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Les conflits de leadership entre majorité et minorité ethniques représentées dans les Églises protestantes

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 179-182)

émergées à l’Extrême-Nord Cameroun

Leadership conflicts between majority and ethnic minority represented

in the Protestant Churches emerging in Far North Cameroon

Emmanuel DEKANE

Chargé de recherche

Centre National d’Éducation (CNE)/MINRESI

Résumé

Cet article analyse les conflits ethniques au sein des Églises protestantes établies dans la Région de l’Extrême-Nord du Cameroun, en l’occurrence l’Église Fraternelle Luthérienne du Cameroun (EFLC) et l’Union des Églises Évangéliques du Cameroun (UEEC). Ces Églises vivent des guerres intestines et des affrontements parfois ouverts, dérivant des revendications des ethnies minoritaires contre leur musellement par celles majoritaires au sujet du leadership. Ce travail démontre que la rotation et le mixage ethnique aux postes stratégiques des Églises peuvent juguler ces conflits. Il est rédigé grâce aux informations collectées auprès des « fidèles » desdites Églises, à l’observation directe des faits, à l’exploitation des rapports des Assemblées Générales, des lettres et des messages publiés sur les réseaux sociaux. La théorie de la phénoménologie interprétative de Jonathan Alan Smith, la théorie de la « Subaltern Studies » et l’approche de l’histoire par le bas d’Edward Palmer Thompson sont utilisées pour rédiger cet article. La phénoménologie interprétative permet d’analyser quantitativement les faits et les discours qui sont à l’origine d’une réaction ou d’un comportement tandis que la « Subaltern Studies » et l’approche de l’histoire de l’histoire par le bas consistent en l’écriture de l’histoire par la voix des marginaux, des dominés et des affligés en vue de réclamer l’égalité ou l’amélioration des conditions de vie ou de travail.

Mots-clés : Leadership, Église, minorité, majorité, schisme, ethnie, Extrême

Nord, Cameroun.

Abstract

This article analyses the ethnic conflicts in the Protestant Churches in the Far North Region of Cameroon, namely the Fraternal Lutheran Church of Cameroon (FLCC) and the Union of Evangelical Churches of Cameroon (UECC). . These churches experience internal wars and sometimes open

confrontations, stemming from the claims of minority ethnic groups against their muzzling by those majority on the subject of leadership. This work recommends mainly rotation and ethnic mixing at the strategic positions of the said churches to curb these conflicts. It is written thanks to the information collected from the faithful of said churches, to the direct observation of the facts, to the exploitation of the reports of the General Assemblies, letters and other provocative messages published on the social networks. Jonathan Alan Smith's theory of interpretative phenomenology and the bottom-up approach to history are used to write this article.

Keywords: Leadership, Church, minority, majority, schism, ethnicity, Far

North, Cameroon.

Introduction

De tout temps, les Églises ont été en proie aux difficultés de divers ordres. Il s’agit notamment, des mésententes au sujet des crédos, des conflits de leadership et de la poursuite des intérêts personnels et mondains. En son temps, Martin Luther s’est basé sur la dénonciation des tares de l’Église catholique romaine, comme la fiscalité pontificale excessive, le népotisme, le cumul de fonctions, la vente des indulgences et le rejet de certaines vérités bibliques, pour provoquer le schisme qui a débouché à la réforme protestante (Guillaume, 1850 : 1-8). Plus de cinq siècles après la réforme luthérienne, ces maux, auxquels s’ajoutent d’autres tels le tribalisme, la déconsidération des minorités ethniques et les affectations punitives font des remous dans les Églises protestantes du Cameroun en général et celles nées dans la Région de l’Extrême-Nord en particulier.

