• Aucun résultat trouvé

Le territoire du Boyacá, comme celui d’autres régions culturelles, a subi un va-et-vient continuel entre permanences et transformations. Certains éléments de cette dynamique, selon Lleras105, se donnent à voir depuis 15.000 ans. Ce sont les 500 dernières années qui témoignent le plus explicitement de cette réalité, quand bien même celle-ci se trouve immergée au cœur des cultures paysannes actuelles.

Par exemple, l’utilisation de la pierre pour élaborer des outils dans le système agricole, et en tant que dispositif pour la préparation d’aliments; les techniques d’exploitation du sel et la maîtrise nécessaire de la céramique pour assurer la cuisson de la saumure, ont perduré à Zipaquirá jusqu’à une période très récente. De la même manière, les conditions climatiques et le sol ont favorisé l’accès à d’abondantes ressources qui ont permis à la culture de développer des métiers liés à l’agriculture, l’élevage et l’artisanat: tissage, orfèvrerie, poterie, confection de vêtements, prêtrise, métiers de la guerre, donnant la possibilité à certains de s’ériger en dirigeants politiques,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

105

Cf. R. LLERAS, “Historia Prehispánica y Permanencias Culturales”, en: Mora P et Guerrero A, Historia y

88!

religieux et militaires. L’activité commerciale, structurée dans l’organisation de jours de marché spécifiques dans tous les lieux de peuplement, possède toujours un intérêt économique et social. De plus, l’esprit de pèlerinage mis en pratique par les Muiscas est aujourd’hui largement répandu chez les paysans: seules les offrandes et les sanctuaires ont changé.

Les transformations substantielles se sont fait sentir à la suite de la conquête espagnole, par le biais d’éléments divers. Parmi elles, l’idée d’urbanisation entendue comme concentration, contrôle et administration. Le tribut en vigueur chez les Muiscas, était généralement redistribué dans les communautés, alors que les nouveaux administrateurs l’ont transformé en marque obligatoire de reconnaissance aux gens de pouvoir, les chefs des communautés devenant des “politiques”. Comme l’indique Jésus García-Ruiz, la culture matérielle fait plus l’objet de transformations que les systèmes de sens.

Les haciendas avaient déjà pris leurs quartiers, sur le plan géographique: les meilleures terres aux mains d’une minorité, et le reste, laissées à un grand nombre de petits propriétaires. Ces grandes extensions de terre ont ensuite été transmises à d’autres propriétaires, qui les ont mises en état de produire106. Lentement, ces étendues ont été divisées entres les participants au concertaje, ce qui aboutit aujourd’hui à un département qui compte le plus grand nombre de petites et très petites propriétés de tout le pays (voir photo nº 4). Pour le paysan du Boyacá, cela reste un acte de grandeur et d’honorabilité de posséder un lopin de terre et de se donner les moyens de le transmettre à ses enfants. Ces caractéristiques ont entraîné l’urbanisation de l’espace rural, par le biais de la construction de maisons. Il y a dans le Boyacá, dans les zones rurales, des cas où les enfants n’héritent pas d’hectares de terre, mais seulement de mètres carrés. Cette tendance est à l’origine de systèmes de monoculture qui engendrent chaque année une surproduction de matières premières, comme c’est le cas pour l’oignon junca (Allium Fistulosum)107, les pommes de terre, les légumes et les fruits.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

106

Concertaje: contrat par lequel un indigène s’oblige à réaliser des travaux agricoles à l’exclusion de tout autre, sur sa terre, et ce de manière héréditaire, sans recevoir de salaire, ou alors un salaire minimum.

107

89!

! Photo 4. Exemple d’urbanisation rurale, chemin “El Resguardo”, commune de Tuta-Boyacá, 2010.

“Près de 50.000 producteurs de pommes de terre sont affectés par les prix bas qui, cette semaine, sont tombés à 10.000 pesos (5 euros) par carga108, or, on pense que la production sera de près d’1.000.000 tonnes … la surproduction de patates qu’on observe aujourd’hui lèse la majorité des producteurs – au train où vont les choses, une portion de frites coûtera bientôt plus cher qu’un sac de patates sur le marché. C’est ainsi qu’Antonio Pita, commerçant, définit le grave problème que vivent les producteurs de patates du pays109”.

