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2.1.1 Dans l’accès aux produits d’origine végétale dans l’agriculture

Permanences et transformations continuent à identifier ce processus productif régional. Périodiquement, l’incorporation de fruits, d’herbes aromatiques, de champignons, est tentée. Les productions agricoles représentatives sont toujours celles des tubercules, du maïs, du haricot noir, de l’oignon, du blé, de l’orge, des petits pois. Il y a aussi des goyaves, des citrons, des “curuba”, et des caducifoliées apportés d’Europe. La betterave sucrière destinée à produire de l’éthanol a été un échec.

La reconversion de cultures promues par l’Etat ou entreprises par les paysans eux-mêmes comme stratégie d’obtention d’excédents supplémentaires sont des essais – et des erreurs- quotidiens. Les tentatives sont nombreuses, mais le manque d’assistance technique ou les difficultés rencontrées à un point de la chaîne de production, en général la commercialisation, amènent les acteurs à revenir aux cultures traditionnelles. Parmi les essais, certains ont impliqué des éléments du patrimoine aromatique et chromatique du haut-plateau du Boyacá pour la production de fruits, d’herbes ou de fleurs.

“Les nord-américains donnent un meilleur goût à leurs plats grâce à un groupe d’agriculteurs du Boyacá qui exporte… Les pommes de terre, les petits pois et les haricots noirs ne sont plus un bon commerce… on cherche à stimuler et développer le secteur agricole de la zone, mais avec des cultures innovantes, comme les herbes. Aujourd’hui, cette organisation bénéficie à 20 familles de la région qui vivent en coupant et lavant les herbes aromatiques. Ils songent à exporter directement et sans intermédiaires.132

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“Les Uchuvas (Physalis peruviana) produits à Tuta sont exportés vers

l’Espagne et la France. Entre 5 et 20 tonnes de fruits partent tous les mois de cette commune. Un groupe de paysans a décidé d’abandonner la culture traditionnelle de la pomme de terre pour celle de l’Uchuva et expliquent qu’ils ont déjà vendu la production de toute l’année. Avec la pomme de terre, on court un grand risque à cause de l’instabilité des prix, alors qu’avec la production de ce fruit, on a un marché et des prix assurés en permanence. Il y a 33 producteurs qui sont intégrés au projet, et ils cultivent 42.000 plantes. Depuis deux ans, je me consacre à la tâche de changer la mentalité des paysans en ce qui concerne la culture de la pomme de terre, puisque beaucoup d’entre eux en meurent. Là, on a 2000 plantes à l’hectare, la récolte se fait tous les 6 mois. Un kilo se vend 3000 pesos (1.2 euros)”133.

“J’ai arrêté cette production, aujourd’hui peu de gens sèment de l’uchuva, ça ne rapporte plus rien, on dit qu’en Europe, ils ne l’achètent plus, ils en ont assez de ce produit, ça a été une pure illusion; tous ces fruits sont perdus, et tout ce travail, ceux qui en ont tiré quelque chose, ce sont les commerçants qui l’ont acheté au bon moment.”134

Les exemples illustrent une volonté d’éliminer les intermédiaires et d’avoir accès à un marché sûr. Cependant, les paysans continuent à produire de la matière première qui, en général, rencontre des difficultés de commercialisation. Les deux reconversions mentionnées annoncent, semble-t-il, un dépassement de la “contrat-mania” qui caractérise les productions des zones concernées. C’est un élément qui pourrait être décisif quant au développement technologique. Une initiative dans le cacao indique aussi la mise en œuvre d’une stratégie de reconversion.

“Les maires de l’ouest du Boyacá et les producteurs de cacao de 10 communes ont soutenu le projet inter institutionnel exécuté par Corpo-!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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BOYACÁ 7 DÍAS, (journal régional). “Uchuvas de Boyaca a las mesas de Europa”, del 17 al 19 de

julio, 2007, p.10.

