le discours du leader Shekau vise à captiver l’attention des individus quelle que soit leur couche sociale ou leur tranche d’âge afin qu’ils adhèrent au mouvement. Sous scolarisés et illettrés pour la plupart, nombreux sont ceux qui font aisément l’objet des manipulations et des incitations financières qui, par la suite influencent leur affect et se laissent séduire par le discours de Shekau (Cohen, 2015 : 79).

Chez les jeunes des classes moyennes, la radicalisation trouve un terrain favorable dans la mesure où elle apparait comme une réponse au vide de l’autorité, à la fatigue d’être soi ou à l’anomie. Le contexte social ou les réalités auxquelles font face les individus à savoir l’ignorance des pratiques et enseignements religieux, le chômage et la

pauvreté, des enfants au vécu quotidien ou à une éducation difficile, le haut niveau d’alphabétisation et une corruption accrue, sont autant de faits qui les rend tous vulnérables face au phénomène de radicalisation (Onuoha, 2014). Ainsi, ceux moyennement scolarisés sont à cet effet contrains d’adhérer au mouvement, ceci à travers l’intensité avec laquelle le discours est diffusé ou leur est inculqué. Il s’agit une fois de plus de ceux qui ne manifestent pas une haine en tant que telle à la société mais qui malgré le chômage, ressentent plutôt un malaise identitaire et la recherche d’une autorité dans un contexte de relâchement de normes sociales. Ici, le discours influence les comportements de ces derniers en ce sens qu’il leur propose un cadre normatif, explicite et sacralisé à l’opposé des idéaux des projets politiques.

La radicalisation ou l’extrémisme religieux dont est victime l’individu est étroitement associé à une forme de subjectivité qui se veut héroïque (Khosrokhavar, 2016). Plusieurs s’y enrôlent et y affrontent la mort sous un mode imaginaire qui exalte la figure du héros. Le caractère héroïque connote ici un aspect péjoratif1 dans la mesure où ces derniers pensent conquérir en utilisant un des médias dont ils tirent profit et une certaine supériorité sur les autres. Ainsi, ce changement de comportement s’effectue pour la plupart des cas grâce au contact avec des malams2,

gourous et figures charismatiques dont l’emprise sur des individus psychologiquement fragiles peut être forte (Cohen, 2015 : 78).

Le caractère radical et/ou extrémiste contenu dans le discours de Shekau déstabilise les liens sociaux entre l’individu et son environnement et son environnement immédiat ; car les incitent à recourir à des actes d’agressivité, de violences, au développement des mentalités dites réfractaires à la stabilité politique, religieuse et économique du pays. La diversité d’opinions religieuses rend légitime leur violence ceci à travers la critique des institutions, la volonté de changer l’ordre social marqué par un engagement au nom des valeurs supérieures à la culture. Cet engagement dans l’action surgit lorsque l’individu ressent une obligation morale à laquelle il ne peut se soustraire. Cette dernière est souvent justifiée par la culpabilité de l’individu, sa responsabilité, l’obéissance à

1 Soulignons que, par héros négatif l’on entend tout individu qui s’identifie à des contre

valeurs dominantes dans la société et vise à les réaliser par la violence.

2 Maîtres religieux, souvent sans titres établis, vivant de la mendicité des enfants qui

Allah « car lui seul est le juge de la fin des temps » (Apard, 2015), ainsi que la solidarité coercitive avec le groupe. Comme bénéfices sur son comportement, le dit héros peut acquérir le sens de la vie retrouvée (à travers une vulgaire aisance du cadre de vie), la valorisation dans son milieu social, une identité retrouvée; une vie de martyre qui, tous mènent à la spirale de haine et de la vengeance de l’autre et ainsi de la société tout entière.

Comprendre pour ce faire le discours autoritaire, radical ou extrémiste tel qu’il est présenté comme arme langagière de Shekau, revient tout simplement à déceler, analyser les effets de la manipulation verbale et persuasive sur la manière de faire des individus.

Conclusion

Ce travail a permis d’élucider le discours du leader de Boko Haram en s’appuyant sur une analyse qualitative partant de la rhétorique d’Aristote à la nouvelle rhétorique. Il s’agit, à travers ce discours, de mettre en lumière les effets de la persuasion pouvant être la coercition ou la manipulation. Après observation détaillée et analyse du corpus, il ressort que le leader de Boko Haram possède des stratégies particulières pour se rapprocher de son auditoire, de la tolérance à la radicalisation. Notons que, ce changement de personnalité impacte directement sur la dimension psycho-sociale de l’individu.

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Dynamiques sociales paradoxales des pentecôtismes

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