Ce qui est paradoxal c’est que, bien que travaillant sur de petites ou très petites étendues de terre, les paysans sont d’excellents producteurs de matière première, tout en restant éloignés de tout processus technologique moderne qui pourrait leur permettre de transformer leur produit brut: il y a donc un déficit d’exigence technique dans la chaîne agricole et d’élevage régionale. De plus, les Espagnols se sont adaptés, de manière générale, à la production indigène, les incorporations biologiques d’origine végétale pendant la période coloniale ont suivi le plus souvent la logique

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

108

Quantité de tubercules équivalent à 100 kilos. Une caisse de graines produit environ une quantité 12 fois supérieure.

109

90!

productive transitoire du maïs et des tubercules; de fait, le blé et l’orge furent, depuis la période coloniale et jusque dans les années 1970 et 1980, les produits les plus représentatifs de la région. De même, les grandes unités de production inaugurées par les jésuites, avec leur politique de rentabilité maximale, ont stimulé les stratégies d’exploitation, des produits aussi bien que des personnes.

Il faut noter que les processus techniques, dans l’exercice de l’accès aux ressources, incluent le transport de celles-ci. Cela requiert de l’efficacité technologique dans la construction de routes, de véhicules, des techniques de conservation par le froid, et plus généralement de conservation des aliments, etc. Tout cela enrichit généralement les localités intégrées au processus, en particulier si les produits sont destinés à l’exportation.

¨Les réformes libérales entreprises entre 1845 et 1851, ont ouvert les portes à un projet économique et politique qui a laissé de côté les sentiments protectionnistes et les modèles de développement construits par les intérêts régionaux ou les monopoles de longue date. Avec la déclaration de libre culture du tabac, l’abolition de l’esclavage, la vente de terres communautaires et les réformes religieuses qui ont aboli la dîme et le droit accordé par l’Eglise aux chambres locales de nommer les curés, a été construit un modèle qui a bénéficié à de nombreux entrepreneurs, dans différents secteurs d’activité liés au droit international. Cela est revenu, dans le même temps, à mettre l’économie du pays au service de l’économie mondiale préoccupée d’assigner des activités spécifiques aux colonies récemment libérées.110

Dans une première phase, l’articulation de la production locale avec le monde extérieur, a utilisé les voies d’eau situées sur le territoire colombien et qui permettaient de mettre en contact les deux côtes, pacifique et Atlantique. Cependant, le département qui fait l’objet de notre étude manque de voies navigables, en-dehors de quelques kilomètres sur le fleuve Magdalena. Comme il n’a pas non plus de débouchés sur l’océan, la commercialisation de la production a toujours été

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

110

91!

difficile. Les systèmes de transport terrestres ont été construits tard, et restent problématiques. Il est communément admis que ces circonstances ont isolé la région et donné naissance à un système de pensée, très local, fait d’immédiateté et d’absence d’utopie. Le Boyacá n’a pas participé à la construction de l’économie d’exportation du pays pendant la période républicaine. Aucune culture caractéristique (tabac, banane, café, quina, coton) n’a été introduite dans le département. C’est toujours le cas aujourd’hui.

Par ailleurs, le monothéisme et les deux seules manières d’être sujet politique, c’est-à-dire libéral ou conservateur, ont contribué à l’intolérance et au déterminisme. Les économies domestiques et familiales sont la structure fondamentale de la région, au même titre que les micro-entreprises familiales ayant pour théâtre (lieu de production, “siège social”, employés et employeurs) le foyer.

Les exportations ont contribué à la transformation du sens de la production. Celle-ci a acquis des connotations nouvelles, pouvant s’appliquer à l’expression populaire: “produire ce que nous ne

consommons pas, et consommer ce que nous ne produisons pas”. C’est ainsi qu’a été inaugurée

une société diversifiée et homogène à la fois, un croisement culturel où il semble impossible d’établir des normes productives.