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Boyacá… Le projet vise à instaurer le cacao comme une alternative économique pour les paysans de 10 communes de l’ouest de la province ”.135

“Ils sont venus et ils nous ont dit qu’il y avait un plan comme celui mis en place dans le Magdalena, où on a échangé la coca contre le cacao, mais ici, nous ne savons pas quoi faire parce que personne n’achète le cacao ”.136

Le cacao comme arboriculture est une matière première pour un important pourcentage d’habitants du Boyacá et pour les colombiens qui le consomment sous forme de boisson, jusqu’à deux fois par jour. Cette production, comme le café et la vigne, constitue une matière première essentielle dans l’exercice de la sensibilité sensorielle au niveau mondial. La consommation de produits élaborés et son effet sur l’évolution gustative des humains est très significative.137 La demande mondiale de cacao l’illustre bien.

Des cultures comme le café, le thé, la coca, la marijuana, le tabac, la vigne, sont plus liées à des représentations qu’à des nécessités nutritives. Elles laissent transparaître des idéologies, qu’on les appelle religion ou conception de la santé et de la maladie. C’est en ce sens qu’on peut parler de production symbolique de végétaux. Le café, la coca et la vigne, en arboriculture, ont été des moteurs de pression sociale, technologique, politique et économique.

Face au succès de la production caféière et suite à la mise en place d’un réseau d’information et de publicité au profit du département, ce dernier redécouvre des “niches” de production caféière et certains acteurs étudient la possibilité de s’investir dans ce domaine:

“Pedro Beltrán décortique des grains de café mûrs depuis 50 ans, et aujourd’hui, à 80 ans, il cultive 10.000 arbustes… il ne se passe pas un jour sans qu’il leur rende visite. Comme le café est une culture délicate, il !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!

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LA MANA, (journal local) “Respaldo a Proyecto Cacaotero”, édition 10 julio-septiembre 2006, p. 11.

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Entrevue personnelle avec un paysan de la zone de production d’émeraudes de Boyacá, septembre, 2009.

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Les jésuites avaient planté dans l’ancienne province de Tunja, région de Pampelune, et actuelles communes de Pisba et Paya, plus de 50.000 plantes de cacao. Toutefois, le projet cacaotier a capoté pour les mêmes raisons: si les paysans sont d’excellents producteurs de matières premières, les étapes de transformation leur échappent.

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dépend de tout le processus… Semer du café est très coûteux, et pour cette raison, d’autres préfèrent le yucca ou la canne, et pour combattre les maladies il ne recourt pas aux fongicides, il préfère prier pour libérer les cultures de ces plaies. La commune qui produit le plus de café dans le Boyacá est Moniquirá, où 2084 hectares sont cultivés, et qui compte 2425 propriétés dédiées à cette production et 2059 cultivateurs.”138

Si le premier laboratoire de recherche sur la chimie du café a été fondé à Bogotá, par un scientifique originaire du Boyacá, celui-là même qui est à l’origine du projet vitivinicole, la région ne compte aucun centre d’étude sur le café.

Un autre type de fruiticulture n’a pas réussi à s’insérer dans une chaîne de production: celle de la goyave (psidium spp). Bien que le transport de la semence soit une activité effectuée essentiellement par les oiseaux, il y a dans la zone qui nous intéresse une petite industrie agricole, à laquelle participe ent des institutions clefs comme l’université.

“Les secrétaires à l’agriculture du Boyacá et du Santander, universités Sena et Corpóica, entre autres entités, se sont unies pour travailler sur la culture de la goyave. Bien que 54% des goyaves produites dans le pays soient récoltées dans le Boyacá et le Santander, la production est de type artisanal du fait du manque de soutien de l’Etat. Seize mille personnes dépendent de cette production, dans les deux départements… 90% de la culture ont été “semés” par les oiseaux qui ont répandus les graines sur le sol, et les producteurs se sont contentés de ramasser le résultat, sans investir, raison pour laquelle il est nécessaire d’opérer un investissement technique dans cette culture. Sept mille hectares sont consacrés à cette production, dans la zone concernée. En 2003, 78.497 tonnes ont été récoltées.”139

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BOYACÁ 7 DÍAS, (journal régional) “El abuelo de los caficultores Pedro Beltràn, comenzò a cultivar café en Moniquirà hoy tiene 50 ans, el cultiva 10.000 cafetos”, del 20 al 22 febrero de 2007, p. 14.