Dans leurs travaux, beaucoup d’auteurs se sont intéressés à la question de l’ethnicité, du tribalisme et des conflits divers dans les Églises. Bayart Jean François relevait que la contestation des affectations et des successions à la tête des paroisses, des synodes et des Églises locales à travers les luttes factionnelles à caractère tribales ou claniques est imputable à l’accumulation de l’argent de l’Église par les pasteurs (Bayart, 1989 : pp. 3-26). Selon Lonsdale John, les luttes tribales observées dans les États et les Églises sont tributaires des manipulations idéologiques que les dominants utilisent pour défendre les intérêts de leur classe, pérenniser leur hégémonie, et conserver leur honneur. Par contre, les brutalités perpétrées contre les dominants lors des crises visent à détruire le fondement ethnique des pouvoirs pour promouvoir l’ordre social reposant sur l’égalité (Lonsdale, 2003 : pp. 103). Kougoum Galbert atteste que la déstructuration des Églises camerounaises en particulier et de la société camerounaise en général résulte du phénomène du tribalisme et des conflits

ethniques calqué sur la stratégie de « diviser pour mieux régner », héritée des puissances coloniales (Kougoum, 2009 : p. 94). Pour N’Dimina-Mougala, les conflits identitaires ou ethnopolitiques sont causés par la dépossession d’une ethnie du droit de vivre sur son territoire ou de jouir de son identité. Les menaces perpétrées contre les oppresseurs par les opprimés visent à redéfinir les identités et modifier l’équilibre ethnique, par la force. Ces menaces prônent satisfaire des individus, des leaders ou des collectivités aspirant à canaliser le changement identitaire pour légitimer un groupe, affirmer son autorité et faire briller sa flamme nationaliste (N’Dimina-Mougala, 2012, p. 97-119).

Les deux Églises protestantes établies au Nord Cameroun, en proie aux crises ethniques, sont notamment l’Union des Églises Évangéliques du Cameroun (UEEC) et l’Église Fraternelle Luthérienne du Cameroun (EFLC). La zone d’influence l’UEEC est constituée des Département du Mayo Tsanaga et du Mayo Sava et tandis que celle de l’EFLC couvre les Département du Mayo Danai et du Mayo Kani. Les ethnies retrouvées dans chacune de ces zones s’identifient à l’Église qui y est établie. Dans les deux Églises, les majorités désignent les ethnies dominantes en termes d’effectif pléthorique des « fidèles », des pasteurs et des représentants à la direction générale des Églises. A l’UEEC, les majorités sont les Mafa qu’est l’ethnie principale du Mayo Tsanaga. À l’EFLC, les majorités désignent l’ensemble des ethnies de Mayo Danai que sont les Massa, les Mousgoum, les Toupouri, les Moussey. Les minorités quant à elles sont des ethnies dominées, persécutées, marginalisées et discriminées des prérogatives administratives des directions générales des Églises. Elles sont de deux types à savoir les minorités internes à une dénomination et celles externes. A l’UEEC, les minorités internes désignent les ethnies du Mayo Sava dont les Podokwo sont les plus focalisés tandis que les minorités externes désignent les ethnies rencontrées dans l’espace couvert par l’EFLC. Les minorités internes de l’EFLC désignent principalement les Moundang du Mayo Kani tandis que celles externes désignent les ethnies originaires des Département du Mayo Sava et du Mayo Tsanaga. Dans ces deux Églises, on note une persistance des confrontations entre les années 2002 et 2018 pour ce qui est de l’EFLC et les années 2013 et 2019 pour l’UEEC. Les tenants et les aboutissants des crises qui sévissent dans ces deux Églises sont appréhendées dans cet article sous le prisme de la revendication des visibilités ethniques entre les majorités et les minorités grâce à deux théories.

La première théorie est celle de la « Subaltern Studies » ou l’approche de l’histoire par le bas d’Edward Palmer Thompson qui consistent en l’écriture de l’histoire par la voix des marginaux, des dominés et des affligés en vue de réclamer l’amélioration des conditions de vie et de travail. La seconde est celle

de la phénoménologie interprétative de Jonathan Alan Smith qui permet d’analyser les faits et les discours qui sont à l’origine d’une réaction à l’instar des contestations et des ripostes.

Ainsi, importe-t-il de se poser la question suivante : comment la préservation de la visibilité ethnique alimente-t-elle les conflits de leadership entre majorités et minorités à l’EFLC et à l’UEEC ? Répondre à cette question consistera à présenter successivement les fondements tribaux de ces crises ; leurs manifestations par les jeux d’offensives et de contre-offensives entre les majorités et les minorités ethniques ; ainsi que les incidences desdites crises sur la vie des Églises concernées.

Les fondements des conflits ethniques à l’EFLC et l’UEEC

Dans le document Géopolitique du fait religieux au Cameroun (Page 179-182)