L’accès aux produits végétaux a été, pour l’économie du contexte, une manière d’ ”être région”, un élément de représentation. Cela accentue le caractère agricole de la culture du Boyacá, ce qui implique, pour l’acteur social du département, de rester en phase avec cette histoire particulière et de penser que le futur régional ne peut pas abandonner cette mémoire agricole historique. Une grande part du système symbolique, ainsi que nous le verrons, se trouve au cœur des activités liées à l’accès aux produits végétaux, à l’exclusion de l’arboriculture. Il s’est toujours agi de végétaux aux caractéristiques transitoires et l’ ”ethno-arboriculture” correspond à des éléments de temps et d’espace qui imposent des processus d’organisation et des technologies différentes. Le cas national le plus représentatif est l’arboriculture du café ou “ethno-caféiculture”.

L’arboriculture est une agriculture pérenne, qui implique une gestion différente du temps, une attitude et une technologie plus complexes. L’entretien des arbres exige une observation permanente qui, à son, tour, impose l’acquisition d’une expérience, un séjour prolongé et une

92!

identité territoriale. Construire la réalité à partir de l’arboriculture signifie rencontrer la vie sociale des plantes, gérer le temps et l’espace. La production de fruits111, donne à voir des éléments qui permettent d’analyser les mécanismes des sociétés contemporaines, et parmi elles, la "patrimonialisation" dans les localités, l’activation des groupes sociaux ou des communautés112 et la quête d’une restauration des identités113.

Le café fut et demeure un symbole et un produit d’identité nationale, capable de s’imposer à l’international comme une représentation avec Indication Géographique Protégée. Articulé à d’autres plantes, ornementales, il construit, de notre point de vue, “une autre nationalité”.

“Plus tard, on parlera en Europe du café de Colombie avec la même reconnaissance dont bénéficient les vins de Champagne ou le fromage de Roquefort. Ceci, grâce au fait que le grain national est devenu le premier produit non européen ayant accès à l’IGP (Indication Géographique Protégée) de l’Union Européenne. Cette reconnaissance, la Fédération Nationale des Producteurs de café l'a obtenue à Bruxelles114”.

“Le café de Colombie est le premier produit non européen à recevoir l’IGP de l’Union Européenne. La fédération a expliqué que cette reconnaissance correspond à un produit de haut niveau de qualité grâce au lien avec le milieu géographique à l’une des étapes de sa production, de sa transformation ou de son élaboration. Le gérant de la fédération des producteurs de café a affirmé qu’il s’agissait d’une reconnaissance de la capacité technique et humaine de la caféiculture colombienne”.115

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

111

Cf. F. GÓMEZ-SIERRA, “¡Qué vivan las fiestas! ¿Qué vivan…? Incorporación tecnológica y mezcla cultural: una estrategia de revitalización social”, en: Cultura Científica, n° 5, Tunja, Instituto de Investigaciones Científicas, Inicien, Fundación Universitaria Juan de Castellanos, 2007.

112

Cf. A. TOURAINE, ¿Podremos vivir juntos? La discusión pendiente: El destino del hombre en la aldea global, México, Fondo de cultura económica, 1992.

113

Cf. H. GIORDAN, Les sociétés pluriculturelles et pluriethniques, UNESCO, Paris, 1994. F. GÓMEZ- SIERRA (2008), op. cit.

114

EL TIEMPO, (journal National), “Europa le da Cédula al café de Colombia. El producto recibe la Indicación Geográfica Protegida”. 14 de agosto, 2007. p. 1-8.

115

PORTAFOLIO, (journal National), “Certificado de Origen al cafè de Colombia en la UE”, 14, de agosto, 2007, p.11

93!