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La production de ce fruit a engendré dans la région un système agro-industriel d’élaboration de bonbons à base de sucre et de pulpe de goyave, appelés “bocadillos”. Ils s’identifient aux fêtes patronales des communes et sont commercialisés dans des boutiques et des supermarchés, en s’articulant au commerce international. Ce sont bien les machines qui servent à transformer la goyave qui ont permis à la commune qui en produit le plus (Moniquirà) de se construire une identité particulière de “commune des bonbons».

Les tentatives de reconversion des cultures, comme nous l’avons déjà évoqué, n’exclue pas une stratégie paysanne de poursuite des cultures traditionnelles, qui sont celles qui garantissent la survie: on peut les nommer également stratégies du foyer ou stratégies domestiques140.

Nous observons que les tentatives de reconversion sont plus souvent mises en œuvre dans l’arboriculture productrice de fruits. Cet aspect renvoie à une transformation essentielle s’agissant de l’agriculture qui se consacre aux tubercules, céréales et légumes, c’est-à-dire au remplacement du “transitoire” par le “permanent”, qui implique une conception différente du temps et de l’espace. Culturellement, les productions permanentes s’appuient en effet sur une conception différente, non seulement de ces deux dernières dimensions, mais aussi du travail et de l’organisation; une relation différente avec le climat et le sol141. Ces productions entraînent une restauration environnementale, les racines pénètrent la terre et empêchent l’érosion; les oiseaux et les insectes qui ont besoin de plus de six mois pour se reproduire trouvent dans les pratiques agricoles permanentes des circonstances propices, et cela vaut également pour le processus de pollinisation. De la même manière, le fait que la terre ne soit pas remuée trop souvent permet que des millions de micro-organismes poursuivent leur évolution et enrichissent le sol. De plus, les arômes sont les éléments les plus efficaces dans la communication entre les plantes, les animaux et les hommes; et du fait que, dans les végétaux, notamment les fleurs et les fruits, les arômes sont les plus représentatifs142, la fruiticulture prend davantage d’importance dans la restauration de l’environnement. La dimension sensorielle trouve là une opportunité idéale de s’exprimer.

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Cf. R. RIVERA (1998), op. cit.

141

Cf. F. GARCÌA, et al, “La disponibilidad de nutriente para las plantas, consecuencia de interacción química, biológica y bioquímica”, en: Cultura Científica, n° 5, Tunja, Jotamar, 2007.

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Les cultures permanentes demandent aussi à l’agriculteur une plus grande intensité d’observation, de planification et de mesure, d’expérimentation et d’organisation, c’est-à-dire tout ce qui correspond à une progression en termes d’utilisation de procédés scientifiques et technologiques. Surveiller une plante pendant six mois, ce n’est pas la même chose que l’observer pendant 25, 30, 60 ou 200 ans (cette dernière durée s’applique aux oliviers, par exemple). De plus, la fruiticulture et l’arboriculture créent à la fois permanence et identité territoriale.

Les exemples semblent montrer que se produit une lente intégration de l’agriculture traditionnelle dans l’agro-industrie, à partir de la fruiticulture, notamment celle des caducifoliées: poires, pommes, prunes, abricots, cerises et raisin, en plus de la grande diversité de fruits tropicaux qu’offre la région. La redécouverte contemporaine des végétaux par les communautés est stimulée par le processus d’urbanisation, les habitants tendent à consommer davantage de fruits, identifiés à un facteur d’amélioration de la santé et d’enrichissement et redécouverte de la dimension culturelle du “sensoriel”143. Le tableau qui suit donne quelques indicateurs du potentiel du département en termes de production de fruits.

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Les fruits et légumes constituent un potentiel productif sur le haut-plateau. Ils sont considérés comme une réserve d’arômes, un “patrimoine aromatique et chromatique” (Gómez-Sierra, 2006); les journées ensoleillées et les nuits froides empêchent les arômes de s’évaporer. Les plantes les conservent et les concentrent, plus dans d’autres zones géographiques.

105! Tableau 4. Fruiticulture régionale.

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Graphique 3. Production totale de fruits (caducifoliés)-2010.

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