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2 La montagne comme moyen de différenciation de l‟offre alimentaire

2.2 La montagne dans la stratégie des entreprises

2.2.2 Entreprise: de la boîte noire à la structure stratégique

2.2.2.1 Vers la main visible de la gestion

Il y a, avec Coase, un changement de point de vue. L‟entreprise n‟est plus considérée comme un ensemble d‟individus unis par contrats et en fonction d‟intérêts individuels, elle acquiert une épaisseur conceptuelle plus importante. Dans un article paru en 1937, l‟auteur remet en cause le marché en tant que pouvoir régulateur exclusif des activités économiques. L‟entreprise est vue en tant qu‟organisation et lieu de régulation alternatif au marché, elle est caractérisée par une coordination administrative, par la hiérarchie. Ce qui vient à distinguer le marché de la firme est la suppression du système de prix32.

Coase (1937) se demande donc la raison pour laquelle certaines transactions sont réalisées sur le marché, alors que d‟autres le sont au sein des organisations (Eymard-Duvernay, 2004). Jusque là, les économistes et les pionniers en gestion faisaient une distinction entre les processus techniques, réalisés au sein des entreprises, et les processus de coordination, réalisés dans le marché. « L‟innovation de Coase est de considérer que le découpage entre entreprises et marchés n‟est pas une donnée » (Eymard-Duvernay, 2004, p. 33), puisque, en regardant la structure des entreprises, il observe que certaines tâches sont assumées par l‟entreprise même, alors que d‟autres sont déléguées à des sous-traitants.

32 Selon Coriat et Weinstein (1995, p. 46), la formule n‟est cependant pas totalement nouvelle, Marx l‟avait

exprimée auparavant, mais en employant d‟autres termes : « l‟anarchie du marché face au despotisme de l‟usine ».

Lorsque cette opposition apparaît entre firme et marché, les conséquences conceptuelles se posent autour de deux questions : « (i) pourquoi y a-t-il deux formes de

coordination, alors que l‟enseignement économique s‟évertue à démontrer l‟efficacité du

marché ? et (ii) comment se fait le choix entre ces formes, entre coordination par les prix et coordination par la firme ? » (Coriat, Weinstein, 1995, p. 47). Pourquoi donc serait-il profitable d‟intégrer des activités dans une entreprise au lieu de laisser jouer les mécanismes du marché ?

La raison, selon Coase (1937) est issue d‟un constat simple: il y a des coûts qui sont liés aux transactions effectuées sur le marché, car il faut prospecter les prix, négocier des contrats pour chaque transaction séparée, etc. En outre, le fonctionnement du marché n‟est pas si optimal que le prétendait la théorie néoclassique, puisque, lui aussi, implique un coût, ce coût qui sera nommé « coût de transaction ».

Une fois internalisés, les contrats ponctuels de court terme seront remplacés par un contrat unique de long terme. De plus, la coordination interne à la firme s‟imposerait comme une façon de faire l‟économie des coûts liés à chaque transaction faite sur le marché. Mais cela n‟est pas valable pour toutes les situations, sinon on arriverait à la question logique posée par Eymard-Duvernay (2004) en suivant le raisonnement de Coase : pourquoi donc le marché ne disparaît-il pas totalement ?

Pour Coase, la réponse est liée à la fonction entrepreneuriale. C'est-à-dire, tout d‟abord le choix entre une forme de coordination dépendra de la confrontation du coût d‟une transaction effectuée sur le marché et du coût d‟organisation de la même transaction au sein de la firme. Et la détermination de ces coûts serait dépendante de la fonction entrepreneuriale, qui apparaît comme une notion clé chez Coase. Le coût administratif de la gestion centralisée des transactions est donc avantageux jusqu‟à une certaine limite. Puisque la fonction entrepreneuriale présente, selon l‟auteur, un rendement décroissant, la considération de la limite de la firme n‟est pas un facteur négligeable. Une fois que l‟organisation atteint une taille donnée, cela rend plus complexe la „meilleure‟ allocation de facteurs. Autrement dit, au-delà d‟une certaine taille, par l‟échec de l‟entrepreneur à allouer les facteurs là où leur efficacité est la plus grande, il devient équivalent de réaliser une transaction dans l‟entreprise ou sur le marché.

Cela est aussi la raison pour laquelle l‟auteur soutient que les entreprises « ne peuvent croître indéfiniment » (Gabrié, Jacquiert, 1994, p. 44). En revanche, son raisonnement n‟a pas le même pouvoir explicatif en ce qui concerne les raisons pour

lesquelles il y a des entreprises qui croissent ou se développent davantage que d‟autres. En effet, Coase avait écrit son article en 1937 avec l„objectif de démontrer que « dans la réalité économique, il n‟y a pas que le marché qui importe » (Coriat, Weinstein, 1995, p. 51).

Les propos de Coase ont inspiré de nombreux auteurs, notamment ceux liés à la nouvelle économie institutionnelle dont Williamson (1991) constitue la référence la plus répandue. Sans pouvoir rendre compte de tous les aspects proposés par le premier auteur, ni de leurs développements ultérieurs, nous voudrions souligner le rôle que la firme assume après Coase.

La firme n‟est plus seulement une boîte noire avec la fonction productive, telle qu‟elle l‟était chez Smith, et dont les objectifs pourraient être fixées d‟emblée, ainsi que pour les individus, en termes de maximisation des profits. Les entreprises, comme on l‟a vu, seront désormais étudiées sous les aspects et dynamiques qu‟elles engendrent en tant que lieu de régulation alternatif au marché et en tant qu‟organisations complexes, lesquelles sont composées de différents groupes dont les objectifs sont différents les uns par rapport aux autres.

Dès lors, on peut rentrer dans la boîte noire, ce qui permet de penser théoriquement au management et à des stratégies de gestion de firmes. Nous avons démontré comment Coase répond à la question sur une „éventuelle‟ disparition du marché en faveur des firmes : par les limites de la fonction entrepreneuriale. On peut toutefois donner plus de précision à ce sujet en s‟intéressant aux structures des entreprises.

Pour penser la production des produits alimentaires de montagne, vue l‟offre que nous aborderons dans notre travail, la structure des entreprises peut fournir des éléments de réflexion. Un des premiers auteurs à s‟intéresser à l‟effet de la taille et de la structure dans le fonctionnement des entreprises est Chandler (1988).

Vers les années soixante, Chandler s‟intéresse aux rapports entre la structure et les stratégies de ces mêmes entreprises. Chandler met en place une approche historique pour comprendre exactement les raisons pour lesquelles il y a des entreprises qui se développent d‟avantage que d‟autres. L‟entreprise moderne est alors le remplacement de la main invisible du marché par la main visible des managers. « Ce „changement de main‟ est aussi un changement de paradigme. La théorie de la main invisible repose sur le paradigme des ordres spontanés, ou, dit en langage systémique, des systèmes auto-organisés. A contrario, la théorie de la main visible repose sur le paradigme des ordres construits ou, mieux,

organisés » (Saussois, 1988, p. xxi). Pour citer Chandler (1988, p. 1) lui-même, « l‟entreprise moderne s‟est substituée aux mécanismes de marché dans la tâche de coordonner les activités économiques et de répartir les ressources ».