• Aucun résultat trouvé

Manifestations de l’iconographie vitivinicole régionale

Effets de l’entreprise sidérurgique Paz del Río

Mosaïque 2. Manifestations de l’iconographie vitivinicole régionale

Les moines débutèrent les activités d’endoctrinement en utilisant comme base les villages indigènes déjà installés, en priorité les plus peuplés, parmi lesquels: Duitama, Sogamoso et Firavitoba, lieu qui servirent de référence pour lancer le projet évoqué. Ce qui précède permet d’avoir une idée des lieux d’implantation des tentatives viticoles dans la région, en fonction des doctrines, des Églises ou des couvents qui avaient besoin de la symbolique vitivinicole.

175!

Comme nous l’avons suggéré, la présence réelle ne suffit pas, la vigne et le vin, le blé et le pain doivent être exprimés aussi par le biais d’images créées par l’art218.

Mais comment l’iconographie chrétienne est-elle parvenue à s’insérer dans les imaginaires religieux des peuples indigènes? Selon Duncan, 2007219, il n’existe pas d’”esthétique individuelle occidentale” et l’art précolombien est une expression visuelle avec des fins fonctionnelles, esthétiques et collectives. Il est aussi expérience du regard, du visuel, projetée de manière culturelle.

“La solution des chrétiens, romains et byzantins, a été de mettre l’accent sur l’utilisation de l’image pour communiquer le concept, de manière à ce que l’image domine le concept. La solution précolombienne fut de conceptualiser l’image à l’extrême, ce qui a permis au concept de dominer l’image”220.

L’église catholique a assumé un rôle fondamental dans le processus de colonisation, et a propagé culture et langue, ou encore l’art, par le biais de l’évangélisation. Les communautés religieuses ont trouvé dans les images le meilleur moyen pour la diffusion et la consolidation des croyances quotidiennes de la population indigène221; peintre, sculpteurs, tailleur, décorateur, dessinateur, brodeur, etc., entre autres, ont été des professions très développées à Tunja, pendant la periode coloniale.

Comme nous l’avons déjà dit, les conditions géographiques et culturelles qui ont fait des sociétés précolombiennes des communautés pratiquant majoritairement l’élevage et l’agriculture selon le système de la production verticale ou de la complémentarité écologique222, ont rendu possible

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

218

Bien que la dimension artistique fasse partie de la quotidienneté culturelle des sociétés, l’occidentale s’est développée en relation avec une conception économique et de marché, alors que l’art précolombien a été essentiellement un besoin d’abstraction. Les subjectivités et individualités semblent bien être absentes de l’art précolombien.

219 Cf. R. DUNCAN, “Arte precolombino”, en: Grande Encyclopédie de Colombie, Estética 1, Bogotá, El tiempo,

Cercle de lecteurs, 2007.

220

Ibid., p. 12.

221

Cf. M. FAJARDO, “El arte neogranadino del período colonial”, en: Grande encyclopédie de Colombie Arte 1, Bogotá, El Tiempo, Cercle de lecteurs, 2007.

222

176!

l’abondance d’aliments dans les villes de l’époque, et par conséquent bon nombre d’habitants ont pu se consacrer à des activités artistiques. Tunja fut un théâtre propice au déploiement des arts. Cette ville a même surpassé Santa Fe de Bogotá, du point de vue de l’organisation économique, facilitant grandement la vie de ceux qui se consacraient aux arts et lettres. A partir de 1583, la ville commença à accueillir des peintres d’origine espagnole, italienne et quiteño (du Quito); ils peignaient sur commande, des scènes liées aux narrations bibliques et aux célébrations de la vie chrétienne. L’école de la famille Figueroa, fondée dans la commune de Turmequé, domina la vie artistique de cette période223. Elle fut par la suite transférée à Santa Fe de Bogotá et eut un rôle décisif dans la formation artistique du grand peintre du XVIIe siècle Gregorio Vásquez de Arce y Ceballos (1638-1711), auteur, entre autres œuvres, de “El Otoño” (“L’automne”), peinture qui exprime la symbolique viticole de l’époque.