Selon Vega116, le café est la deuxième marchandise au monde par le volume d’échange, après les produits pétroliers, pour un montant de 45 milliards d’euros. Il est cultivé dans 50 pays, sur un total de 10 millions d’hectares, et représente la principale source de revenus pour plus de 200 millions de personnes. Les principaux producteurs sont: le Brésil, avec 42 millions de sacs, le Vietnam avec 15 millions, et la Colombie avec 12 millions de sacs. L’économie nationale moderne de ce dernier pays a été quasiment bâtie sur les exportations de café. La culture du café a engendré des processus sociaux complexes dans le pays, à tel point que, selon les données culturelles de l’histoire moderne, la Colombie peut être “expliquée” à partir de la caféiculture. Cette agriculture utilise et fait progresser une certaine technologie, tout comme les processus continus de recherche et de réorganisation qui résultent de son articulation au marché international. Aucun autre végétal du pays n’a fait l’objet de processus productifs spéciaux, qui vont de l’organisation sociale jusqu’à la recherche de qualité, laquelle requiert à son tour l’incorporation de science et de technologie au processus. De plus, les terres auparavant considérées comme inutilisables, car situées en-dehors des dynamiques domaniales des vallées du pays, ont été remises en course du fait de l’introduction du café: produit capable de transformer la géographie agricole, exigeante en termes de main d’œuvre, qui favorise la migration des ouvriers et qui engendre de la richesse culturelle-nationale.

De plus, le processus productif de cette plante a favorisé les innovations technologiques dans divers domaines de la chaîne productive. Il a par exemple été nécessaire d’inventer des machines capables d’extraire la pulpe du fruit, ce qui a permis de dynamiser l’industrie mécanique-métallurgique. Il a aussi été nécessaire de “découvrir” et perfectionner des routes fluviales, ferroviaires, terrestres et maritimes, et de créer des filières de formation de techniciens et des centres de recherche sur le café, ou encore de structurer un réseau d’institutions financières et de mettre en place des stratégies commerciales117. A ce sujet, il faut noter la création il y a deux ans des magasins Juan Valdez, élégants et vastes espaces, installés aux USA et en Europe, qui sont aussi bien des points de vente que des lieux consacrés à la promotion commerciale d’une boisson qui “identifie la Colombie”.

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

116

Cf. F. VEGA, “I segreti del caffe”. En: Le Scienze, versione italiana de Scientific American, n° 480, Rome, 2008.

117

Cf. M. ESGUERRA, “El café y el desarrollo económico colombiano”, en: Gran Enciclopedia de Colombia

Economía 2, Bogotá, Biblioteca el Tiempo, Círculo de lectores, 2007,. E. POSADA, “Economía exportadora

1850-1930”, en: Gran enciclopedia de Colombia, Economía 1, Bogotá, Biblioteca el Tiempo, Círculo de lectores, 2007, p. 69-122. J. A. OCAMPO, “La Formación de la economía moderna desde 1930”. En: Gran Enciclopedia de Colombia,

94!

La caféiculture nationale présente donc un visage comparable à celui des économies méditerranéennes organisées autour de la viticulture118, qui ont réussi à structurer des systèmes exigeants en termes de science et de technologie à un niveau inférieur. C’est certainement ce qui a fait des régions caféières de Colombie les communautés du pays qui ont les meilleurs indices en termes de bien-être et d’opportunités.

La caféiculture a grandement contribué à une profonde transformation du pays dans ses structures productives. L’Etat a dû intervenir en permanence dans l’activité économique; dans les relations du travail, notamment, encore marquées par les habitudes coloniales; les grands propriétaires ont dû faire face à une pression accrue de la part des agriculteurs sans terre, la lutte pour cette dernière a quasiment provoqué la première grande réforme agraire du pays. A partir des années 1950, les petites unités de production ont gagné du terrain: 64% des propriétés entièrement consacrées au café mesurent entre 0 et 10 hectares. Ce qui indique que les unités les plus petites ont aussi assimilé avec succès les nouvelles technologies proposées par la Fédération des Producteurs de Café.

Cependant, cette “nationalité” exprimée par le café n’a pas réussi à articuler le Boyacá avec le territoire national, dans le domaine technologique, en dépit du potentiel caféier de la région.119

Par ailleurs, à partir des années 1980, l’activité nationale d’exportation fondée sur le café a été complétée par la production minière: pétrole, or, charbon et nickel, soit 37% des exportations nationales. Le pourcentage restant représente l’ensemble des exportations liées à l’agriculture et à l’élevage. Entre les années 1930 et 1970, l’économie nationale a connu des transformations sans précédent. Aux évolutions déjà mentionnées se sont ajoutées les créations de manufactures, le développement des transports, des services publics, du commerce en général, des services financiers, et des processus d’urbanisation. Cette évolution s’est nourrie d’une nécessaire augmentation des activités agricoles et d’élevage, qui ont largement fait l’impasse sur l’utilisation de technologies: riz, coton, canne à sucre (culture et raffinage), banane, cacao, sorgho, soja, palme, fleurs, fruits divers. Alors même que la volonté d’exporter se renforçait, les produits

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

118

Cf. J. HUGH, Une histoire mondiale du vin. De l’antiquité à nos jours. Pluriel, 1989. T. UNWIN, Storia del vino.