En plus des demandes liées aux représentations religieuses, les familles riches et les notables avaient pris l’habitude d’embellir leurs demeures en les décorant avec des plantes, des animaux ou des dieux, comme on peut en admirer aujourd’hui, bien préservées, dans la maison-musée du fondateur de Tunja, Gonzalo Suárez Rendón. La peinture côtoyait d’autres types d’expressions artistiques, comme le travail de l’argent, de l’or et des émeraudes, en lien avec la liturgie du christianisme: custodes, plats de cérémonie, cupules, calices, coupes, tabernacles, pupitres, urnes, encensoirs reliquaires, croix, navettes, étendards, etc. Les meubles, les autels et les hauts reliefs en gypse et les polychromes furent aussi produits en grand nombre. Les artistes travaillaient le bois avec une adresse extraordinaire, créant du même coup un style particulier à partir d’éléments baroques proprement européens224. La majorité des églises de l’époque à Tunja et ses alentours, conservent encore en abondance des sculptures, décorations et objets issus d’autres modes d’expression artistique, telles les soieries brodées des pièces liturgiques.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

223

Cf. M. FAJARDO (2007), op. cit.

224

178!

Les représentations vitivinicoles sont inscrites dans ces caractéristiques de l’art “néo-grenadin de l’époque coloniale” où le processus évangélisateur a provoqué l’inspiration et constitua le principal organisme employeur d’un personnel qualifié: architectes, peintres, sculpteurs, spécialistes du travail de l’argent, tailleurs et spécialistes de la broderie. Les plantes, branches, feuilles, racines, la couleur des raisins et de la vigne furent évidemment représentées. Il paraît donc évident que, sous la pression symbolique de la plante, des vignes aient été plantées dans les maisons et les jardins, tout comme le faisaient certains ordres religieux.

Il est impossible de déduire des travaux réalisés alors que l’artiste vitivinicole ait été informé de la variété de vigne qu’il était en train de peindre. Il n’avait d’intérêt que pour le symbole, comme celui figurant sur un tissu hébergé dans la église temple de “Sainte Catherine” (XVIIe siècle) situé dans la commune de Oicatá: les grappes ne sont pas proportionnées aux feuilles ou aux branches En général, les représentations suivent les lois de la gravité, mais tout ce que l’on voit est cette disproportion. Cela indique un manque de familiarité de l’artiste avec la plante. Autrement dit, l’intérêt du réalisateur était uniquement artistique et symbolique. Dans ce cas précis, le message religieux importait beaucoup plus que le respect des proportions de la plante. D’autres œuvres, notamment italiennes, montrent pourtant une connaissance du thème choisi, ou du modèle, par l’artiste. Buccellati, 225 évoque le cas de Garnier Valletti, qui, dans la peinture de la grappe, fait coïncider les feuilles, les fruits et la localité: en d’autres termes, il peint la variété et le terroir.

“Le particulier est confié à l’image et non aux mots. On peut à ce sujet se reporter aux innombrables dessins de raisins, habituellement représentés dans le seul respect de la forme et de la dimension mais agrémentés dans ce cas de détails particuliers… donc une création exacte du modèle qui indique clairement l’intention de l’artiste de représenter les caractéristiques et les différences de variétés”226.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

225 Cf. G. BUCCELLATI, La collezione Garnier Valletti dell`Instituto di coltivazioni arboree. Università degli Studi

di Milano, 1998.

226

T. ECCHER, 1998. "Francesco Garnier Valletti: da artigiano a pomólogo,una vita tra scienza ed arte nell’Europa dell’Ottocento". En: La collezione Garnier Valletti dell’Instituto di coltivazioni arboree. Université de Milan. 1998, p. 87.

179!

L’art appliqué à la viticulture régionale sous la colonisation et pendant les périodes suivantes semble avoir été assez éloigné de la préoccupation des détails variétaux, c’est-à-dire de la familiarité avec la vigne, les sarments et les grappes de raisin. Ce “manque de perfection” artistique n’a cependant pas constitué un obstacle pour l’incorporation dans les communautés des mythes de Dionysos et Bacchus, accueillis de manière extraordinaire par le christianisme mais aujourd’hui développés de manière prometteuse par le projet vitivinicole de la Valle del Sol, où des paysans les ont adoptés pour les mêler à leurs cultures traditionnelles.