Geografie, culture e miti, Roma, Donzelli Editore, 1993., M. FREGONI (2005), op. cit.

119

Dans ce département, le café est cultivé dans les provinces d’Oriente, Lengupá, Occidente, Neira, Ricaurte, la Libertad et Márquez; 12.556 familles se consacrent à cette production.

95!

vivriers comme le maïs, le blé, le haricot noir ont vu leur production baisser significativement de 63% à 33% de la production. Comme pour le café, le département qui nous préoccupe est resté à la marge de ces évolutions.

L’urbanisation et l’exportation sont parvenues à diviser le processus productif national, depuis la fin du XXe siècle, en une agriculture commerciale située sur les terres plates, avec des unités de production moyennes et grandes, relativement spécialisées, soutenues par la “révolution verte”, avec une main-d’œuvre salariée, articulée au marché; tandis que l’économie paysanne a perduré dans les zones plus tourmentées (climat, sols, dénivelés…) avec des unités de production plus petites et une forte tendance à la polyculture, avec une forte carence en processus technologiques et par conséquent un déficit de modernisation de l’agriculture.120

De même, à partir du XXe siècle, les grandes bénéficiaires de ces processus de transformation, ont été les quatre grandes villes les plus industrialisées du pays: Bogotá, Medellín, Cali et Barranquilla et des régions comme el Eje Cafetero, Caquetá, et Meta; alors que d’autres sont restés marginalisées; parmi elles, le Boyacá. Il faut d’ailleurs ajouter aux éléments précédemment évoqués les importations de blé et d’orge, cultures traditionnelles des paysans du haut-plateau du Boyacá.

C’est à partir du contexte historique national que nous avons décrit qu’il faut analyser la transformation productive dans le département de Boyacá, toujours considéré comme l’un des plus en retard dans l’incorporation de la science et de la technologie, et l’un des plus pauvres de Colombie.121

La scène sociopolitique sur laquelle évoluent les habitants du Boyacá ne diffère pas, du point de vue de ce qui caractérise les habitants des zones rurales, des descriptions faites par Wolf122 et Shanin123: peu de terre possédée, producteurs de matière première subordonnés politiquement,

!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

120

Les associations créées par l’Etat pour aider les campagnes colombiennes se sont surtout préoccupées des grandes unités de production; sur le plan régional, seul la FENALCE (Fédérations Nationales des Céréales) a tenté d’aider les petits producteurs; les cultivateurs de tubercules, au contraire, n’ont pas réussi à bâtir une association susceptible de les aider à perfectionner une technologie compétitive.

121

Cf. Commission, de Réconciliation Régionale (2007), op. cit.

122

Cf. E. WOLF (1962), op. cit.

123

96!

repoussés sur des terrains difficiles; habitants d’un monde rural-urbain, Forero.124 Mais des habitants toutefois articulés, fut-ce partiellement, à la production capitaliste, Raymond 125; pour ce qui concerne les acteurs politiques nationaux après 1991, et les spécialistes-professionnels de la production de matière première, Gómez-Sierra, 126 et pour les intellectuels paysans, Ramírez127, etc.

Par ailleurs, la culture des tubercules et des céréales, comme l’artisanat du coton et la poterie, l’exploitation du sel et des émeraudes, caractéristiques des Muiscas, relèvent dans une certaine mesure de la continuité productive régionale. Il s’agit d’activités permanentes des habitants des zones rurales: incorporation biologique de plantes et d’animaux, redécouverte du sous-sol en ce qui concerne les minéraux et les matières premières utilisées par l’artisanat. Le recours aux